dimanche 21 janvier 2018

TomTom - jouons avec Joe Krapov




« Je t’écoute, Joël.
-          Saint-Pierre, je viens de terminer ma troisième vie et j’ai été sage cette fois-ci. Je n’ai pas péché – ou très peu – et je pense mériter la clef en or.
-          N’as-tu pas cédé à la colère ?
-          Je reconnais avoir claqué quelques portes et légèrement crié sur mes épouses lors de disputes conjugales, mais n’est-ce pas déjà une immense régression pécheresse par rapport à mes deux vies précédentes ? Je vous rappelle que j’ai tué un mec à la sortie d’une discothèque lors de ma première, et mis mon poing dans la sale tronche de mon patron pendant la seconde !
-          Je te félicite, mon fils.
-          Roh arrêtez avec votre « mon fils » !! Vous n’êtes pas Dieu. D’ailleurs, toujours pas moyen de le voir celui-là. »
Le nouveau-mort, encore prisonnier de sa chair ressuscitée, se met alors à taper des pieds et à devenir tout rouge. Saint-Pierre, qui le rencontre déjà pour la troisième fois, commence à connaître l’animal, secoue la tête en soufflant et lui rétorque d’un ton paternel aussi bienveillant que condescendant :
« Si tu continues ainsi mon fils, la perspective de le rencontrer ne fera que s’éloigner pour toi. Par ailleurs, tu es en train de céder à la colère... »
Raisonné par la crainte de louper Dieu encore une fois, Joël se reprend et baisse d’un ton :
« Vous avez raison. Je m’excuse Saint-Pierre. Vous pouvez m’appeler « mon fils » autant que vous voulez. Pour en revenir à mon bilan, vous avez bien vu que je n’ai jamais fait preuve d’avarice ?
-          Est-ce là un progrès, mon fils ?
-          Comment ça ?
-          Tu n’as cessé de dilapider ton maigre tribut de maçon lors de ta première vie. Sans parler des visites des huissiers au cours de la seconde ! Un comble pour un agent immobilier ! Quant à ton troisième passage terrestre en tant que promoteur, tu t’es beaucoup trop adonné aux jeux d’argent. Mais je te le concède, tu n’as pas été avare, mon fils.
-          Et et et l’envie ? J’ai pas été envieux ! Juste un peu jaloux en amour...
-          Un peu ?
-          Un peu.
-          Les scènes de ménage qui t’ont poussé à la colère n’ont-elles pas été provoquées par ta jalousie ? Mon fils, je veux bien constater tes progrès, mais t’es-tu toujours bien comporté envers tes promises ?
-          Mais elles cherchaient aussi !! Toujours à sortir avec leurs copines et à rentrer à pas d’heure. Toujours à faire les cachotières. Je voulais pas être cocu, moi ! J’ai jamais eu de preuve, mais Dieu sait, euh pardon, je suis certain qu’elles couchaient à droite à gauche ! L’intuition masculine, ça trompe pas. Tu, euh, vous confirmez ?
-          Calme-toi, mon fils ! C’est la deuxième et la dernière fois que je t’attrape en flagrant péché de colère. Contrairement à tes vies, il n’y aura pas de troisième chance, et l’enfer te guette.
-          Message reçu. Et l’orgueil ? Quel est mon jugement ?
-          Tu as pu paraître orgueilleux à l’égard de tes compagnes et des autres êtres humains qui ont croisé ton chemin, mon fils. Tu as certes eu des paroles dénotant un sentiment de supériorité, mais je vois tout. Et Dieu voit tout. Je t’ai vu pleurer seul dans ta chambre, et souvent te dévaloriser. Ton père t’a abandonné dans ta première vie, t’a méprisé tout au long de ta deuxième et tu l’as à peine connu dans ta troisième. Tu as dû surmonter toutes ces épreuves que Dieu t’a envoyées, mon fils. Mais je te pardonne, car tes excuses et remords immédiats effacent tes fautes. Dieu lit dans le cœur des Hommes et il ne verra aucun orgueil dans le tiens. Mais la gourmandise, mon fils, la gourmandise.
-          Comment ça la gourmandise ? J’ai déjà raté mon premier jugement dernier pour cause d’addiction au Big Mac. Alors j’ai fait attention avant le deuxième, et si je n’avais pas été condamné à une troisième vie pour péché de colère et de paresse, je ne serais pas là.
-          Nous y voilà...La paresse. Tu n’as pas péché par paresse lors de ton troisième essai, mon fils. Au contraire, ton excès de zèle et ce mélange d’argent et de pouvoir qu’il a entraîné t’ont même fait céder à la luxure.
-          Mais...Mais...Mais Saint-Pierre, je...
-          J’ai tout vu : l’adultère, les orgies et la consommation sur ton lieu de travail de jeunes prostituées commandées sur sugardaddy.fr.
-          Je vous demande pardon. Qui n’a jamais péché me jette...
-          Tu n’es pas en position de faire des jeux de mots avec mon patronyme, mon fils.
À ces mots, le sage barbu soulève sa longue toge blanche pour faire quelques pas en direction du tiroir supérieur de son modeste bureau. Il en sort une clef en or et une autre en argent. En tenant la première à hauteur des yeux du défunt, il lui déclare :
« Cette clef ne te sera  pas confiée, mon fils. Tu n’as cessé de t’adonner à la luxure tout au long de ta troisième vie.
-          Saint-Pierre, je vous en supplie. », dit Joël en joignant les mains.
Sourd aux vains gémissements du condamné à la vie, Saint-Pierre range alors la clef en or à sa place attitrée et tends la deuxième à son interlocuteur :
                   « Je te condamne à une quatrième vie, mon fils. Voici la clef terrestre. N’oublie pas que Dieu lira dans ton cœur, sois sage et la clef céleste te sera remise au quatrième jugement. »
Sur ces maudites paroles, le triste Joël s’empare mollement l’objet, quitte le nuage et descends les escaliers en silence. La Terre l’attend. Encore elle. Au fur et à mesure de sa descente, il se rétrécit pour finir en embryon dans le ventre d’une prostituée héroïnomane bulgare. Décidément, cette quatrième tentative commence mal.

8 commentaires:

  1. Un drôle de paroissien ton Lazare ! Je me suis bien amusée !

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  2. Il est pas radis... Euh radin. ];-D
    Une prostipute Bulgare bigarrée, s'est bagarrée pour une poignée de bigarreaux égarés.

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  3. pas facile à embobiner Saint Pierre :)
    j'ai passé un bon moment à la lecture de ton texte !

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  4. Un big brother qui vous condamne à jouer sans cesse à Second life ? Mais c'est l'enfer , ça ! ;-)

    Le ciel m'est témoin que je n'ai pas voulu cela !

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    1. Oh oui. J'ai bien peur qu'il se loupe encore à la quatrième !

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