jeudi 23 mars 2017

Bricabrac - Ma chère Madeleine

Les origines de l’amour

Quand j’eus fini de réparer la machine pneumatique, dont la nébuleuse était tombée en panne, je passai acheter des fleurs sur le chemin du retour, et me rendis à la boutique qui se trouve dans la venelle sombre donnant sur la voie lactée. Beaucoup continuent à l’appeler La Queue du Lion, mais depuis que l’enseigne a changé de propriétaire, c’est La Chevelure de Bérénice. La devanture était illuminée. Je fis composer un bouquet de dénébola éclatantes, mêlées à ces géantes bleues importées de la croix du sud qu’on appelle mimosa, et le fis envelopper dans du papier cristal.

En sortant du magasin, je croisai le bouvier, qui menait paître ses sept bœufs dans les prairies étincelantes de la couronne boréale. Vers l’horizon ouest, sous le radiant du ciel obscurci, un éclair zébra un instant la girafe, tandis que le cocher, chantant a capella pour se donner du courage, fouettait les chevaux de son quadrige, fuyant l’orage qui menaçait. Je ne pus échapper tout à fait à l’averse, et lorsque je poussai la porte du sas et m’ébrouai, frappant mes bottes l’une contre l’autre, une myriade de perséides dessina en l’air la roue du paon qui se pavane dans l’hémisphère sud.

À cette heure matutinale, Vanessa arrosait nos salades. Elle sourit à mon bouquet. « J’ai pensé que, même si ce n’est pas explicitement prévu dans le protocole expérimental, ces fleurs allaient nous aider. » Vanessa acquiesça et les posa sur la table de nuit, qui dérivait nonchalamment dans la station. « La Terre a appelé, dit-elle. Nous approchons de la zone d’ombre. Il faut enclencher le compte à rebours. » À ces mots, j’accélérai mon cœur d’1 kilomètre par seconde. Elle en fit autant. J’aimerais, sans jargon, par un effort de vulgarisation qui me fasse comprendre des écoliers qui suivent notre aventure en direct, trouver des mots simples pour expliquer le programme de travail du jour. Il s’agissait de vérifier la possibilité, pour des cosmonautes entraînés, de reproduire en impesanteur les gestes de l’amour, afin de pouvoir envisager dans le futur des voyages dans l’espace en amoureux, voire, à plus longue échéance, qu’on y fondât des familles.

Vanessa est russe. Jamais je n’aurais pensé que la langue russe fût si douce et voluptueuse. Hélas, le programme était si chargé que notre baiser ne dura que le temps de survoler le Venezuela. Nous nous dévêtîmes à la hâte au-dessus du Brésil. Respectant à la lettre les instructions, nous nous livrâmes à des travaux préliminaires, qui nous occupèrent jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Quand nous arrivâmes à sa verticale, nous étions tout près du triangle austral, dont la magnitude blonde m’éblouit. Il serait fastidieux de relater ici tous les détails techniques de l’expérience, qui dura 45 minutes comme il était prévu, et dont le succès fut salué au sol par les hourras des ingénieurs, qui l’avaient suivie sur leurs écrans. D’ailleurs, nous avons tout consigné dans un rapport accessible à tous.

La nuit s’acheva, et Apodis, l’oiseau de paradis, commença de chanter comme nous émergions de la zone d’ombre. Au hasard essoufflé de l’amour, nous flottions tête-bêche, comme les poissons du zodiaque sous l’œil bienveillant de Pégase. Nous ouvrîmes les rideaux des hublots pour admirer le jour naissant. Nous survolions Paris. La Seine s’écaillait comme un serpent gris et la pluie ruisselait des gouttières, les moineaux sautillaient dans les flaques. Je désignai à Vanessa les rues et les monuments remarquables, qu’elle reconnaissait grâce aux tableaux de l’Ermitage. « Oh, cette chère Madeleine de Pissarro », s’écria-t-elle. À moins que ce ne fût de Caillebotte. Sur sa prière insistante, nous fîmes halte et descendîmes boire un verre à une terrasse abritée, riant des passants qui couraient après leurs parapluies tordus par le vent. Elle acheta un sachet de madeleines dans une pâtisserie de la place en souvenir, et sitôt que nous eûmes regagné notre vaisseau, nous repartîmes pour le tour de la terre. Depuis ce jour, l’impesanteur nous pèse moins.

7 commentaires:

  1. Tu me fais plaisir, j'ai des souvenirs z'émus de cette place de la Madeleine et surtout du magasin des 3 quartiers situé en face (aujourd'hui Madélios) une petite vendeuse... Soupir ];-D

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    1. Ça alors ! Nous aurions tourné autour de la même petite vendeuse !

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  2. Un programme amoureux qui m'a laissé en impesanteur... difficile de croire au septième ciel maintenant

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    1. Et pourtant, c'est bien le septième ciel qui a décidé de ma vocation d'astronaute

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  3. Cette expérience amoureuse en apesanteur
    Valait, sans doute, un bouquet de fleurs.

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    1. L'amour est histoire légère
      Pour peu qu'on quitte l'atmosphère

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  4. Arpenteur d'étoiles27 mars 2017 à 17:55

    quel texte à la fois poétique et génial. Vanessa est douce et astronaute comme toi, volant dans le cosmos et l'amour toujours là !!

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