mardi 31 janvier 2017

Arpenteur d'Etoiles - La lune dans le caniveau


Timidités ...

- Pose ta main là, et puis tu mets l’autre dans la mienne. Voilà comme ça.
Un soir de mai soixante-dix. Le printemps resplendissant s’incline doucement vers l’été. Depuis la rentrée de septembre, nous partageons les bancs de nos classes avec les filles. Nous avons seize ans, des rêves plein la tête, des fous rires plein la gorge et les yeux grands ouverts. Je partage mon temps entre les cours, les terrains de foot ou de tennis, les copains et les livres. Intensément.

- C'est facile le rock : 1,2 - 1,2,3 - 1,2,3. Tu vois ...
Dans le collège immense, bourgeois et mariste où rôdaient encore quelques soutanes, la fusion avec le cours Fénelon fut un bouleversement total. Soixante huit avait soufflé le vent d’une folie joyeuse, et libéré la parole et les corps. Nous étions cheveux aux épaules, jeans, chemises blanches et foulards. Elles étaient robes à fleur et colliers indiens. Leurs parfums mêlés flottaient dans les grands couloirs. Leurs rires adolescents et stakhanovistes aussi.

Avec la bénédiction d’un père supérieur en blouson de cuir et moto japonaise, on a poussé les tables d’une des salles d’étude. Quelques profs amusés sont là aussi. On a dressé un buffet hésitant entre matinées enfantines et rallyes pseudo mondains d’une bourgeoisie de province. Les baies vitrées ouvrent sur le parc dont les grands marronniers filtrent l’or sanglant du soleil couchant. Un camarade passionné de musique et, par ailleurs, assez acnéique disparaît derrière les piles de trente-trois tours et deux platines Thorens. Ses objectifs : laisser le moins de temps possible entre les morceaux et séduire Agnès petite brune aux yeux clairs, au moment des slows.

-… Tu vois. Je te guide pour commencer …
Je suis tétanisé. Celle qui vient de parler c’est Marie-Joëlle. Un concentré de féminité dont la chevelure blonde est maintenue par un bandeau de soie noué derrière la nuque. « Là » où je dois poser la main c’est sa hanche gauche. Et l’autre « là » où elle met la sienne, c’est mon épaule droite. Sa taille est fine et souple. Ses yeux sont deux lacs de montagne dans lesquels je souhaite me dissoudre instantanément

A la demande générale sauf la mienne, le préposé musique lance « Rock around the clock ». Les minutes les plus longues de ma courte existence commencent. Figé, les mains moites, je tente de suivre ma cavalière légère comme une plume. Je lorgne vaguement ce que font les autres et essaye de les imiter. Elle rit de bon cœur. J’ai le rouge au front, aux joues, les oreilles en feu. Je suis sûr que tout le monde me regarde. Ma fée clochette m’enroule dans ses bracelets et ses arabesques. Elle a abandonné l’idée de m’apprendre les rudiments du rock et danse seule autour de moi qui ne bouge plus, piquet ridicule, esquissant par instant un pas ou deux qui aggravent encore mon cas. Le DJ se montre diabolique. Pas le moindre temps mort pour passer de Bill Haley à Jerry Lee Lewis. Autour c’est du délire. Les couples virevoltent marquant les pas sautés. Je me fais bousculer par l’ami Bruno, qui réussit des passes ahurissantes avec une Charlotte rayonnante. Je m’esquive et vais m’asseoir discrètement près d’une enceinte vibrante. Je hais la timidité crasse qui me poursuit depuis ma plus tendre enfance, même si j’ai commencé à prendre sur moi. Finirais-je comme clochard alcoolique avec la lune dans le caniveau ou président d’une société mondiale ?

La série de rocks s’achève sous les applaudissements pour les derniers encore en piste. Je suis le garçon le plus stupide du monde, le plus inutile, le plus ridicule, le plus bête. Tout le monde rejoint le buffet et les bouteilles de sodas et d’eau fraîche. Le champagne promis sera pour plus tard. Marie-Joëlle vient s’asseoir près de moi. J’ose à peine la regarder. Mon cœur ne tiendra sans doute plus bien longtemps au rythme imposé par son sourire, par ses seins qui soulèvent son chemisier entrouvert, par sa main qui vient de frôler la mienne, par les mèches blondes collées à ses tempes

- ben dis donc t’es pas bien souple. C’est pas grave, tu sais. C’est pas si facile au fond. Mais tu devrais prendre quelques cours quand même. Tiens la musique reprend. Allez, viens, celui-ci c’est pour toi.

Le soleil s’est couché derrière les grands arbres. Une lune d’or se lève à l’est entre les monts du Pilat. Quelques spots éclairent la salle. Je serre tant bien que mal un corps de liane. Mon émoi est visible, à tout point de vue, mais pour la première fois, je m’en fiche.

L’intro et la voix :
We skipped the light fandango
Turned cartwheels 'cross the floor           
I was feeling kind a seasick


Béatitude totale, il entame par Procol Harum avec "A whiter shade of pale".
Il faudra que je pense à embrasser le "DJ" … aussi …

Procol Harum
A whiter shade of Pale

Jacou - La lune dans le caniveau

La lune dans le caniveau


  • M'sieur, m'sieur, vous pouvez répéter. J'ai pas bien entendu.
  • Je répète pour  Pierrot,  toujours dans la lune,  "dans le caniveau", je répète "dans le caniveau". Vous avez cinq minutes pour relire votre dictée.

lundi 30 janvier 2017

Vegas sur sarthe - La lune dans le caniveau

Délivrance

Aux quatre coins du port tu pourras me chercher 
fouiller les bars minables où tu traînes ta bile 
et l'impasse sordide au sang indélébile
tu ne m'y verras point, pas plus qu'au vieux marché.

J'ai rompu les amarres à mon cœur attachées
gommé tes alibis et tes belles paroles,
du docker amoureux je m'écarte et m'envole
je quitte ce taudis où tu as tout gâché.

Il parait que là-bas luit un soleil nouveau
que les hommes sont bons et les amours sincères 
je quitte ma défroque de bouc-émissaire.

Je sais que l'on m'attend au royaume édénique,
je serai déjà loin de ce monde cynique
quand glissera la lune dans le caniveau

Andiamo - La lune dans le caniveau


La Lune ... La Lune dans le caniveau ... En plus ! Voilà un sujet pas facile, (merci Monsieur Beineix) comment vais je m'en tirer ? Je n'ai jamais philosophé, n'ayant pour tout diplôme qu'un C.E.P ! Mais je possède un crayon magique !

Avant tout, et surtout avant de songer au caniveau, je songe à la Lune...
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 J'ai vu des Lunes insolentes assises sur les œuvres de Malraux, Boileau, et même Victor Hugo !
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J'ai vu des Lunes indolentes, mollement allongées, et faisant dodo.
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J'ai vu des Lunes resplendissantes, face au Rialto !
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D'autres languissantes retirant leur culotte "Petit Bateau".
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J'ai vu Béthune, j'ai adoré Mao, joué aux billes avec le Mikado, j'ai atteint les neiges du Kilimandjaro, mais jamais au grand jamais, je n'ai vu la Lune dans le caniveau...
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Tisseuse - La lune dans le caniveau

Je m’en allais
La lune sous le bras
En écharpe serrée
Comme une attelle en bois

J’avais remisé
Toutes mes pensées
Dans son tissu tressé
De rêves et de folles idées

Je me sentais
Voleur de nuit
Retenant la vie qui fuit
En secret

Mais la lune a roulé
Dans ce caniveau insensé
Et la vie a trébuché
Me laissant désemparée

Laura Vanel-Coytte - La lune dans le caniveau

La lune dans le caniveau, c’est d’abord un film qui est d’abord un livre
C’est comme se demander qui de l’œuf ou de la poule est à l’origine
Dans les imaginations visuelles comme la mienne, l’image revient à ma mémoire
En premier alors que je suis à l’origine une littéraire qui lit des livres

De mots et d’images, de poésie et de cinéma, d’art et de littérature.
La lune dans le caniveau, c’est bien sûr Jean-Jacques Beineix qui adapte
Je n’ai pas de chanson ni de musique qui me vient comme pour 37,2 [1]le magique
Là, je revois faire l’amour Anglade et Béatrice Dalle la sulfureuse

Se déroule là alors dans mon imaginaire pêle-mêle la romane atmosphère
De Philippe Djian, les années 80, la découverte de la littérature contemporaine
Parallèlement au bac français, les fleurs du mal de Charles Baudelaire
La bande son de ces années : quelque chose de gai et de tragique : le sida arrive

La lune de Van Gogh chute dans le caniveau d’Arles avec un bout d’oreille
Elle ombre chez Caspar David Friedrich, l’homme et la femme, romantique
Et moderne comme les Tristesses de la lune baudelairiennes
Jean-François Millet place un parc de moutons dans un paysage sélénique

[1] Le matin

Semaine du 30 janvier au 5 février 2017 - La lune dans le caniveau

Alors que nous avons rajouté un peu de sel au fur et à mesure de la semaine écoulée, nous remontons une nouvelle fois le temps en vous proposant un thème de décembre 2005 : "La lune dans le caniveau".

Que ce titre de film vous inspire de la prose ou des vers, vous devez impérativement nous envoyer votre texte avant dimanche 5 février 2017 à l'adresse habituelle : impromptuslitteraires[at]gmail.com

samedi 28 janvier 2017

Stouf - J'ai rajouté un peu de sel

C'est pas ma fôte !

Le restaurant « Chez Mama Béa » était étonnamment silencieux en ce jour où mon ami le commissaire Oreste et moi-même discutions le bout de gras devant un plat de ce fameux cholestérol à poil ras quasiment introuvable dans les forêts françaises.

La sono de marque Sourding nous susurrait une célèbre Cantate « Tue ta mère si t'as rien d'autre à faire ! » du célèbre chanteur de quartier mondialement inconnu Johnny Tagoel.

Alors je m'exclamais tout doucement
- Oreste fait gaffe, ton cholestérol n'est pas mort, il bouge.
- Tagoel... y en a ras le bol de ce chanteur non ? me dit le commissaire.
- Et ta sœur, elle va bien ? Demandais-je afin de dévier la conversation à propos de Tagoel, le pseudo chanteur des Biles (son quartier) que je produisais puisqu'il fut mon frère de lait.

Une très belle souris passe sous la table et nous fûmes fort aise de voire arriver la bouteille de Chianti creuvé Il Governo de l'année 1217.
- Bon... gamin, faut que je te cause ! M'exhorta Oreste, c'est vrai que t'as tuée ta mère cet après-midi en compagnie de la belle lulu de Nantes qui officiait au 15 rue Blondel ?

La question de ma mère me sembla, au sens propre, un peu figuré et je ne sus que répondre :
- Par Athéna et Apollon, je jure que je n'en fus pas conscient.

Du reste Oreste parut convaincu et ne m'en reparla plus jamais. Je lui resservais un verre de Chianti et j'ai rajouté un peu de sel à mon plat de cholestérol à poil ras.

Tiniak - J'ai rajouté un peu de sel

SEL FIT

J'ai goûté au précieux délice
- eh! joyeux jusqu'au précipice !
de quelque douceur avenante
et grave, mais évanescente

J'ai mendié - jusqu'à déguerpir !
une ombre où m'asseoir et mourir
avec mon parme, entier, au four
chiffonné quand revint le jour

Et puis, j'ai compté sur mes doigts
les ingrédients de mes émois
Leur somme est cette ritournelle

Lors, je suis revenu vers toi
sachant ce qui manquait au miel
j'ai rajouté un peu de sel

Où repiquer au saloir...

Jacques - J'ai rajouté un peu de sel

Le gel qui dure
fige la vie : j'ai
rajouté un peu de sel.

jeudi 26 janvier 2017

Dib - J'ai rajouté un peu de sel

Marie, bien qu’elle ait les cheveux poivre et sel, était très soupe au lait… On dit que l’on se bonifie avec le temps. Peut-être faut-il encore attendre... Ce qui était sûr, c’est que ça pimentait notre histoire…

Tantôt acide, tantôt mielleuse, Marie mettait son nez partout. Elle pouvait être peste, à casser du sucre sur le dos de tout le monde. Elle pouvait être poison, à mettre son grain de sel partout. Mais elle était toute en sucre, quand elle s’en excusait. Et moi, je fondais. « Table sans sel, bouche sans salive… » répétait ma grand-mère, lorsque j’étais petit. Certes, l’addition pouvait parfois être salée et j’en faisais régulièrement les frais. Mais trop de sucre n’est rien, quand c’est le sel qui manque. Sucrée-salée était Marie. J’étais servi, c’était ainsi : Marie mettait du sel dans ma vie !

Sans m’en apercevoir, je pensais encore à elle, bien qu’elle mange maintenant les pissenlits par les racines. Un peu de sel, Marie ? Je souriais, seul, dans la rue, tout en prenant le nouveau selfie que je lui apporterai dimanche. Cette vague de froid qui n’en finissait pas.
Avant de rentrer, j’ai rajouté un peu de sel sur le trottoir...


mercredi 25 janvier 2017

Chri- J'ai rajouté un peu de sel

Assez zoné.

Normalement, il ne devait rien se passer entre eux. On ne devrait même pas écrire ENTRE EUX. On ne devrait pas penser à écrire sur cette histoire puisqu’elle ne devait pas avoir lieu. Il n’était pas prévu pour en faire partie, de ce séjour.

À l’origine, c’est un autre que lui qui était inscrit. Il ne devait même pas en avoir entendu parler et puis le type pressenti, cet imbécile, leur a fait faux bond, au dernier moment. S’il n’y allait pas il en privait une bonne vingtaine dont certains n’avaient jamais vu la neige... C’était simple. En plus, des arrhes avaient déjà été versées et un bus retenu. Un désistement leur aurait coûté presque aussi cher que le séjour lui-même.
Trente ans après, il en parle encore.

Aussi quand elles ont demandé à la cantonade qui voudrait, qui pourrait venir, au débotté, avec nous, il fut le seul à dire : Ben moi, je veux bien si ça peut vous dépanner. Si vous ne trouvez personne, je viens. Inutile de dire qu’elles n’avaient pas trop cherché après un autre. Quand tu tiens le pigeon tu ne cherches pas la grive. Mais pourquoi il avait proposé ça, lui ? Ah ! Il faisait moins son malin maintenant. Il avait huit jours pour faire son sac. Le lendemain il était assis dessus.
Sa vie allait basculer et il ne se doutait de rien.

Normalement, si le destin avait été réglo, il ne devait rien arriver. Il leur filait un coup de main, ils passaient huit jours à la montagne avec toute une bande, ils s’amusaient bien, ils descendaient quelques noires et des bouteilles de rouge, ils s’offraient des souvenirs chaleureux et puis ils rentraient et tout redevenait comme avant. Chacun reprenait le cours de sa vie habituelle. Mais le destin l’a entendu autrement, il n’a rien voulu savoir, il n’en a fait qu’à sa tête, le destin. Il a choisi de tout chambouler, il a volontairement semé son énorme bazar, laissé un champ de ruines et de désolation et puis comme à son habitude, il les a regardés se débattre.
Trente ans après il en tremble encore.

Elles étaient deux. Une des deux était plus jeune que moi, plus jolie, aussi. Elle était en couple, lui aussi était en couple et heureux, pas une seconde, il n’avait envisagé de participer à ce séjour, il n’aimait pas trop la montagne et surtout le froid, il lui préférait et de loin la chaleur des tropiques et les bleus des eaux caraïbes.

Ils ont passé la deuxième nuit à parler de l’heure du coucher jusqu’à l’heure du lever sans interruption.

Au petit matin de la troisième nuit, c’était joué. Il était cuit. Deux ou trois fois dans la pénombre, il a regardé son dos pendant qu’elle se tournait pour sortir de son lit, il s’est dit c’est mort mon garçon, cette fois tu es grillé, tu es raide dingue de cette fille magnifique. Il riait bien d’eux, le destin.

Pendant qu’elle revenait une bouteille d’eau minérale à la main, vite fait, sur le cours de ma vie, j’y ai rajouté un peu de sel, a-t-il dit pour se justifier.

Trente ans après les cicatrices zébrant son vieux cœur rapiécé lui sont encore douloureuses.


Tisseuse - J'ai rajouté un peu de sel

J’ai rajouté un peu de sel
Dans ce mouvement éternel
Juste une larme
Rien qu’une larme

De celles qui prennent leur temps
Pour imprimer leur trace
Et creuser toujours la même place
Tout doucement

De celles qui emmènent la peine
Des jours qui se traînent
Juste un filet d’eau salée
Presque délavé

Pour nous ramener
A notre propre marée
A nos aléas intérieurs
En quelques mouvements de cœur

Marité - J'ai rajouté un peu de sel

La mique.

Il y a différentes façons de mettre du sel dans son texte et vous l'avez fort bien fait si j'en juge à travers vos écrits. Je vais, quant à moi, tout bêtement utiliser le sel en cuisine et vous livrer une recette de mon petit coin où nous aimons, par ces temps de grande froidure, élaborer des plats roboratifs.

Tout comme certaines régions vantent qui la choucroute, qui la quiche ou la tartiflette ou encore les escargots, nous, nous aimons parler de la mique, l'andouille - n'y voyez aucune allusion perfide ou grivoise - et le petit salé. Et nous aimons surtout les déguster en famille ou avec des amis. Ce plat figure très souvent au menu des repas de fin d'année des associations nombreuses et diverses.

Ma recette personnelle s'inspire tant de celle de ma belle-mère qui la tenait de sa mère, qui la tenait ...et de celle d'un fameux cuisinier de Brive, Charlou. La voici donc :

La veille, mettre dans un grand faitout rempli d'eau froide, les viandes afin de les faire dessaler. Changer l'eau si nécessaire.
Le jour même, tôt le matin, préparer la mique. Il lui faut en effet environ trois heures pour qu'elle lève tranquillement.
Délayer 20 grammes de levure de boulanger dans un verre de lait tiédi. Mettre 75 grammes de graisse d'oie - ou, à défaut, de beurre à fondre doucement.
Verser 500 grammes de farine de froment dans une jatte, creuser un puits, ajouter la graisse, le lait, et trois œufs entiers. Mélanger le tout avec soin. Pour ma part, je pétris la pâte avec les doigts en la battant contre les flancs de la terrine. Elle doit être souple mais ferme. Rajouter au besoin de la farine. Envelopper la préparation dans un torchon et la laisser lever dans une ambiance tiède. Jadis, les grands-mères la glissaient sous l'édredon de plumes.
Pendant ce temps, déposer le petit salé et l'andouille dans une marmite, ajouter carottes, navets, poireaux, chou vert, oignon piqué de deux clous de girofle, quatre gousses d'ail et le bouquet garni.
Laisser cuire à feu moyen.
Ajouter quelques pommes de terre à chair ferme 25 minutes avant la fin de la cuisson.

Quand la mique a doublé de volume, ôter les viandes et les légumes du faitout, les garder au chaud et plonger la mique dans leur eau de cuisson bouillante. La cuire 20 minutes de chaque côté. Pour la tourner, s'aider d'une assiette plate. Elle doit tripler de volume.

La sortir alors du bouillon. La servir en tranches épaisses - elle remplace le pain - avec les légumes, le petit salé et l'andouille, le tout accompagné de moutarde violette.

S'il reste de la mique, on peut la faire griller à la poêle et la déguster plus tard avec une salade ou de la confiture.

Ah, j'allais oublier : comme les viandes sont complètement dessalées, à la préparation de la mique j'ajoute un peu de sel.

mardi 24 janvier 2017

Jacou - J'ai rajouté un peu de sel


J’ai rajouté un peu de sel

"La soupe avait un goût de fiel,
Ne recommence pas, je te le conseille."
Tout sucre, tout miel,
Je lui répondis, le regardant s'écrouler,
"J'ai rajouté un peu de sel",

Célestine - J'ai rajouté un peu de sel

Cosmogonie

Au commencement, était le grand vide intersidéral, troublé seulement par l’énormité silencieuse du Rien absolu. Même pas le moindre scintillement d’un astre piquetant le noir d’encre des confins.
Chaos s’ennuyait ferme. Il errait.
Il décida d’engendrer Gaïa. Ne me demandez pas comment à lui seul il réussit ce prodige. Les Cosmogonies ne s’embarrassent pas de ce genre de détail, vous l’avez remarqué. Les choses sont, et c’est tout. A la réflexion, il s'était peut-être un tout petit fait aider par Eros, un dieu primordial en vacances dans la région mais rien n'est moins sûr.
Bref, Gaïa fut là, et avec Gaïa, Chaos s’égaya. De ses yeux jaillirent toutes les étoiles qui allumèrent les solitudes glacées pour les rendre agréables au regard. Cette belle aux yeux de brume, sculpturale caryatide aux formes généreuses, adoucit sa vie de vieux solitaire, le poursuivant d’un bout à l’autre du Cosmos, batifolant dans les nébuleuses et se battant avec lui à coup de polochon cosmique.
Chaos goûtait dans les bras de Gaïa, bien qu'elle fût virtuellement sa fille, des plaisirs interdits et subtils qui faisaient trembler l’Infini et gronder le vent sidéral.
Entre deux ébats sensuels, Gaïa inventa pour se divertir la Terre, un morceau de rocher sombre qu'elle pétrissait dans ses mains comme pour se passer les nerfs quand ils étaient en pelote.

A force de se livrer au jeu théogonique le plus vieux du monde, et que l’on appelle encore « papa-maman » dans bien des contrées ici-bas, ce qui devait arriver arriva, et Gaïa donna le jour ( et la nuit aussi ) à toute une flopée de bambins solides et superbes. Les deux premiers furent Ouranos et Pontos.

Ouranos, gros bébé joufflu comme un aquilon, fabriqua le ciel, tendit comme un velum la divine courbure azurée de la coupole céleste, et joua à y épingler, tels des papillons géants, les nuages pommelés et rosés du matin et les tourbillons d'orages tout noirs du soir.

Pontos, son frère jumeau, ne voulant pas être à la ramasse, fit l’océan immense et le peupla de bêtes visqueuses aux écailles d’or vif et d’argent, de coraux précieux comme des colliers, d’îles courbées sous le vent et de vagues hurlantes et rugissantes.
Chacun se recula pour juger de l’effet.
Les parents applaudirent devant ces merveilles boréales et australes.
Mais Pontos, apercevant le flacon de nacre dans lequel sa mère rangeait ses cristaux de bain, crut bon d’en verser le contenu dans sa mer fraîchement éclose, afin de parfaire son œuvre ...

Un bouillonnement titanesque se produisit, doublé d’un nuage de chlorure de sodium verdâtre qui amusa beaucoup le gosse.
- Qu’as-tu fait, malheureux ? Gronda Chaos.
- Qu’est-ce que c’est que ce binz ? Renchérit Gaïa.
- Oh, ça va, les vieux, j’ai rajouté un peu de sel, c’est tout…
- Tant pis, c'est fait, c'est fait. Ils auront de la tension, voilà tout conclut Chaos, impérial.

Et c’est ainsi que pour toutes les créatures vivantes qui peupleraient la Terre, l’eau douce deviendrait, par sa rareté, l’objet d’une quête vitale, rude et sans pitié qui durerait jusqu'aux confins des douze éternités. Et même encore après.

Saraline - J'ai rajouté un peu de sel

« Vous êtes le sel de la terre » ai-je appris dans ma jeunesse.

J’ai toujours voulu y croire…
Las ! , je l’ai trouvé bien fade
Celui pour lequel j’ai eu une tocade.
Alors, j’ai rajouté –un peu- de sel.
Et bien m’en a pris :
A la poularde demi-deuil
Ou au poulet en chemise,

Je préfère le coq au gros sel.

lundi 23 janvier 2017

Lilousoleil - J'ai rajouté un peu du sel

Une bonne recette inspirée de Pierre Dac

La selle de cheval

On préfèrera la selle de cheval car celle d’agneau coûte trop chère.
Prenez une selle de cheval, une bonne selle de cheval entière fabriquée dans la fleur du cuir  pour la fleur de selle. Elle doit être  bien tendre donc choisir  une vieille selle car plus elle est vieille plus elle est tendre elle. Elle doit être bien parée.
Faites bouillir à l’eau froide et ajoutez les bridons  dès l’ébullition en prenant soin d’enlever les gourmettes qui serviront d’abats…
Attention, les étriers doivent être cuits séparément.
Quand tout est bien mitonné, hachez le mors en julienne puis incorporer du sparadrap pour faire comme une purée et mélangez.
Dressez le plat sur un harnais et servez bien frais.

A cette recette de Pierre Dac, j’ai  rajouté un peu de sel !

Lira - J'ai rajouté un peu de sel

Un peu de sel

J'ai rajouté
Un peu de sel à l'océan
Un peu de sable sur la grève
Un peu de rouge sur le couchant
J'ai rajouté
Un peu de lune dans l'obscur
Un peu de vent dessous la cendre
Un peu de temps sur la blessure
J'ai rajouté
Un peu de rêve à la distance
Un peu d'élan sur l'inconnu
Un peu de chant sous le silence
J'ai rajouté
Un peu de cri à la parole
Un peu d'éclat dans le regard
Un peu de souffle sur l'envol

J'ai rajouté
Un peu de feu sur le désir

Andiamo - J'ai rajouté un peu de sel


J'ai rajouté un peu de sel, puis lentement, très lentement j'ai remué le joli bouillon de bœuf
du pot au feu.
Quelques petits morceaux de légumes flottent un peu quand je tourne, puis retombent dans le fond du grand bol dès que cesse la rotation, je reste un instant à contempler ce tourbillon éphémère.
- Alors ce bouillon, ça vient ?
- Oui, oui, ma Cricri, j'arrive tout de suite.
- Putain c'que t'es gnan gnan tout de même ! Il va être onze heures et je n'ai toujours pas mon bouillon.
La strychnine, on la sent bien, même dans un bouillon de bœuf songe Robert, c'est pourquoi j'ai rajouté un peu de sel...


Laura Vanel-Coytte - J'ai rajouté un peu de sel

J’ai rajouté un peu de sel dans les repas de ma mère dans mon Aube en Champagne natale
Jamais plus personne ne m’a regardé d’un tel regard désapprobateur lorsque je me resservais
Je suis rentrée tard dans d’autres cuisines puis dans d’autres lits ; j’ai découvert le Champagne
Et ma vie est devenue pétillante à table et au lit ; depuis, j’ai toujours une bouteille au frais

Lorsque je suis partie pour mes études à Paris, puis dans la Marne, j’ai rajouté un peu de sel
Dans les soupes que ma mère me préparait pour la semaine, je les réchauffais sur un réchaud
A gaz en regardant de ma chambre de bonne au sixième étage un tout petit bout de ciel
J’ai découvert les distributeurs de repas et de café pour garder ma tête au clair des mots

Lorsque j’ai quitté le centre de ma ville natale pour une commune périphérique mais proche
C’est comme si on m’excluait d’un cercle très privé dont je ne faisais déjà plus partie
Je suis rentrée dans des restaurants et des hôtels, j’ai reconstruit une chambre imaginaire
Avec des morceaux de celle qui n’existait déjà plus depuis mes incursions dans d’autres vies.

Lorsque je suis partie pour le Nord, à deux heures environ de ma famille, j’ai gagné     
Le droit à l’oubli presque complet de mon existence : je n’ai eu qu’une visite en cinq ans
Alors que j’avais toujours le droit de passer voir mes grand-mères que j’ai tant aimées

J’ai gagné un aussi un paysage de chaleur et de gourmandise qui me plait tant.

Vegas sur sarthe - J'ai rajouté un peu de sel


Ma jouvencelle


J'ai rajouté un peu de celle
qui m'ensorcelle, celle que gemme
à mon petit coeur de bohème
émoussé, grisé, poivre et sel

J'ai rajouté un peu de selle

à cet endroit où le bât blesse
entre ensellure et sot-l'y-laisse
elle me tue ma jouvencelle

J'ai rajouté un peu de sels

je l'ai trouvée en pâmoison
contrainte au régime sans sel
draconien, plus que de raison

J'ai rajouté un peu de Celles
à notre hameau exterminé
au Salagou abandonné
sur nos clichés... quelques pixels

J'ai rajouté un peu de sel
une pincée entre deux doigts
à cet agneau montagnacois
farci fromage blanc, faisselle


(Finalement on est amants

on a rajouté du piment)

Semaine du 23 au 29 janvier 2017 - J'ai rajouté un peu de sel

Nous continuons, de semaine en semaine à égrener quelques thèmes anciens afin de rendre hommage à ce site d'écriture, un des plus pérennes sur la toile :)
Et comme nous adorons tous ici mettre notre grain de sel, nous vous proposons à présent d'écrire un texte qui a pour consigne :

Commencer ou finir par : "j'ai rajouté un peu de sel"

Bien entendu, qu'il soit en prose ou en vers, il devra impérativement nous parvenir à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com d'ici dimanche 29 janvier 2017 minuit

dimanche 22 janvier 2017

Dib - Le doigt sur l'interrupteur


La maison était spacieuse et joliment meublée. De génération en génération, les travaux successifs l’avaient toujours préservée des dommages du temps. Nous adorions y aller les étés. Ça avait toujours été le lieu de retrouvailles et il était nécessaire, année après année, de prendre en plus en plus de recul pour avoir tout le monde sur la photo.

C’est moi qui en avais hérité. J’y allais souvent seule, pour m’adonner à l’écriture, et parfois j’y emmenais ma sœur. Nos journées étaient alors ponctuées de discussions à bâtons rompus, de fous rires et de balades alentours.


Cette maison avait beau être ma muse, l’endroit qui me ressemblait le plus, je ne m’y rendais quasiment plus. Aussi avais-je confié la clé à Sylvie, qui, elle continuait de s’y rendre.


Elle prenait goût au bricolage, elle qui n’avait jamais trop rien fait de ses dix doigts, et m’avait dit y avoir démonté la vieille pendule -sans avoir réussi, je crois, à y rassembler les rouages dans l’ordre d’origine - ou encore avoir modifié le circuit électrique. Cela ne m’importait guère. La maison continuait à respirer, à vivre grâce à elle. Jusqu’à ce coup de fil, un soir…. Je reconnus à grand peine la voix de ma sœur, entrecoupée de sanglots. J’avais du mal à comprendre son message, il y avait du bruit derrière, un bruit qu’il m’était tout-à-fait impossible à identifier à distance. Puis une sirène, et une voix d’homme :


- Vous êtes madame Langlois ?

- Oui, c’est moi. Que se passe-t-il ? Qui êtes-vous ? Où est ma sœur ?

- Je suis le capitaine Cardou, capitaine de sapeurs-pompiers de la commune de Baux. Votre maison est en flamme, madame. Un feu difficile à maîtriser pour le moment. Vous est-il possible de venir ici ? Votre sœur est en état de choc, votre présence serait précieuse.


Comment était-ce possible ? La maison de notre enfance ? Que s’était-il passé ? 
J’avais la sensation que le monde s’effondrait. Pourtant, c’était à ma sœur qu’il fallait penser. Je cherchais mes clés de voiture à la hâte et partis, dans un état de semi-conscience. Heureusement, Baux n’était pas si loin, puis venaient ensuite, les dix derniers kilomètres de chemin cahoteux. J’en avais pour une cinquantaine de minutes. Arrivée sur place, la fumée et les flammes empêchaient de se rendre compte de l’ampleur des dégâts.

Au milieu de la chaleur étouffante et des hommes casqués je trouvai ma sœur, hébétée, l’œil hagard.
- J’ai juste mis le doigt sur l’interrupteur, tu sais. J’ai juste mis le doigt sur l’interrupteur.

Lilousoleil - Le doigt sur l'interrupteur

Il  posa son doigt sur l’interrupteur mais ne termina pas son geste. Il se retourna ; son regard fit un tour rapide de la pièce comme s’il faisait l’inventaire de cette salle de classe. Dans les petits villages, les écoles ne survivent pas à la modernité de nos vies trépidantes… Il faut regrouper, faire des économies. Les élèves devront désormais prendre un bus, faire vingt bonnes minutes de route, manger à la cantine et vivre une garderie…
Que faire de ces vieux bureaux qui sentent encore la cire d’abeille ? Il a tenu cette année encore à faire ce petit nettoyage qui réjouissait les enfants. Il entendait les rires, les pleurs. Il vit sur l’étagère, la pile de cahiers, un pot de crayons de couleur, vestiges d’une vie qui s’arrête. Les dessins des gamins encore affichés, la carte France et le globe terrestre ont l’air de le narguer tout comme l’écorché et son pendant squelette qui faisaient peur aux plus petits. Les étiquettes « grandeur » des premiers mots, des premiers sons que les CP ânonnaient jusqu’aux vacances de Noël. Et Noël quels souvenirs quand la veille des vacances, les plus grands jouaient une saynète de théâtre avant d’ouvrir leur petit paquet constitué, d’un livre, quelques chocolats et une orange. Que penser maintenant ? Il avait lui-même usé ses fonds de culottes sur ces bancs avant d’en être le maître après sa mère et encore avant son grand-père un des tout premiers instituteurs.
Demain, mais demain seulement, il viendrait chercher quelques vieux livres, des bleds anciens, la véritable bible de l’orthographe tellement malmenée et un antique manuel de calcul dont il se servait pour établir les problèmes.

Une dernière fois son regard effleura le tableau barbouillé de phrase lui souhaitant une bonne retraite… Il mit la main dans sa poche  pour sentir l’écrin  qui abritait le  stylo luxueux plume or, cadeau des élèves. Il pourra enfin prendre le temps d’écrire ses souvenirs. Il posa son doigt sur l’interrupteur et appuya fort.

vendredi 20 janvier 2017

Jacques - Le doigt sur l'interrupteur

Vous croyez aux miracles, vous ?

Moi, non. Les miracles, ces événements improbables à l'issue heureuse, balayant un horizon bouché au profit de perspectives heureuses, je les ai toujours classés avec les contes de fées, les récits fantastiques, dont je suis friand, mais avec raison.
Si je veux bien suspendre mon incrédulité le temps d'un film ou d'un livre, le sens des réalités n'est jamais loin et, si je chéris le souvenir de l'histoire et de ses personnages pour les heures d'évasion, j'en accepte les limites.
Enfin, ça, c'était hier. Avant. Il y a une éternité.

Tout a commencé par cette errance dans les vieilles rues d'Edimbourg, à la recherche d'un raccourci vers un restaurant du Royal Mile, dans une rue étroite aux pavés inégaux luisants de pluie. Mon costume de ville et mon pardessus étaient insuffisants pour ce début d'hiver écossais et j'étais transi, et j'avais faim. Il s'est fallu de peu de choses, une odeur, une bouffée de chaleur devant une porte entrouverte, et j'ai abandonné les recommandations de ce site de conseils de voyage pour m'engouffrer dans ce pub.

Il était mal éclairé, meublé de bois grossier, sans le moindre angle droit. On m'a indiqué une table, où je me suis installé avec soulagement, acceptant, sur la suggestion du serveur, le plat du jour.
Ce n'était pas du Haggis, mais j'ai oublié, parce que mon attention a vite été attirée, puis monopolisée, par la table voisine.
Une jeune femme y était assise, concentrée sur un calepin, indifférente à ma présence.
Elle dégageait une aura de sérénité mystérieuse, à l'opposé de mon monde frénétique et trivial de consultant.
Elle avait une silhouette élégante, et une belle chevelure rousse, aux antipodes de mon alopécie tenace et de l'effet délétère de mon abus de restaurants.
Elle a fini par refermer le calepin, balayé la salle du regard, et je n'ai pu détourner le mien. J'ai senti mon visage s'empourprer, et une lueur amusée dans ses yeux verts.
Miséricorde.
Elle m'a souri.
Miséricorde.
"Vous n'avez pas l'air d'un habitué" a-t-elle remarqué.

J'ai péniblement bredouillé une explication embrouillée, démenti cinglant de mes notes irréprochables à tous les tests de conversation anglaise.
"Mais au moins, vous êtes curieux, à ne pas vous précipiter dans un restaurant à plus de quatre sur cinq"
J'ai souri, enfin. Et recommencé à respirer, me raccrochant aux circonstances de ma présence pour regagner quelque contenance.

Nous avons poursuivi notre conversation, l'échange de considérations banales sur nos quotidiens, surtout le mien. Peu à peu, nous nous sommes découvert des centres d'intérêt communs, des livres, des chansons, des poèmes, et j'ai fini par surmonter mon incrédulité face à la situation, lorsque nous nous sommes retrouvés sur les pavés inégaux du trottoir toujours luisants de pluie, traversant Old Town vers Princes Street. Mon Hôtel était en vue. C'était aussi le sien.

J'ai presque été déçu : je m'attendais à ce qu'elle me guide à travers la porte d'une échoppe condamnée, derrière laquelle je découvrirais un urbanisme victorien secret, mais elle a sorti de son sac une carte identique à la mienne. Je l'ai suivie jusque dans sa chambre, obscure.

Elle a posé son doigt sur l'interrupteur, puis éclaté de rire.
"Nous ne nous sommes même pas présentés !"
"C'est vrai"
"Je m'appelle Lily"
"James" ai-je répondu, avant de rougir et de bredouiller.

Son sourire s'est éclairé, et comme une flamme s'est allumée dans ses yeux émeraude. Elle a lâché l'interrupteur, libéré ses cheveux de la baguette qui les maintenait en un chignon flou et murmuré
"Lumos".

Où lire Jacques

Arpenteur d'étoiles - Le doigt sur l'interrupteur

Un interrupteur magique.

Une maison comme un navire échoué près des côtes. Bâtisse de pierre plantée au milieu d’un parc en friche, à la lisière d’une ville calme et rurale.
Il a poussé le lourd portail de fer, marché dans l’allée envahie d’herbes folles et bordée de chênes séculaires. Quelques marches, un très large perron et la clé grinçant dans la porte à deux battants de bois noircis. L’escalier monumental. Ses pas résonnent en montant jusque sous les combles. Une autre porte entrouverte. Clair-obscur. Une poussière dorée danse dans ses rayons obliques.

Il a un peu plus de vingt ans. Ses parents viennent d’acquérir la « maison du marquis ». Elle n’a pas changé depuis qu’il est gosse. Restée inhabitée, sauf parfois en été, quand la famille descendait de Paris pour les vacances. Il en a tellement vécu de ces inoubliables mercredis passés dans le parc, à jouer aux explorateurs. Dans le secret, seul, rêveur, l’esprit rempli des aventures de ses héros, personnages de ses lectures enfantines puis adolescentes. Il avait découvert un passage menant jusqu’à la serre, qu’il ne révéla à personne. Il n’avait jamais cherché à entrer dans la maison.

L’achat fut conclu hier, chez le notaire du coin. Son père lui confia la clef et lui souffla dans un sourire complice :
- Guillaume, va visiter la maison avant qu’elle ne se vide et que les travaux commencent. Quand tu reviendras de Londres vers Noël, « il y aura déjà du mal de fait ». Je crois savoir que tu as là-bas des souvenirs ...

Il est assis sur un lit de fer recouvert d’une courtepointe fleurie. Des malles ouvertes, des habits surannés, des piles énormes de livres aux reliures ornées de feuilles d’or aux cuirs jaspés et noircis. Et puis devant lui deux tableaux qu’il découvre tout en pensant les avoir toujours connus. Il les nomme d’instinct, « la jeune fille au chapeau » et « la blonde vaporeuse ». Il est fasciné par leurs regards, leurs attitudes, l’une semblant plus timide, l’autre plus hautaine ou, pour le moins, sure d’elle.

Le jeune homme se lève et mécaniquement pose le doigt sur un vieil interrupteur. Alors le mur commence à trembler puis se fond et laisse une immense image flottante du parc bien avant la guerre de quarante. Les deux jeunes filles marchent dans l’allée. Une romantique, rêveuse, amoureuse permanente portant chapeau à fleurs, serrée dans un corset et jupe à tournure. L’autre, icone des années trente, meneuse de revue, libre et volage, en robe charleston, ornée de longs colliers et tenant un immense porte-cigarette.
Guillaume s’est à nouveau assis sur le lit, sidéré, tremblant. Il observe cette représentation allégorique et surannée. Puis ce tableau métaphorique pâlit, puis disparaît laissant la cloison de bois revenir dans la réalité, baignée par un soleil tombant des lucarnes ternies.

Guillaume redescend et dans l’entrée une jeune fille est là, longue, fine, belle. Un regard tendre, espiègle, mutin. Un sourire indéfinissable et l’ovale de son visage encadré de longs cheveux châtains. Il est figé, les bras ballants, et finit tout de même par murmurer :
- Mais qui êtes-vous ?
- Je suis la fille de ceux qui ont vendu la maison à vos parents. Je voulais revenir pour la revoir. Cette maison est pleine de souvenirs de si belles vacances. Et puis dans quelques jours je pars à Londres pour continuer mes études. Alors, je sais que je n’y reviendrais jamais.

Assis sur le perron, ils profitaient des derniers rayons du soleil avant qu’il se glisse derrière les grands arbres des bordures. Ils s’étaient trouvé des points communs, musique, sport, goût des voyages et études quasi similaires. Ils se promirent de se contacter quand ils seraient en Angleterre.

Et puis soudain, dans la grande allée en contre-jour, deux silhouettes apparurent. Un signe de la main comme un au revoir et elles s’évanouirent. La jeune fille murmura au bord des larmes :
- Les cœurs et la couleur des saisons changent sans cesse. Une dernière page vient de se tourner, un livre de se refermer. Mais toi et moi, nous avons toute la vie devant nous.

Elle effleura sa main, se leva, descendit les quelques marches et disparut à son tour dans l’ombre qui gagnait peu à peu le reste du parc.

Tisseuse - Le doigt sur l'interrupteur

Haute tension

Je tourne l’interrupteur
Qui fait commutateur
Avec un courant
Électrique surpuissant
Le grand communicateur
Celui qui nous met en phase
Avec une existence hors case
Sensation disjonctée
Quasi survoltée
Effrénée

jeudi 19 janvier 2017

Georgia - Le doigt sur l'interrupteur

Le café

Il posa son doigt sur l'interrupteur.
La petite lumière rouge et le ronronnement de la cafetière répondirent à son geste.
Il sourit franchement.

Quand il est arrivé dans ce bureau, on y faisait le café tout les matins. Tout le monde se retrouvait vers onze heures pour boire une eau chaude, café, thé ou infusion ; on papotait, on riait. Tout n'était pas rose au boulot, loin de là, mais l'équipe se serrait les coudes.
Du temps a passé. Changement de chefs. Transition dure. Tout le monde en a pris pour son grade, individuellement. On a arrêté d'allumer la cafetière le matin, parce que le café finissait dans l'évier : chacun buvait nerveusement de l'instantané dans son coin. Il s'est dit que c'était dommage, mais que c'était comme ça, il faudrait bien faire avec. Ou plutôt sans.

Pourtant après des mois très pénibles, ses collègues ont recommencé à se parler. Doucement au début, quelques phrases le matin là où il n'y avait plus qu'un "bonjour, ça va" qui n'attendait pas de réponse. Puis, à la faveur de l'embauche d'une personne joyeuse, les fous rires sont revenus. Enfin, un jour, "pourquoi on ne se sert plus de la cafetière, au fait ?"
Il regarda le café couler. Les collègues viendraient bientôt le partager.

Où lire Georgia

Daniel Hô - Le doigt sur l'interrupteur

maître du destin
l’instant d’un temps suspendu
ordonne à la vie

Saraline - Le doigt sur l'interrupteur

De l’utilité de certains interrupteurs

Il s’assura qu’elle était bien occupée à engranger la dernière récolte de fruits, vérifiant le degré de maturité des dernières poires. Elle rangeait soigneusement chaque cagette, attentive à les poser sur le bon rayonnage, selon leur variété.

Il se dit qu’elle en avait pour un bon bout de temps ; la récolte était particulièrement abondante cette année. Il ferma précautionneusement la porte de la chambre froide et pour une fois, ne trouva pas inutile que la température de ces machines puisse descendre jusqu’à moins 30. Ostensiblement, il positionna l’onglet sur cette position et posa son doigt sur l’interrupteur, juste avant de tourner les talons en sifflotant d’un petit air léger.

Personne ne pouvait l’entendre mais les notes de « Tout va très bien, Madame la Marquise » se perdirent dans le long couloir qui menait au fond de la remise.

Pascal - Le doigt sur l'interrupteur

L’examen 

A trente-deux ans, les vicissitudes de ma vie professionnelle m’avaient ramené sur le banc des écoliers. Après dix-huit heures trente, nous, « les grands », on investissait les couloirs du lycée. Les cours du soir, c’était ces fameux cours où nous nous retrouvions une soixantaine, dans une petite classe, à écouter religieusement l’homélie du professeur.

En début de saison, je me souviens de l’enseignant impressionné par des bonhommes bien plus grands que lui, par leurs barbes fournies et par leurs voix rocailleuses d’adultes.

Il y avait des femmes aussi. Le foulard sur les cheveux, comme à l’église, le cahier dans le cabas, devenu cartable, et la mine fatiguée, elles suivaient les cours avec une grande opiniâtreté, un grand courage. Tous, on allait chercher des chaises dans d’autres salles, on se mettait à quatre par bureau, ou on restait debout au fond de la classe. 

L’ambiance était studieuse ; on écoutait la bonne parole. Adultes consentants, on prenait des notes et des notes, on tirait des plans, on se prêtait nos gommes, nos règles, on arrachait quelques feuilles de notre cahier pour les distribuer et on prêtait des stylos à ceux qui n’avaient que les yeux pour apprendre. Pas une mouche ne volait, tant on prêtait l’oreille pour ne rien perdre de la Science que le prof nous distillait. Pas de récré, pas de chahut, nous étions là pour modifier le cours de notre destin, enrayer la cabale ; nous avions un besoin impérieux de Savoir. Et si, parfois, il giclait quelques rires, ils étaient graves, nerveux et fragiles, comme des soupapes de décompression d’adversité trop retenue… 

Plus tard, dans la soirée, arrivaient les retardataires, tout contrits d’interrompre le cours, et leurs excuses étaient tellement valables que personne, pas même le professeur, ne s’indignait de leur dérangement. Il suffisait de regarder leurs yeux perdus dans la lumière, leurs mains sales ou leur tablier de ménagère, pour les absoudre…

Quand on est jeune et qu’on ne comprend pas, ce n’est pas grave mais quand on est homme, femme, qu’on a la charge de sa famille, des responsabilités, des soucis, des crédits, la transpiration qui perle insidieusement au front n’est pas sportive. On a la gorge sèche d’une salive absente et le furieux yoyo de la glotte n’est pas un jeu de préau ; on se sent petit dans ses vêtements ; il nous pousse des points d’interrogation sur la tête comme une tignasse d’inculture. On se dit que notre cerveau est plus épais qu’une chape de béton et que plus rien ne pourra jamais y pénétrer. On se dit, qu’en fin de compte, on n’est bon qu’à balayer les trottoirs, à pointer à l’ANPE, et à faire des gosses pour toucher les allocations.

Pourtant, maladroitement, du fond de la classe, on lève le doigt, on veut faire répéter au prof sa dernière phrase, son dernier chapitre, son dernier cours. Il va peut-être se moquer, se servir de nos lacunes et se lancer dans une autre de ses diatribes techniques pour nous couler tous, parce qu’il en a marre de voir nos têtes de ratés. Le silence qui pèse entre la fin de notre question et le début de sa réponse est tout le poids de l’Ignorance…

Le pire, le pire, c’est quand il faut rentrer à la maison et expliquer tout cela à sa femme ; lui rendre compte, sans jamais lui dire, qu’on n’est qu’un imbécile rempli d’ignorance mais, dans un élan de matamore, celui qui entretient l’illusion, on lui réclame sa soupe comme un dû au problème qu’on n’a pourtant pas été foutu de résoudre… 

Les cours du soir, c’est comme une gare pour les attardés ; les billets sont les mêmes, les horaires sont de tout âge et les paysages du tableau noir sont des champs de Culture…

Au bout de trois mois, l’écrémage avait sévi ; les rangs resserrés, nous n’étions plus qu’une dizaine à affronter les plans de bataille des problèmes difficiles. Je m’accrochais, j’étais encore présent à l’appel. Je ne vous parle pas des nuits d’insomnie, ces nuits blanches à noircir des cahiers d’exercices, à potasser des livres épais comme la Bible, tous les week-ends que j’avais sacrifiés aux révisions, toutes ces sorties dominicales dont j’avais privé ma famille.

Les dubitatifs pariaient sur mes chances de réussite. Malgré ces jaloux, leurs chansons de sirène et ceux qui me serinaient à longueur de journée que je perdais mon temps, j’avais insisté, je m’étais obstiné, je croyais en moi, en mes capacités et à la chance de ceux qui façonnent leur destinée. Mille fois, j’ai voulu abandonner pour autant de bonnes raisons !

Même ma femme s’était retranchée dans le camp adverse ! Au plus vite, je devais cesser cette entreprise tellement prenante et au succès tellement aléatoire ! Mais tous les soirs, je repartais au combat ; inlassablement, je remettais mon ouvrage sur le métier…

C’est enfin le jour fatidique ; sans relâche, j’ai étudié pendant deux ans pour arriver, potentiellement prêt, jusqu’à cette date ; deux ans de travail, de sacrifice, d’atermoiement, de peine, de doute, pour avoir l’opportunité suprême d’être présent devant cet établi.

Je suis à l’ouvrage sur ma maquette ; c’est un entrelacs de fils, de relais, de bobines, que je dois raccorder jusqu’à son fonctionnement optimal. J’ai huit heures pour accomplir cette épreuve ; coefficient huit, autant dire que c’est le point d’orgue de l’examen. J’ai les plans devant les yeux ; circuits de commande, circuits de puissance, matériel d’automatisme, schémas techniques, rien ne manque. Tournevis, pinces, testeur, fer à souder, tout est à portée de ma main ; c’est à moi de jouer…

Les huit heures se sont écoulées si vite ; chacun à notre tour, nous allons présenter notre réalisation au correcteur sévère. Le gars, devant moi, tire la gueule, sa note est rédhibitoire ; il repiquera encore une année s’il ne laisse pas tout tomber. Est-ce que ce que j’ai appris pendant deux ans est suffisant pour être ici ? Est-ce que je suis à la hauteur de toutes les privations que j’ai subies et que j’ai fait subir, pendant ces deux années ?...  

C’est mon tour, je tends ma platine à l’examinateur ; je tremble un peu, mes yeux brillent de fatigue nerveuse, c’est le vide sidéral dans tout l’espace de l’atelier. Implacablement, il la branche sur le secteur, pose son doigt sur le bouton de l’interrupteur et… l’actionne… 

mercredi 18 janvier 2017

Tiniak - Le doigt sur l'interrupteur

A Vegas-sur-Sarthe
Clic!

Et puis t'il y eut la mort du Chien
au p'tit matin
son drame
(celui de ravager de flammes, la nuitée)
d'amorcer la neuve journée
mais l'air de rien
mains dans ses poches de brouillard
disant : "maintenant, c'est plus tard"
Ah, dieu ! Peu l'âge
quand il n'est, âpre et tout, question
que de s'aimer, entiers, le cul nu sur la plage
encore, au bord de ses tréfonds

Le chien ? Mais si ! Tu te rappelles
comme il allumait les poubelles
d'un seul aboi
pour feu de joie
Qu'ça brillait fort durant la nuit
jusqu'aux rivages des Inuit
le vent du nord gonflant les focs
et sa chanson - connue défroque !
du marais
Ho, ho ! Pardon...
Point de Marais, mais bien plutôt du Jean Sablon

Claque !

Et puis t'il y eut la belle odeur
d'un cent de fleurs
leur âme
(la seule qu'adoube les femmes à ravir)
exaltante et près... t'à frémir !
mais sans douleur
les yeux engourdis de "...Mens, songe !..."
priant : "Qu'on me donne une éponge !"
Et merde, quoi !
Ce bouquet, c'est du lourd (saynète !)
que de s'aimer, entiers, sans profession de foi
lents sur les traces de Hamlet

L'odeur ? Mais si ! Tu t'en souviens
Elle importait, tu sais... du chien
la confiture
tellement sûre
qu'ça puait fort, la nuit durant
(à vous gaver les graves gens !)
ses vents perdus sous les braguettes
sans moyen de lever la tête
et jurer
Ha, ha ! Coriace...
Mais prompt fumet n'est certes pas une menace

Clic !

Et puis t'il y eut ce bel instant
(Cybèle ! ardent...)
du besoin de suspendre l'heure
où z'elle m'invita, doigt sur l'interrupteur
cachant encore un peu ses formes
(rien que de douillet, rien d'énorme...)
Et ce fut bientôt lumineux
quand se fit l'ombre sur nos corps libidineux
caresse intime, souffles brefs...
Et confession sur l'oreiller
"Je n'ai pas payé l'EDF"

Claque ?

Où prendre ces clics pour des claques

Chri - le doigt sur l'interrupteur

Interrupteur à Zeugma.

Il posa son doigt sur l'interrupteur. C’était un interrupteur qu’il chérissait, un vieux modèle qu’on ne fabriquait plus que très rarement. C’était un interrupteur à zeugma.

Cependant, il n’appuya pas de suite, il garda le doigt dessus sans le presser, comme s’il s’agissait un bouton de déclenchement de la force de frappe nucléaire, comme si le fait d’appuyer ou pas allait changer la face du monde, l’avenir de la planète, de l’humanité, voire même de l’univers. Le fait de retenir son index, de ne rien lui laisser tenter, fit monter en lui un sentiment de puissance extrêmement violent d’une puissance presque divine. Allongé sous sa couette, là, le doigt sur son bouton il était Dieu, son fils et l’esprit malsain réunis. Il était immortel, invincible, il était celui qui décide, qui choisit, qui tranche. Il n’avait jamais de sa vie éprouvé un telle force, excepté quand il s’était trouvé plusieurs fois devant une fourmilière animée. Là oui il avait été envahi pas une toute puissance déferlante, saisissante puisqu’en un seul coup de pied, il pouvait tout anéantir.

Il n’en fit rien mais n’en pensa pas moins. Cet extravagant orgueil !

Mais ce soir il n’était pas vraiment à son avantage, à moitié nu, sous une couette d’hiver en plumes d’oies, un doigt sorti de dessous les plumes, prêt à appuyer, fourbu de fatigue…

Il attendit encore quelques secondes, une petite minute qui lui sembla durer une éternité, puis enfin, les yeux déjà mi-clos, il pressa l’interrupteur et la lumière se jeta hors de la pièce.

Alors, au même instant, il plongea dans le noir et dans un sommeil profond.