mardi 28 février 2017

Chri - A bout de souffle

Dès qu’il arrivait à la maison, il se changeait. Aux pieds, il enfilait des Air Max qui coûtent un bras, sur les fesses, un short, en haut un vieux tee-shirt un peu troué sur l’épaule à cause des nombreux lavages et roule. Enfin plutôt cours ! Il sortait du jardin et il empruntait le petit sentier vers le fleuve. Ouf ouf les premiers pas étaient en descente, une bonne centaine de mètres par l’escalier ouf ouf ça passait tout seul juste un peu les genoux douloureux mais ça avançait vite ouf ouf sur la berge, il tournait à gauche jusqu’au pont, la partie la moins agréable du parcours puisqu’il était obligé de courir ouf ouf sur le trottoir dans l’odeur des échappements des voitures. Il passait le premier pont et ouf ouf sur la promenade de l’autre côté. Là une ligne droite de deux bons kilos ouf ouf qu’il avalait à s’en brûler les cuisses et les poumons. Il se faisait mal aux jambes pour ne pas avoir mal tout court. Tous les soirs ouf ouf depuis qu’elle lui avait dit j’en ai marre, je veux autre chose. Autre chose ? Ouf ouf mais quoi ? Tu veux partir ? J’y pense ouf ouf j’y pense… Il avait encaissé et depuis cette annonce, quand il rentrait il courait une heure, une heure entière à fond, à bloc ouf ouf pour se calmer pour se vider de la colère qui l’avait agrippé, qui lui serrait le cœur ouf ouf il savait qu’elle en était capable, qu’elle était fichu de le faire il en avait peur alors il courait pour ouf ouf éloigner cette perspective. La ligne droite engloutie, il passait sur l’autre pont ouf ouf il était rouge en nage les yeux cernés les épaules lourdes comme des cuisses ouf ouf il passait sur la rive et accélérait encore de plus belle en profitant ouf ouf de la descente du pont. Dix ans qu’ils étaient ensemble, dix années et très peu de nuages entre eux à part ce gros orage ouf ouf elle en avait eu marre d’un coup il n’avait rien vu venir ouf ouf alors il courait pour s’oublier, pour s’exténuer, pour se détruire. Il arrivait maintenant devant les escaliers qui remontent ouf ouf à la maison, il était maculé de sueur et de boue, les traits creusés ouf ouf et il s’enflait les cent marches le plus vite possible pour se vider du peu de forces qui lui restait ouf ouf Arrivé en haut, devant chez eux, il soufflait comme une usine de forge, il se courbait en deux les mains sur les genoux, il était mort, vidé, sans force, anéanti.
Leur amour était à bout de souffle. Lui avec.

Où lire Chri
Où voir ses photos

Arpenteur d'étoiles - A bout de souffle

Ultime rêve

J’ai vu des vallées bleues où le soir qui s’écroule
Illumine en soleil le sommet des mélèzes
Et semble habiller d’or leur immobile houle
Qui bat l'éternité sous le vent des falaises

J’ai vu des ports étranges où les odeurs d’épices
Des huiles et des parfums emmêlent leurs fragrances
Pour habiller de nuit les superbes métisses
Qui vont vendre leurs corps aux marins en partance


J’ai vu, j’ai vu … j’ai vu tant et tant de choses.
J’en ai rêvé tant d’autres encore.
J’ai écrit ces vers il y a maintenant si longtemps.
Que font-elles là ces rimes oubliées que j’avais inventées pour toi, quand tu m’avais demandé de te raconter ma vie, moi qui ne sait pas parler. Elles disent un homme qui n’existe plus. Elles surgissent du passé comme un signal, peut-être un ultime signal de la destinée.
Elles relient un néant lointain à un autre néant si proche désormais.
Aujourd’hui vieil homme aux paupières tremblantes, je vis dans les friches de ma mémoire. Mes gestes se fissurent peu à peu. Parfois ma cuillère heurte la pointe du menton avant de trouver la bouche. Mon souffle est court et ma respiration parfois me fait défaut.
Je marche sur un fil à l’équilibre instable dans un pantalon trop grand pour mes jambes frêles. Ma voix se brise et se perd. Que puis-je y faire ? Mes amours sont les ombres blanches de mes nuits sans sommeil.
Mon véritable amour m’attend, patiente, au bout du dernier quai. Ma seule fidèle compagne est la solitude qui m’entoure. Et puis il y a le silence, partout le silence.
Ce silence qui appelle le cri du vieux portail, qui appelle le bruit de ton pas sur les graviers de l’allée, qui appelle ton rire d’eau claire, qui appelle ta voix, simplement ta voix.

Et pourtant si tu voulais, si tu voulais, toi pour qui la vie est comme un bal sur une place en fête, si tu voulais revenir … une fois, rien qu’une fois.

Je te dirai les jours anciens
Les jours de miel et de vanille
Quand tu étais petite fille
Et que ta main prenait ma main
Je te dirai mes souvenirs
Les vrais et les imaginés
Les vrais et puis les inventés
J’ai toujours su si bien mentir

Je te rendrai ceux là, tous ceux que tu as oubliés.
Je te rendrai les matins de givre quand le souffle cristallise le bord des lèvres en voie lactée.
Je te rendrai le cerisier immense bruissant d’abeilles qui embaumait nos mois de mai.
Je te rendrai la quiétude de l’été qui s’étire derrière les persiennes à demi fermées.
Je te rendrai septembre et nos pas à l’unisson dans le sang de l’automne.
Avant que je ne me fonde dans une quelconque éternité, avant que ne tombe le rideau sur ma nuit, je te donnerai ces derniers rayons de bonheur …

Les monts du Pilat, entre Saint Etienne et le Rhône
Où lire l'Arpenteur

lundi 27 février 2017

Vegas sur sarthe - A bout de souffle



De mes doigts décharnés sortis de la mitoufle
j'ai osé caresser le sein lourd qui s'offrait
elle m'a insulté, poussé des cris d'orfraie
honteux, agonisant, j'étais à bout de souffle

Alors du bout du pied j'ai pris une pantoufle
quand au bout de mon lit l'autre me provoquait
je voulais ricaner, jouer les paltoquets
c'était trop demander, j'étais à bout de souffle

Sous ma peau palpitait le défibrillateur
j'aurais voulu mourir et vivre en même temps
où était le crâneur pédant, le capitan ?

Cynique ou inconsciente elle a tourné le dos
livrant à mon regard le plus beau des cadeaux
je n'étais qu'à deux doigts... du but... Allô, docteur ?

 Où voir souffler Vegas sur sarthe

Pascal - A bout de souffle

La course 

Les hommes, quand ils courent, ils ne pensent pas, et c’est pour cela qu’ils courent.

Tout gamin, ça commence dans la cour de récré ; c’est après un ballon, puis c’est après les filles, puis c’est après un emploi, puis c’est après les vacances et c’est après la retraite. Toute leur vie, ils courent après la réussite et la fortune. Certains de leur auréole, ils courent après la coupe, la victoire, le challenge, la gloire, les lauriers. Ils courent sur les champs de bataille, ils courent les soldes, ils courent les expositions, les cinémas, les boulevards, les alcôves. Ils courent deux lièvres à la fois, ils courent le guilledou, ils courent à perdre haleine. Ils courent après une augmentation, après des illusions, après des chimères ; ils courent après un Dieu, après le bus, après la gueuse, après tout ce qui brille. Ils ne tiennent plus, ils courent ; ils ne partent pas à point, ils courent ; dératés, ils courent. Autour du monde, ils courent à l’aventure, et quand ils retournent à leur point de départ, ils repartent en courant à la conquête des étoiles ; ils courent en avant pour ne pas tomber en arrière.

C’est une course contre la montre pour rattraper le Temps, comme s’ils voulaient le doubler, comme s’ils voulaient le dominer de leur éphémère place de premier. Vieux, ils regardent courir les autres, au stade, à la télé, aux champs de course, au cimetière. Toute leur vie durant, les hommes, ils courent à leur perte, ils trébuchent, et ils meurent en courant.

A bout de souffle, comme des fugitifs dans la prison du Temps et de la planète, ils courent pour dépasser l’Ennui, celui qui les ramènerait indubitablement à leur condition précaire d’illusoire passager terrestre. Comme des acharnés, ils font l’Amour en courant, ces volages ; ils courent, inlassablement ils courent, et leur seule empreinte temporelle est leur descendance, elle-même se mettant naturellement à courir après le jour, la naissance, le sein, la cour de récré, le ballon, et tout recommence …

Andiamo - A bout de souffle

- Allons Madame Cauchois, remettez-vous, calmez-vous, ici vous n’avez rien à craindre.
Irène Cauchois, soixante ans, vient de raconter pour la énième fois, son cauchemar récurrent au Docteur Mouchaud.
Elle se couche tous les soirs vers vingt-deux heures trente, vingt-trois heures, selon la durée du film passant à la télé.

Avec son mari Claude, ils se sont abonnés à un bouquet satellite, étant tous deux à la retraite, histoire de combler le temps libre, avaient-ils déclaré en guise de justification.
Cet abonnement leur dispense des films à profusion, ils adorent cela, les films, surtout les productions Américaines. Bruce Willis, Harrison Ford, Julia Roberts ou Richard Gere les comblent d’aise.
Le mot FIN à peine apparu sur l’écran, ils vont se coucher, pipi-room, un baiser du bout des lèvres, le bonn’ nuit rituel, elle s’endort facilement, Madame Cauchois.

Au beau milieu de la nuit commence le cauchemar, toujours de la même façon.

Une horrible sensation de froid intense au niveau du cou, puis elle ressent la glaciale reptation d’un serpent glissant lentement d’une oreille à l’autre. Malgré le froid du reptile, elle transpire abondamment, son pouls s’accélère, le cœur s’affole, bat la chamade, une douleur atroce lui cloue la poitrine, elle est à bout de souffle.
Cette douleur est due à son angine de poitrine, laquelle est traitée par son médecin, le bon Docteur Mouchaud.

Puis la reptation reprend, cette fois dans l’autre sens. Elle se débat, suffoque, hoquète, jusqu’au moment où, harassée, tremblante, clouée au matelas par l’horrible douleur, elle se réveille. Claude est là, heureusement, il lui tient affectueusement la main, la rassure : 
- Réveille-toi, Irène, c’est encore ton horrible cauchemar ! Voilà, c’est fini, ma chérie, apaise-toi !
- Alors, Docteur, je me calme, la douleur s’apaise lentement, quel soulagement ! Heureusement, mon Claude est là !
Affectueusement, Monsieur Cauchois a pris la main de son épouse.

Claude Cauchois, soixante et un ans, bel homme, grand, bien conservé, les tempes argentées, l’œil vif, sportif, ses quatre-vingts kilomètres hebdomadaires à vélo ne lui font pas peur, sans compter ses mille mètres crawl, quarante bassins tout de même, en moins d’une demi-heure, accomplis chaque vendredi à la piscine municipale.

Irène est plus mémère : après ses deux enfants, elle a conservé tout l’excédent de poids pris au cours de ses grossesses, ensuite, le quotidien, un travail sédentaire, peu de goût pour l’effort, préférant la tapisserie au vélo ou à la natation.

Et puis cet infarctus, survenu trois ans plus tôt, les urgences à Bichat, depuis un régime strict.
- Bien contrariants, ces cauchemars, déclare le Docteur Mouchaud. Vous savez, Madame Cauchois, votre cœur est bien fatigué et ces crises qui font augmenter de manière alarmante votre rythme cardiaque au point de provoquer des malaises vous menant au bord de l’infarctus m’inquiètent beaucoup… Vraiment beaucoup. Je vais vous prescrire un petit tranquillisant. Oh ! Pas quelque chose de violent, dans votre état, avec votre angor, plus votre arythmie chronique, il est évident que ce serait absolument contraire, par contre un petit décontractant pris une heure avant le coucher, devrait vous aider à vous débarrasser de cet horrible cauchemar.

Rassérénés, Madame et Monsieur Cauchois regagnent leur petit pavillon de banlieue situé dans une rue tranquille de Chaville.
La journée s’écoule, quiète et monotone.
Le soir, quel bonheur ! Le quatrième volet des aventures d’Indiana Jones : le royaume du crâne de cristal ! Tout un programme…

Après le générique de fin, Irène et Claude vont se coucher, Madame s’endort quasiment instantanément, sans doute le décontractant pris une heure auparavant, Claude ne tarde pas à la rejoindre.
Deux heures dix-sept, Claude a ouvert un œil, toutes les nuits aux environs de deux heures, il se réveille, et cela depuis de nombreuses années.
Précautionneusement, il écarte la couverture, se lève, remet la couverture en place, s’éloigne sur la pointe des pieds, ramasse au passage sa robe de chambre, posée sur le pied du lit.
Il n’allume pas, sa maison il la connaît par cœur, il est capable de la parcourir en pleine nuit sans rien heurter, il se dirige vers la cuisine.

Une légère odeur de nourriture flotte encore dans la pièce. Il se dirige, toujours dans le noir, vers le grand réfrigérateur-congélateur, ouvre la porte de ce dernier, fait glisser la ceinture de sa robe de chambre, la roule en spirale , puis la pose sur l’une des étagères du congélo, il referme doucement la porte.

Avec d’infinies précautions, Claude tire l’un des tabourets rangés sous la table, allume le petit néon situé au-dessus du plan de travail, puis il ouvre tranquillement la pochette contenant son portefeuille.
Il a sorti une photographie : elle représente une jeune femme, mince, jolie, un sourire angélique découvre ses dents magnifiques, elle semble lui dire "je t'attends".
Claude caresse amoureusement la photographie, un sourire sur les lèvres, puis la remet en place.

Une vingtaine de minutes plus tard, il se lève, remise le tabouret sous la table, ouvre le congélateur, saisi sa ceinture, et se dirige vers la chambre, tel un chat.
Le voici debout, près de sa femme. Lentement, il déroule la ceinture glacée, applique l’une des extrémités près de l’oreille d’Irène, puis lentement, très lentement, il déplace le ruban de tissu gelé sur le cou de Madame qui commence à s’agiter.


Laura Vanel-Coytte - A bout de souffle

Hier soir, je suis sortie "à bout de souffle" d'une séance du film "Noces."
C'est beau et terrible. Baudelaire ne disait-il pas que la beauté ne peut qu'être terrible?
Un film ou tout œuvre d'art ne doit-elle pas nous laisser "à bout de souffle"?
"A bout de souffle" de bonheur, de désir, de plaisir, de beauté ou de souffrance.

"Noces" est comme une tragédie grecque, ça doit mal finir mal même si on espère,
Avec un coeur de midinette que l'amour va triompher mais c'est le drame qui gagne.
"A bout de souffle" comme le film de Godard que j'ai regardé à minuit à la télé.
Jean Seberg dont la coiffure dans ce film a inspiré la mienne, Jean Seberg, la joyeuse
Jean Seberg dont j'ai lu il y a peu l'histoire du mariage avec Romain Gary.
Jean Seberg dont la mort tragique est entourée de mystères ; Gary qui se suicide.

"A bout de souffle", Godard, Belmondo, Truffaut et la Nouvelle vague.
La brouille entre Truffaut et Godard, Belmondo dans "La sirène du Mississipi"
De Truffaut. Mon réalisateur préféré. "A bout de souffle" quand il reçoit le César
Pour "Le dernier Métro" : plusieurs Césars avant de mourir d'une tumeur au cerveau.

dimanche 26 février 2017

Semaine du 27 février au 5 mars 2017 - A bout de souffle

Voilà presque deux mois que nous égrenons des thèmes des premières années de l'histoire des Impromptus.
Nous souhaitons ne pas vous avoir laissé "A bout de souffle" (consigne d'écriture du mois d'avril 2006).
Qui est notre proposition pour le temps présent !

Qu'il soit en prose ou en vers, votre texte devra nous parvenir avant dimanche 5 mars à l'adresse habituelle
impromptuslitteraires[at]gmail.com.

En espérant que vous ne manquerez pas d'air pour traiter ce thème !

Tiniak - Le pantalon de Paul

SALOPERIE FORESTIÈRE

Il avait plu, et dru, la matinée durant. À présent, dans la lumière moins pâle et l’air plus doux de cette forêt inconnue, Cattleya marchait parmi les arbres édentés qui grinçaient des mâchoires sans toutefois désengourdir les rares nichées d’oiseaux demeurés là pour l’hiver.

Toute à sa joie nouvelle, marchait Cattleya, les cuisses caressées par les plis de sa jupe de laine pure, cherchant çà et là, dans le sous-bois, où se défaire de ses trophées acquis la nuit dernière. Une belle étendue de mousse, brillante encore, comme étoilée, lui offrit l’écrin parfait pour la lame rougie qu’elle extirpa du ballot informe et odorant jeté sur son épaule. Au moyen de quelque linge qui le constituait, elle prit soin d’essuyer à nouveau le manche de corne, avant déposer le katana, pointé vers l’est, dans la molle verdure.

Quelques pas plus avant, elle avisa un entrelacs de basses branches et résolut d’y loger, à l’extrémité de celle qui s’élevait, torse, plus haut que les autres, la montre brisée marquant à jamais l’heure de son méfait libérateur, commis prestement et sans hésitation aucune, au terme d’une nuit qui n’avait plus vu poindre l’aube depuis une douzaine d’années, sept mois, quatre jours et presque trois heures.

Tout ce temps perdu en questions laissées sans réponses, en appels pour fin de non-recevoir, auprès de cet homme « ...brillant ! Brillant ! Il est juste brillant, quoi » aux yeux de tous, mais terriblement humiliant, dégradant et insidieusement pervers, envers elle, sitôt qu’il l’eut épousée et parée de tous les attributs de la femme soumise, de la mère accomplie, de la compagne accessoire…

Dans le terrier d’un petit mammifère rongeur, elle fourra l’agenda au blason gaufré. Avant de poursuivre, elle orna sa chevelure de fleurs de bulbes, pour leur audace précoce autant que leur éclat diaphane au parfum capiteux.

Un fossé profond, où stagnait une mare boueuse, lui permit de se débarrasser de son ballot, à l’exception d’un linge chiffonné, roulé autour d’un organe massacré, ainsi que de « son » vieux jeans de marque. Peu après, des croassements surexcités lui indiquèrent l’endroit où des corbeaux se disputaient une charogne. Cattleya jeta, dans la mêlée sauvage, la chair fraîche encore, histoire d’ajouter au carnage !

Revenue à l’aire d’autoroute qu’elle avait quittée, Cattleya entra dans le local WC, y quitta sa jupe en laine qu’elle jeta avec le chiffon ensanglanté dans une poubelle en sortant, après s’être chichement recoiffée et lavé les mains.

Quand elle prit le volant, la mèche rebelle et l’œil triomphant, Cattleya pu jouir du confort chaleureux conjuguant l’assise en cuir du siège conducteur et la souplesse de la toile de jeans, trop large pour elle, une tâche de sang séché à l’entrejambe.

Pour démarrer, souriant à sa fortune, la jeune femme prit tout bonnement le double des clés dans la poche avant gauche du pantalon de Paul.

Où prendre Tiniak par l'une ou l'autre de ses bretelles

jeudi 23 février 2017

Célestine - Le pantalon de Paul

Paul est sorti doucement dans le jardin. Il a dégouliné de son lit en silence comme une anguille d’un rocher pour plonger dans ce lieu magique que l’on appelle « dehors ». Paul n’est jamais allé dehors tout seul sans permission. Que dira maman ? Le soleil est lourd de plomb fondu, les oiseaux se sont tus, Paul pense qu’ils sont comme interloqués de sa hardiesse. C’est l’été. Paul ne voulait plus rester dans son lit. Paul déteste la sieste et sa pénombre. Paul voulait sentir la lumière sous ses pieds, la caresse du vent sur ses petites jambes, et courir en riant pour envoler les sauterelles. La saveur de l’interdit est comme de l’air que l’on respire trop fort : étourdissante.

Paul écoute les bruits de la terre qui vibre, les mottes de terre tapies comme des fauves sous les hautes herbes. Il ramasse un caillou bleu qui scintille. Il se roule avec bonheur dans la mousse grise près de l’abreuvoir. Il plonge ses bras dans l’eau fraîche. Il grimpe sur la margelle. Paul sait qu’il n’a pas le droit. Paul respire à grand bruit l’air chaud et odorant de la garrigue. Il se balance à une branche d’olivier comme un trapéziste.

Soudain, le silence ponctue son nom. C’est maman qui le cherche. Il se blottit derrière une touffe de thym. Paul est fier de son exploit. Il se sent grand. Il est grand.

Là-bas, sur une pierre brûlante, maman trouve le pantalon de Paul, comme une mue de reptile abandonnée. Sa mue de bébé.

Où lire Célestine

Lilousoleil - Le pantalon de Paul

Le pantalon qui voulait être...

Le pantalon de Paul séchait dans le doux zéphyr d’un matin de printemps saturé d’air frais de l’odeur de l’herbe fraîchement coupée et du lilas de la haie qui bordait le pré.
Sans qu’il sache pourquoi, la chemise à carreaux balançait ses manches se mit à rire comme une folle et lui dit :
-          Et tu t’es bien regardé, tu n’a s pas de carreaux, tu es terne et triste comme un bonnet de nuit
-          oui dit-il, si seulement je pouvais ressembler à un jean, un vrai jean, pas un bloujeanne bleu de Prusse, un vrai de vrai,  moderne avec des poches à la mal au ventre et des jambes slim et passablement délavé.
C’est vrai qu’avec son velours côtelé noir passé, il ressemblait plutôt au pantalon du tonton Pierre ; ce qui était à Pierre n’allait pas à Paul et inversement.

Le pantalon de Paul se mit à gigoter dans tous les sens, à s’étirer, à souffler dans le vent chaud ; oh hisse oh hisse.
-          Au lieu de te gausser, dis-moi, à quoi je ressemble ai-je l’air d’un jean ?
-          Bof, avec tes jambes, on dirait le pantacourt cigarette de Mamie Ginette ! La chemise bonne
-          Ah, il faut que tire encore un peu sur les jambes
-          Attention tu vas craquer, lui souffla le tee shirt rouge à coté de lui, ton tissu n’est pas élastiss tu deviens aussi rouge que moi
-          Ah encore un peu là ça y est…
-         Point encore !  
-          Oh hisse, oh hisse ! Il eut beau souffler, tirer, s'essouffler s'étirer encore et encore  pousser et repousser , rien n’y fit.
-          Oh hissss…. Et  voilà le pantalon de Paul qui éclate, qui explose et les morceaux furent dispersés par le vent.
En toutes situations il faut se contenter de son sort et ne pas céder à l’envie !  
On raconte dans tous les prés environnant qu’une vache trouva un lambeau de tissu bleu et rouge rayé de violet et qu’elle l’adopta comme doudou ! Pouvez-vous croire à cette légende ?  

mercredi 22 février 2017

Laura Vanel-Coytte - Le pantalon de Paul

Le pantalon de Paul Cézanne

Le pantalon du petit Cézanne a couru dans tout Aix -en-Provence
Du Cours Mirabeau où il vivait avec ses parents à l'Eglise
Sainte-Madeleine où il a été baptisé. Quand son père ouvrit une banque
Rue des Cordeliers, le pantalon du petit Paul fut mieux coupé, plus riche.
Au collège, le pantalon du petit Cézanne rencontre celui d'Emile
Avec lequel il forme deux paires d"Inséparables." Un jour Paul défend Emile.
Le lendemain, Zola offre à Cézanne un panier de pommes, un motif du peintre.
A l'école de dessins d'Aix-en-Provence, le pantalon de Paul s'use.
"Cézanne peint" et sculpte mais est aussi bon en mathématiques.
Après avoir obtenu le bac brillamment, le pantalon de Paul épouse
Sans enthousiasme les bancs de la faculté de droit mais c'est de peinture
Qu'il reçoit un prix. Le pantalon de Paul échappe au service militaire.
Le pantalon de Cézanne est celui d'un athlète souffrant et timide.
Le pantalon de Paul s'assoit dans les couloirs du Louvre comme copiste.
Emile Zola prend un jour la défend de Paul Cézanne dans un article.
Le pantalon du peintre court à nouveau la campagne aixoise.
Paul fait sauter le pantalon pour une ouvrière et modèle, Hortense.
Le pantalon de Paul connait l'usure et les raccommodages à Auvers-sur-Oise.
Alors qu'il est sans pantalon, Hortense lit Baudelaire à Cézanne.
Paul mouille le bas de son pantalon à l'Estaque dont il parcourt le paysage
A pied et à pinceaux comme le fera à Gardanne et Aix pour la Ste Victoire.
Le bas du pantalon de Paul finira de s'user en grimpant vers la montagne
Ou vers son atelier où on l'a suspendu pour accentuer le pittoresque
De la visite des paysages aixois. J'ai suivi le pantalon de Paul vers le barrage
De Bibémus où mon pantalon a reçu la poussière du chemin des carrières.

Où lire Laura


Pascal - Le pantalon de Paul

Paul, c’est le con « grand sport » du Service des Contentieux. Le matin, ignorant des subalternes mais lèche-cul de première, dans les couloirs, il court derrière le chef de Service pour avoir la prime faveur de lui serrer la main. Tout en révérences mielleuses, il l’accompagne jusqu’à son bureau. S’il le pouvait, il lui ouvrirait la porte de sa bagnole quand ce dernier se pointe dans le parking de la boîte ; il touillerait son café de distributeur, il tournerait les pages de son emploi du temps, il cirerait ses pompes et je ne sais quelles gâteries de dessous le bureau. Remarquez, c’est peut-être pour cela qu’il a la tonsure, le Paul…

Quand il vient lui faire son rapport journalier, il ferme la porte derrière lui comme si ses petits secrets étaient vitaux pour l’entreprise. Sans que personne ne lui ait demandé, il s’autorise des prérogatives de petit chef. De sa fenêtre, il surveille les retardataires ; il les note sur son calepin pour si des fois ; quand ils passent à sa portée, il les sermonne avec une autorité sévère, surtout les femmes et les moins costauds que lui. Mariette et Sylvie, les secrétaires, sont ses deux souffre-douleur attitrés. Lucie, la petite stagiaire, morfle aussi ; elle se tape tout le boulot répétitif et je me demande si elle a appris quelque chose depuis qu’elle est arrivée chez nous. Il y a Benoît, le pauvre Benoît ; il picole un peu ; il planque toujours sa fiole dans la poche intérieure de sa veste. Il ne dit jamais rien à cause de ses quatre gosses qu’il élève seul. Bien sûr, il y a moi, aussi. On ne peut pas se blairer tous les deux mais comme je ne suis pas de la dernière pluie, il se méfie… J’ai deux ou trois arrêts de mort sur sa tête, et le jour où je le coince…

A force de fayoter, il est devenu l’éminence grise du boss, son délateur des bruits de couloir ; il est un traître à la solde de ses intérêts. Il prêche le faux pour savoir le vrai, il tire les vers du nez des nouveaux ; il est dans toutes les discussions chuchotées ; il est toujours prêt à dénoncer les grévistes, cet hypocrite. Au moins une fois, on a tous eu envie de lui claquer la gueule mais on a des crédits, des gosses et des obligations.

Quand un dossier est bouclé avec succès, c’est toujours lui l’instigateur et quand tout foire, il n’est jamais trempé dans l’affaire. Quand il met le nez dans un dossier épineux, il l’en sort vite et il le refourgue sans façon à un autre pour se défaire de la difficulté ; il explique comment il faut faire mais ne procède jamais tel qu’il le décrit. Il sait s’accaparer la réussite des autres et s’en sert ouvertement pour se faire valoir dans les hautes sphères. Le sourire en devanture, il aime pavaner ; il est toujours devant, dans la salle de réunion ; il est toujours le premier à répondre aux questions de la hiérarchie ; il a toujours son bon mot pour assouplir l’ambiance, et si ses vannes tombent à plat, il rougit pourtant de ses facéties de mauvais trublion…

Ce jour-là, on recevait dans nos murs le grand directeur de Paris. La veille, le boss, en bon manager, nous avait fait un speech comme quoi la tenue, la ponctualité, l’ordre, etc. Nous devions être irréprochables et encore plus professionnels qu’à l’ordinaire, pendant sa visite de prélat. Sûr, il y aurait des médailles distribuées au cours de son discours. Paul se trémoussait à l’avance, certain de récolter des honneurs à propos de tout son travail rendu. En faisant le tour de l’assemblée, hostile, il nous regardait du haut de sa superbe avec un dédain digne d’un roi sur ses vassaux…

Ce jour-là, donc, il était sapé comme un milord ; costard deux pièces, chemise blanche, cravate, godasses cirées, le bonhomme ! C’est tout juste s’il nous a dit bonjour en arrivant ! Oui, il a bien voulu boire un Moka parce qu’on lui offrait… A peine s’était-il installé à la petite table, devant la machine à café que, derrière lui, une bousculade d’embrassades matinales lui renversa le breuvage sur le pantalon ! C’était Mariette et Sylvie ! Avant qu’il ne réalise le désastre, Lucie frotta la tache brunâtre avec l’éponge de l’évier, imbibée de savon ! Indulgent, Benoît appliqua un peu d’alcool pour cacher l’auréole ! Moi, pour faire bonne mesure, pendant qu’il avait le dos tourné, je foutais mon mégot encore rougissant dans une poche de sa veste. Fou de rage, il voulut s’éclipser jusqu’aux toilettes pour réparer les dégâts ! Avec ses grands mouvements d’acteur en colère, sa veste se prit entre les boutons, dans la poignée de la porte !...

Quelques minutes après, il était là, le big boss parisien ; il passait ses troupes en revue. Serrages de mains, ronds de jambes, sourires de protocole, réflexions mielleuses, c’était l’attroupement des collaborateurs zélés autour de la sommité. Paul devait se faire voir, c’était plus fort que lui ; après tout, il voulait peut-être lui demander un autographe, une photo, voire une augmentation… Ne pouvant s’empêcher de s’approcher, il joua des coudes pour rejoindre le premier rang…

Tout à coup, on entendit : « C’est vous, le fameux Paul ?... Celui dont on me dit le plus grand bien ?... Avez-vous vu votre tenue ?... Avez-vous dormi dans un caniveau ?... Vous empestez l’alcool !... Vous avez bu ?... » La grimace ennuyée du grand dignitaire n’était pas franchement avenante. Dans ce Service, à la pendaison, sur le bûcher ou à l’échafaud, des têtes allaient tomber… A cet instant, même les mouches volaient sans faire de bruit ; innocente, seule la machine à café ronronnait au fond du couloir…

Toujours prévenant, Paul avait anticipé son supplice ; c’est quand il voulut répondre au grand patron qu’il commença à prendre feu ; sans doute à cause de l’alcool. Aussitôt, il se défit de sa veste et de son pantalon. Si on n’avait pas vidé un extincteur à eau, pulvérisée sur sa tronche, je crois qu’il serait encore en train d’appeler les pompiers…

Aujourd’hui, dans le couloir du Service des Contentieux, on peut voir les restes calcinés de son falzar encadrés contre un mur. L’inscription raconte simplement : « Le pantalon de Paul ». Il paraît que c’est le grand ponte de Paris qui l’a exigé, suite à sa visite homérique dans notre bâtiment, mais c’est la légende qui le raconte…

mardi 21 février 2017

Chri - Le pantalon de Paul

Il a pris une grande inspiration, il a bloqué tout l’air englouti dans ses deux malheureux petits poumons à peu près celui de la ville, et il franchi la porte, aveuglé, à la fois par le soleil qui l’a frappé en pleine face et par la honte qui l’a, d’un coup, submergé.

Paul s’est retrouvé seul dans la cour de l’école qui faisait comme un grand rectangle ceint de murs, dix minutes avant la récréation de dix heures. Six vieux marronniers taillés de près y donnaient au printemps une ombre protectrice, en automne des projectiles parfaits mais là, on était en février et pas une feuille sur aucune branche, pas un marron dans aucune poche. Dans les classes au-dessus, les autres pouvaient plonger leurs regards sur lui. Sans les voir, surtout parce qu’à cet instant il ne regardait que ses pieds, il les a sentis s’agglutiner aux fenêtres et sans les entendre il a su qu’ils commençaient à rire de lui. Paul a fait les premiers pas, les mains sur la tête comme elle le lui avait ordonné. Enfin, les premiers pas, il fallait l’écrire vite parce qu’il ne pouvait pas vraiment s’agir de pas. Disons qu’il a avancé. Deux tours, elle avait dit. Vous m’entendez, Paul, deux tours complets et ne trichez pas. Je vous surveille. Elle l’avait vouvoyé. Oui, en ce temps là on pouvait vouvoyer les élèves mais les humilier, aussi.

Quand elle l’avait surpris un peu plus tôt en classe en train de farfouiller sous la table, elle avait interrompu le cours, comme elle savait si bien le faire. Tout le monde craignait ça. Elle était crainte pas seulement parce qu’elle était la femme du directeur mais surtout parce qu’elle avait une réputation de sévère. De vielle vache, oui. Ça, on le disait sur le chemin du retour, quand on était loin très loin de l’école, de peur qu’elle ne nous entende. Il ne l’avait pas vue, elle était arrivée par derrière, par l’autre rangée, ils venaient de finir la dictée du matin, ils relisaient et elle soulignait les pièges probables, les fautes possibles. Il y en avait une ou deux à chaque ligne et lui n’en manquait aucune. Après ce mauvais moment, en revenant de la récré, ils avaient gym et lui, c’est ce qu’il préférait. Parce que ça bougeait, parce qu’on ne restait pas assis des heures entières, parce qu’on ne s’y ennuyait pas autant qu’avec l’autre là… Alors il avait voulu s’enlever le pantalon long en velours sous lequel il avait mis un short, justement pour la gym. C’est à cet instant qu’elle avait fondu sur lui comme une buse sur un campagnol.

Mais Paul, vous êtes malade ? Que faites vous avec votre pantalon baissé ainsi sur les chevilles pendant la correction de la dictée ? Un silence de plomb fondu avait envahi la classe, tous les regards s’étaient tournés vers lui, il avait été comme une cible sous une volée de flèches.

Mon ami, oui, elle disait mon ami mais ils n’avaient pas du tout la même conception de l’amitié. Mon ami, donc, pour votre punition vous allez me faire deux tours de cour les deux mains sur la tête et gardez donc votre pantalon sur les chevilles, ça va nous amuser. Deux tours vous m’entendez ? Que nous ayons le temps de bien rire.

Paul avait eu envie de mourir ce matin de Février.
En rentrant chez lui, il était allé dans le fond du jardin avec une boîte d’allumettes et il avait foutu le feu à son pantalon, Paul.


Bricabrac - Le pantalon de Paul

Jean

J’avais eu du mal à trouver la gare. Que Montparnasse fût une ancienne paroisse de Vaugirard, il fallait le savoir. J’avais aussi perdu beaucoup de temps à chercher la rue du Père Noël, la rue de Rennes bien sûr. Tirant ma valise traîneau, j’aurais pu, par association fortuite d’idées, y penser plus tôt.

Dans le hall de la gare, le Relay semblait pris d’assaut (un peu tiré par les cheveux, quand même, d’autant plus qu’on sait maintenant qu’il n’ira pas en prison : Serge, pour ses futurs compagnons de cellule). Le buraliste continuait son travail, blême, sous la protection de la police (limite, la définition : on regrette parfois de ne pas l’avoir ridée au cul). Or, ce qu’il n’en pouvait, le buraliste, en quatre lettres, c’était : mais. J’étais le seul responsable.

D’autres choses m’avaient accaparé, au point que j’accusais, levez-vous, non, restez assis, car vous allez recevoir un choc, un retard de mots croisés inédit. Mon attaché-case (en deux mots) était ivre mort, je veux dire bourré, de magazines dont la grille, en dernière page, n’était pas terminée, ou souillée de coups de gomme et de crayonnage (technique utilisée par les pompiers pour refroidir les fumées, tu parles), voire tout bonnement madone, ou plutôt vierge, puisque la première lettre est un V. Les mots croisés s’encombrent de vérités d’évangile douteuses, il faut le savoir, sinon l’on ne progresse pas.

Certains magazines ne paraissaient plus depuis plusieurs semaines. La colère grondait parmi les lecteurs. Il y avait déjà eu des manifs, des émeutes de cruciverbistes, et du chômage technique dans certaines imprimeries. Des kiosquiers avaient déposé le bilan. La directrice d’une publication à laquelle je collabore m’avait encore laissé un message le matin même, par lequel elle me rappelait qu’on était presque en mars (rit, malgré les averses, et prépare en secret le printemps), mais qu’eux restaient dans l’attente que je leur adressasse la solution du problème n° 762 de la dernière semaine de novembre. Que, par ma faute, ils étaient dans l’incapacité de lancer l’impression du numéro de décembre. Que je devais comprendre qu’ils ne pouvaient publier le problème n° 763 sans la solution de la semaine précédente. Que par ailleurs, et même si c’était secondaire, ils avaient des articles prêts sur la politique et l’économie, les sujets de société, la culture, les expos du moment, la sélection de cadeaux de Noël de la rédaction. Que j’étais en train de tuer l’hebdomadaire. Que mon contrat…

Je n’écoutai pas la suite du message. Primo, je n’étais pas en train, puisque, retardé, j’arrivais tout juste à la gare. Ensuite, mon contrat… je m’en doutais, si je ne résorbais pas mon retard, mon contrat serait fini, au son : HV.

La gare est une grille géante de mots fléchés, niveau débutant, dont les définitions sont affichées en tête des voies. Des pigeons voyageurs servent de cases noires sur les quais de bitume. Je n’eus cette fois aucune peine à trouver le train pour Nantes, ville où l’on passe une Folle Journée, en six lettres, et m’installai près de la case blanche d’une fenêtre, aussi loin que possible d’une bande bruyante de cruciverbistes en état de manque. Me cachant d’eux, je sortis de ma mallette, avec un soupir, la grille 762.

Je butais depuis trois mois sur la même définition, un mot, par malchance, placé à une intersection cruciale, d’où il commandait toute la région ouest, ainsi qu’une large partie du grand sud : en quatre lettres, le pantalon de Paul. Mon cerveau reprit sa ronde infernale : Eluard, Gauguin, Cézanne, Auster, Verlaine, L’Auberge de l’Ange gardien, Virginie, la commedia dell'arte, Maya l’abeille, ... Je m’assoupis. Parfois, il m’arrive, quand je fais des mots croisés au lit, que la solution traverse mon esprit au moment de l’endormissement, silencieuse, telle une chouette effraie plus blanche qu’un harfang des neiges, puis s’évanouisse dans les songes. Au matin, je la retrouve avec ravissement, posée sur la table de nuit. Mais rien de tel ne se produisit ce jour-là.

Quand nous arrivâmes en gare de Nantes, le bruit du train, occupé à caser ses roues de fer dans la grille des aiguillages, m’éveilla. Moi, j’avais l’impression pénible de dérailler. Mais mon fils, gentiment, était venu me chercher. Il s’appelle Paul. Je l’aperçus, en haut de l’escalier mécanique qui débouche du souterrain qui passe sous les voies, d’abord ses jambes… ses jambes ?
Jean ! J’ai trouvé ! Le pantalon de Paul, c’est un jean !

Marité - Le pantalon de Paul

Au Sablier du Temps.

Alice a intégré la résidence "Le Sablier du Temps" depuis quelques mois déjà. Finalement, elle s'avoue satisfaite de son choix. On lui a attribué une chambre spacieuse avec vue sur le parc. Elle a pu emménager avec quelques uns de ses meubles ce qui a grandement contribué à sa bonne installation dans les lieux. Elle est soulagée de ne plus avoir à penser aux questions matérielles qui lui empoisonnaient la vie. Enfin, elle respire librement.

Et puis, elle voit chaque jour Cécilia et Marguerite. D'un commun accord, elles ont décidé de garder leur indépendance et de se retrouver seulement dans l'après midi. Ce qui convient tout à fait à Alice qui aime être seule le plus souvent.

Pendant que ses amies se retirent pour une petite sieste après le déjeuner, Alice arpente le parc. Elle a besoin de cet exercice pour se dégourdir les jambes et prendre l'air. Elle pense que dès l'été venu, elle pourra se prélasser, un livre à la main, à l'ombre des arbres ou au bord des bassins, les coins tranquilles ne manquant pas dans le grand enclos fort bien entretenu.

Elle rejoint d'un pas vif la bibliothèque où se trouvent déjà Cécilia et Marguerite. Il y a aussi Monsieur Paul somnolant dans son fauteuil, son éternel plaid écossais disposé sur ses genoux. Alice apprécie Monsieur Paul, un ancien militaire toujours tiré à quatre épingles. Il a beaucoup voyagé et ils peuvent échanger leurs impressions et souvenirs sur les pays visités. Ces apartés agacent un peu ses amies. Sans doute sont-elles un brin jalouses de l'attention qu'il lui montre. Il faut dire aussi que Monsieur Paul porte beau : très mince, le regard bleu-acier, une chevelure abondante et d'un blanc de neige. Il plaît encore aux femmes.

Pour ne pas réveiller le vieil homme, les trois complices échangent à voix basse sur leur projet de villégiature dans le Midi le mois prochain. Mais Monsieur Paul soudain s'agite, se redresse brusquement dans son fauteuil comme s'il avait fait un mauvais rêve. Il rejette sa couverture et se lève, arpente le salon à grandes enjambées en marmonnant.

Les trois femmes le regardent, horrifiées. Monsieur Paul porte comme chaque jour une impeccable chemise blanche avec, au col, un nœud papillon élégant. Il arbore aussi sa belle veste de velours fauve. Cependant, le contraste entre le haut et le bas de sa tenue vestimentaire pose problème. Les pans de sa liquette mal boutonnée au fond tombent sur ses cuisses maigres et laissent voir sa couche culotte. De plus, Monsieur Paul exhibe des chaussettes porte-jarretelles. L'effet est si saisissant que les amies sont prises d'un fou rire qu'elles tentent d'étouffer dans leur écharpe. Le constat est celui-ci : Monsieur Paul a oublié d'enfiler son pantalon.

Alors qu'elles ne peuvent contenir leur hilarité, Monsieur Paul se tourne vers elles, l'air menaçant.
- Qu'avez-vous à glousser mesdames ?
- Monsieur Paul, c'est... c'est...votre pantalon !
- Quoi, mon pantalon ? Ah, mon pantalon.

Et il entonne d'une voix forte :
- Mon pantalon est décousu, si ça continue on verra le trou de mon pantalon...
L'avion, l'avion, l'avion...
- Monsieur Paul ! s'indignent les trois amies.
- Quoi, Monsieur Paul ?
Dans la rue de Sébastopol
Y a le gars Popol...

Il n'y a plus de temps à perdre. Il faut appeler à l'aide. Monsieur Paul a perdu la tête. Alice et Marguerite se regardent, constatent subitement que Cécilia a quitté la bibliothèque sans qu'elles y prennent garde. Monsieur Paul hurle maintenant ses chansons paillardes, alertant le personnel de la résidence.
- Que se passe-t-il ici ?
- Monsieur Paul ne va pas bien.
- Il semblerait en effet. Monsieur Paul, où avez-vous mis votre pantalon ? 
- Mon pantalon ? Mon pantalon est décousu, si ça continue...

Alors qu'on emmène le pauvre homme dans sa chambre, une aide-soignante arrive dans le couloir montrant fièrement le vêtement perdu.
- Sophie ? Mais où as-tu trouvé le pantalon de Paul ?
- Euh...dans la chambre de Cécilia.

Arpenteur d'Etoiles - Le pantalon de Paul

Le maître et son factotum

Wilhem Alphonse von Bollenberg Morat était assis à même le parquet de l’immense salle de bal. Un somptueux coussin de moire cramoisie lui permettait de s’appuyer confortablement contre une boiserie polychrome fin dix septième.
- Paul, bitte, catalyseur ! J’ai besoin de catalyseur pour penser ! Schnell, vite …

Paul, jeune homme malingre dont la personnalité semblait résider dans la seule mèche brune qui venait lui barrer le visage, posa la lourde sacoche qu’il portait et, conservant son bloc note, se hâta pour s’approcher du maître.
- Voilà, maître, je suis là. Où dois-je me mettre ?
- Mais là enfin, à ma droite, tenez vous très…vertical. Et surtout, soyez prêt à consigner le fruit de mon introspection créative.
Paul s’exécuta. Le maître lui saisit la cuisse gauche et commença à la malaxer vigoureusement.

La comtesse Hortense de Villeneuve-Vallas observait la scène.
Derrière la voilette d’un ravisant bibi posé sur le côté de son opulente chevelure blonde, derrière la fumée s’échappant de son porte cigarette en or, madame la Comtesse souriait. Elle souriait parce qu’elle avait réussi à faire venir pour effectuer la restauration du château familial, celui que les plus chics magasines américains avaient élu « artiste décorateur de la décennie ». Elle souriait parce que cette opération allait coûter à son mari encore beaucoup plus cher que prévu. Elle souriait parce qu’elle observait la bosse sur le devant du pantalon de Paul qui allait grossissant sous l’action de la main du maître le long de la cuisse.
Elle souriait enfin, au souvenir des bras vigoureux de son domestique noir qui l’avait emmenée cette nuit même dans des contrées érotiques qu’elle n’avait pas encore explorées, voire même imaginées.
- Ça y est Paul ; tu es un extraordinaire catalyseur. J’ai trouvé : nous traiterons les boiseries en rose d’armor, puis de délicate patine avec un soupçon de gris-noir. Notez, notez, vite …
- Du gris-noir, votre couleur fétiche, c’est formidable maître, un coup de génie, vraiment. Oh maître comme je suis fier de travailler pour vous.
- Ça va, ça va. Aide-moi plutôt à me relever. Il le gratifia d’une tape sonore sur les fesses.
- Hou …Maître, fit Paul en rougissant.

Il saisit le bras de Wilhem Alphonse afin qu’il se redressât. Puis il épousseta le costume en drap noir, la chemise gris argent, renoua la lavallière rouge vermillon, arrangea finalement le catogan du maître et lui emboîta le pas.
- Où allons-nous maintenant, Maître ?
- Je vais m’introspecter dans le petit salon de musique. Fresques très laides, démodées. Je dois trouver un, comment dit-on, ah ya, un subterfuge. Ach, cette demeure me rappelle le manoir maternel, en plus petit, bien sur.

La comtesse se retourna instantanément :
- Maître, ces fresques sont de Véronèse, et je ne veux pas que vous y touchiez !
- Madame, c’est moi l’artiste …
- Monsieur, c’est moi qui vous paie, trancha-t-elle sèchement.
Wilhem Alphonse ravala son amertume et accéléra le pas vers le salon en question. Paul, le suivait en courtes enjambées sautillantes ; son pantalon avait glissé au milieu de ses jambes. ll le remit et ferma sa ceinture.

La comtesse tapa dans les mains. Un domestique entra avec une bonbonnière en argent niellée.
- Messieurs, messieurs, vous prendrez bien une petite friandise, pour soutenir votre génie.
Le domestique ouvrit le précieux coffret.
- Vous avez là des écorces de citron de Murcie enrobées d’un très fin chocolat Criollo du Venezuela, des truffes au café blue mountain de Jamaïque, des pralines aux pistaches, aux amandes et à la vanille bourbon venues directement de Belgique.
Le maître regarda Hortense de Villeneuve Vallas avec un certain dépit, soupira et susurra à l’oreille de son factotum :
- Apprenez à madame la comtesse, Paul, bitte, apprenez !
Il tourna les talons et soupira profondément
- Eh bien jeune homme, qu’ai-je donc fait pour le mettre dans cet état ?
- Voyons, madame la Comtesse : le maître n’aime pas le chocolat … Par contre il adore mon pantalon de velours noir.

Villa Barbaro en Vénétie - Fresques de Véronèse

Un château dans les Dombes

lundi 20 février 2017

Saraline - Le pantalon de Paul

Voici le pantalon de Paul, que je lui ai tricoté pour ses 8 mois, et pour vérifier le titre que porte ce modèle, sur le site où je l’ai trouvé : « le monstre qui hante le pantalon ».

Eh oui, Paul est mon petit monstre préféré.


Stouf - Le pantalon de Paul

Le pantalon de monsieur Paul

Monsieur Paul arpentait sereinement la rue des étoiles, une charmante rue de style moyenâgeuse du quartier de la ville où il vivait depuis si longtemps. Le soleil ravissait les globules de sa peau, réchauffait ses vieux os et faisait resplendir les nombreuses rides de son visage qui plaisait tant aux femmes. Dans sa jeunesse, monsieur Paul était ce que l'on appelle encore un « tombeur ».

Il allait chercher sa baguette de pain du matin et … tiens, aujourd'hui les gens riaient dans la rue, une mère cacha les yeux d'une petite fille, une autre dame se fit un signe de croix en le regardant fixement de façon réprobatrice.

Le cerveau de monsieur Paul tira le signal d'alarme, quelque-chose ne tournait pas rond.

C'était vrai qu'il faisait légèrement frisquet au niveau de l'entre-jambe de monsieur Paul … comment cela, ah zut, quelle horreur ! Le pantalon de Paul avait disparu.

Paul lâcha son cabas et mit ses deux mains au niveau de son slip « Petits bateaux », il voulut courir de l'avant mais reculait, le sol se déroba sous lui, des milliers de gens se moquaient maintenant de lui, Jean Pierre Pernod des infos disait que c'était une honte pour la France et ...

- Chéri, réveille-toi, tu sues comme un porc, tu marmonnes débilement dans ton sommeil, réveille-toi de ton cauchemar !
- Hein quoi, naaan pas la police ! Ah c'est toi mon amour, rendors-toi je vais aller boire une tisane et je ne t'embêterai plus. :o)

Vegas sur sarthe - Le pantalon de Paul

Pantalon moderne




Petit Paul est surexcité depuis qu'il a vu tous ces athlètes à la télévision pour les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro.
Ils ont des tenues moulantes - cuissard ou culotte blanche - des costumes de rêve et des noms de cauchemar: Tymoshchenko, Hernandes Uscanga, Nowacka...

Alors il s'entraîne en grand secret, il chevauche Tornado, l'aspirateur quasi-indomptable de maman ; il nage des longueurs d'au moins un mètre cinquante dans la baignoire ; il combat ses nounours avec l'épée-canne en bois de son papy; il dégomme les coupes de son père avec son pistolet à bouchon; il court dans l'escalier à la poursuite de la concierge... petit Paul se sent fin prêt pour Tokyo, résolu à disputer le pantalon moderne !

Jacou - Le pantalon de Paul

Le pantalon de Paul
J'ai vu le pantalon de Pierre, usé par le fond, sur les bancs de l'école, celui de Jacques, ne devait pas bien tenir, j'ai entendu un jour "Je lui ai remonté les bretelles", quand à Paul, on m'a dit que c'est sa femme qui le portait, et comme je ne la connais pas, je ne peux rien dire du pantalon de Paul, sauf, à penser que c'est peut-être modèle unisexe.


Andiamo - Le pantalon de Paul

PAUAUAUL ! Où te caches-tu encore ? Allons viens, je n'ai pas terminé ta culotte, il me faut encore un essayage.
- NAN ! J'en veux pas de ta culotte courte ! Je veux un futal, un rider, un bémol, un pantalon ! Je serai le seul à faire sa communion en culotte courte, j'vais avoir l'air tartignole avec mes cannes de passereau ! Tiens deux stylos à bille dans une lessiveuse, voilà de quoi j'aurai l'air ...
- Paul on ne discute pas, ce sera culotte courte c'est tout, il me reste deux jours, alors tu te ramènes fissa, sinon tu vas te prendre une poignée de phalanges.

Le 7 Juin 1950, Paul aura onze ans, l'âge de la communion solennelle, en ces années là, c'est l'occasion de réunir la famille, le ban et l'arrière ban. Paul recevra sa première montre, ainsi que quelques billets "pour faire le jeune homme" comme on lui dira en lui remettant le bifton d'un sacotin (mille francs anciens,, cherchez pas, vous n'avez pas connu).
Tout ça c'est chouette dans la tête frisée de Paul, la montre, les biftons, le stylo avec plume en or, mais cette saloperie de culotte courte à son âge, ça non !
Dimanche, LE jour de la communion, l'église de Drancy pleine à craquer, on chante "veni creator", les hommes le chapeau à la main, les femmes petit bibi sur le sommet du crâne, on a fait des efforts de toilette.

Enfin le cortège des communiantes et communiants sort de la sacristie, en rang deux par deux, les garçons et les filles tiennent un cierge dans la main droite.

Les filles ne portent pas encore l'aube, c'est à celle qui arborera la robe la plus jolie, de véritables petites mariées diront certains. Les garçons eux portent leur premier costume, veste bleu marine, pantalon gris, et le brassard noué en croix sur le bras droit.

Paul est le plus petit, pas bien grand ni gros, pour ses onze ans, aussi marche t-il en tête, les regards se fixent sur lui, les mâchoires s'affaissent, certains pouffent, des bouches s'arrondissent en cul de poule...

Paul en tête, sourire narquois sur ses lèvres, avance droit comme un "I", le cierge brandi comme un étendard, en slip, veste bleue, socquettes et souliers vernis !

Où lire Andiamo

Semaine du 20 au 26 février 2017 - Le pantalon de Paul

Dans notre promenade dans les thèmes anciens, nous avons trouvé :
« le pantalon de Paul. »
Et vous qu’en ferez vous ?
En prose ou en vers, qu’il soit déchiré ou neuf, il vous faut nous envoyer votre texte avant dimanche 26 février 2017 minuit à l’adresse habituelle :

impromptuslitteraires[at]gmail.com

Sinon, vous prenez le risque de vous faire rhabiller.

dimanche 19 février 2017

Tiniak - Elle regardait les flammes

RESPECTORANT

Sans trop rien en laisser paraître
alternant devise et question
lui faisais la conversation
les yeux pris dans sa silhouette
(délictueusement honnête
à dégarnir
de leurs arabesques les portes d'Agadir)

Elle enchaînait les cigarettes
au train de ses effervescences
sur les rails de la confidence
jetés sur d'obscures saynètes
(tableaux graves au tranchant net !)
où des fantômes
anéantissaient de l'amour les purs arômes

À l'écouter parler sans heurts
soudain, je me trouvai à court
d'esquives polies, de détours...
Me cuisinant à la vapeur
un feu de forge à l'intérieur
léchait mon âme
Puis j'entrevis comme elle regardait les flammes

Où fondre comme la guimauve sur un brin de fille...

samedi 18 février 2017

Jacques - Elle regardait les flammes

Elle regardait les flammes, parce qu'il n'y avait pas grand chose d'autre à faire.

Le petit feu, modeste, crépitait dans le poêle, qui heureusement était pourvu d'une porte vitrée, sans quoi il n'y aurait rien eu du tout à regarder.
Enfin, lui, il regardait à travers la fenêtre couverte de givre la tempête de neige qui se déchaînait à l'extérieur.

Elle se maudissait. Jamais elle n'aurait du accepter cette idée idiote de sauter sur cette occasion unique que présentait ce chalet d'alpage en vente pour une poignée de crozets. Il avait défendu le dossier, arguant que son rêve de gosse à lui, c'était un vrai chalet d'alpage, là ou les autres mâles appartenant à la même catégorie socioprofessionnelle dite "supérieure" dilapidaient des sommes comparables en aspirateurs à gonzesses de chez Porsche ou BMW, une fois la cinquantaine établie : une bonne affaire en somme.

L'argument avait porté, et elle lui avait accordé ce caprice. Elle avait même admis, à l'issue de leur premier séjour, avoir aimé le calme de ce hameau pas si isolé que ça finalement. Le bruit apaisant du torrent, le décor sans cesse changeant, vert vif, gai même, des pâtures et les reflets bleutés des glaces chantées par Samivel, deux mille mètres plus haut. Les vaches et les chevaux dans les hautes herbes, les coups de sifflet des marmottes et la silhouette des bouquetins là-haut sur les crêtes.

Le début octobre, même, était tolérable. La neige loin encore au-dessus, les couleurs de l'automne guérissaient l'hystérie de la rentrée, même si le froid se faisait bien vif dès les derniers rayons de soleil disparus derrière les Aravis.

En guise de cadeau de Noël, elle l'avait laissé revenir tout seul avant les fêtes, et il en était revenu des étoiles dans les yeux, fredonnant le Paradis Blanc et elle avait admis sa curiosité. Va pour un séjour en plein hiver, donc.

Quelle erreur.
D'abord, il y avait eu les cinq kilomètres de route forestière enneigée à parcourir à ski. Lui, ça l'avait amusé, les deux voyages attelé à un traîneau de soixante kilos, quinze degrés sous zéro pour finir à la lumière de sa lampe frontale.

Ensuite, il y avait le silence. Elle appréciait le silence après le harcèlement sonore constant de son quotidien, mais là, même le torrent s'était tu, muselé par le gel. A en rêver de la bise, qui, pour vous couper en deux, occupait l'espace de son sifflement dans la toiture.

Il ne restait donc que le feu, qui craquait dans le poêle sur lequel fondait une marmite de neige, lire à la lumière des leds alimentées par la petite éolienne, et regarder les flammes.

Où lire Jacques

Saraline - Elle regardait les flammes

La marmite sur le feu

Caressée par les flammes, la marmite pansue
Soupirait et vibrait, sur le point d’exploser.
Assise près du feu, la fillette joufflue
Hésitait entre peur et curiosité.

Elle regardait les flammes, comme fascinée,
Redoublant de patience, espérant toujours
Que la bête qui grondait comme un forcené
Au fond de la marmite, sortirait au grand jour.

Stouf - Elle regardait les flammes

Hier encore, j'étais installé devant la télé non loin de la cheminée chauffage mural électrique avec un écran HD et des flammes dedans en compagnie de Titi le fils de cinq ans de ma nièce et nous chantions comme des dingues le générique du dessin animé. L'âne Trotro, l'âne Trotro, l'âne trop rigolo... l' âne Trotro c'est l' ami qu'il nous faut etc etc. à chaque épisode de quelques minutes.

Nous étions au top, une cannette de jus de fruit chacun et plein de smarties dans un grand bol sur la table basse en face. En plus, comme nous étions cools entre potes, nous avions retiré nos chaussettes et mis les pieds sur la table et nous attrapions nos smarties entre les doigts de pieds afin de nous les balancer les uns les autres, comme je l'avais appris à Titi.

C' est au moment où Trotro rencontrait Nana au bac à sable que ma femme Christine rentra et dit :
- Breuuh qu' est ce qu' y caille ! T'as fais du feu chéri ? , j'en fus fort marri, elle me dérangeait puisque le môme et moi étions perplexes du fait que Nana n' avait pas répondu au bonjour de Trotro.
- Oui mon amour, mais fait pas trop de bruit car Titi et moi avons un problème à résoudre entre Trotro et Nana... elle ne lui a même pas dit bonjour !

Là elle regardait les flammes de la cheminée chauffage mural électrique avec un écran HD et des flammes dedans puis elle dit -Pfff... tu d' viens neuneu mon gros ! Puis elle arrive de notre côté et s'exclame tout fort :
- Alooors, comment il va mon p' tit Titiii, ooooh comme il de plus en plus beau mon p' tit amour, viens dans mes braas chériiii ! Elle le soulève comme une dingue du sofa et met ses lèvres froides partout sur son visage, smaaack !

Titi se laisse faire car il est bonne patte et qu'il aime aussi la Christine mais je vois bien sa main droite derrière le dos de Christine, son pouce part plusieurs fois vers l' index et tout à coup je comprends qu' il faut que je mette Trotro en pause sur internet et la télé. Même que je revienne au moment où Trotro arrive au bac à sable, je lui fais un clin d' œil et hop.

Christine le lâche et viens vers moi.
- Alooors, comment il va mon p' tit gros, ooooh comme il de plus en plus beau mon p' tit amour, viens dans mes braas chériiii !
Pour tout dire je ne suis pas contre tout ce qu' elle dit et fait mais tout de même... c'est pas le moment.
Bon, je la smaaack aussi et lui dit : -Oh... regarde les flammes, elles ne dansent plus, ne frétillent et ne gambillent plus !

Christine semble tout à coup désespérée et repense intensément à toutes ces heures où elle regardait les flammes de la cheminée mais... Titi rentre en action.
- T' en fais pas Christine, je m'occupe de tout !

Notre Titi va vers son cartable (avec dedans un bouquin de Karl Marx et un autre de ce fameux Einstein, t' inquiète, c'est pour suivre l' histoire, il est en avance pour son age)... nous prenons une grande respiration éperdue d' incertitude... il sort une petite trousse, l' ouvre et... Christine et moi voyons bien les tournevis sinusoïdaux et le fer à souder lazeréophile transbidulés minuscules. Mais que va t-il faire, va t-il ? Naaan... c' est point possible.

Il se dirige droitement vers la cheminée etc etc et commence à dévisser le machin avec un air de ç'uis qui s' y connait, il regarde dans l'intérieur de le circuit imprimé, il dit
- hum hum, c'était donc ça !
Not'e bon Titi de cinq ans commence à bidouiller le transmuteur tridimentionnel, la diode azimutale et le potard narnarf, il revisse le trucmuche et... revoila les flammes.
- j' vous ai rajouté 500 chaines de télévisions en plus des flammes dans la cheminée ! Par contre Christine... tu veux pas viendre regarder des épisodes de Trotro avec stouf et moi ? Tu retirerais tes chaussettes et on mangerait des smarties ?
- Zyvaa... trop cool ! S'exclame alors notre Christine. ;o))))

vendredi 17 février 2017

Bricabrac - Elle regardait les flammes

Fêt.Nat

VALENTIN

C’est pour les filles que je suis devenu pompier. Il paraît qu’on a la cote, et que l’uniforme, avec le passepoil sur la couture du pantalon et le liseré rouges sur la poitrine, les fait grimper à la grande échelle. Je ne sais pas. Quand la brigade part en intervention, et tandis que j’enfile en hâte, dans le fourgon-pompe, les bottes, les gants, la cagoule, le casque, je regarde les passantes par les vitres. Elles font leurs courses sur les trottoirs ou prennent un café aux terrasses, deux par deux, en riant, indifférentes à la sirène que Ken, qui conduit le camion, actionne pour foncer à travers les embouteillages. Je n’ai pas l’impression que nous avançons, mais plutôt que c’est la ville qui s’en va à reculons.

Pendant que nous hissons les tuyaux dans la tour de séchage, au retour, je parle avec Ken de cette sensation d’avoir avalé trop de fumée, malgré mon appareil respiratoire isolant, et de mon sentiment de solitude. Il a souvent des larmes au coin des yeux et les paupières rougies comme des braises, on dirait que le feu pourrait reprendre au premier courant d’air. Ça lui donne l’air triste, comme si toute sa famille avait péri dans l’incendie. Il m’assure que je finirai bien par rencontrer quelqu’un, mais c’est à peine si s’allume une lueur dans son regard quand je lui dis que moi, contre l’amour, je suis ignifugé.

Et puis, au bal du 14 juillet dans la cour de la caserne, il y eut Barbe, que tout le monde appele Barbie. Une jolie poupée, belle à s’en ronger les ongles. C’est elle qui m’a repéré. Je me tenais adossé contre la porte du garage des ambulances de secours aux brûlés et aux asphyxiés. Elle est venue vers moi et m’a demandé si je voulais bien danser avec elle. J’ai hésité une seconde, car je trouvais qu’elle était petite, alors que moi, je dépasse largement la taille minimum requise pour être pompier professionnel. Je l’ai prise dans mes bras, elle m’a semblé légère comme les lances à incendie que nous utilisons pour les feux d’appartement, et nous avons commencé à valser. Nous avons tourné de plus en plus vite, jusqu’à ce que la cigarette de Ken, qui se tenait seul à quelques pas, appuyé nonchalamment contre le platane de la cour, finisse par dessiner une seule ligne continue, qui rougeoyait dans la nuit brûlante de l’été.

BARBE

J’ai rencontré Valentin au bal des pompiers du 14 juillet. J’habite en face de la caserne, et plutôt que la musique me fasse me retourner toute la nuit dans mon lit comme sur un gril, j’avais décidé d’aller voir. Ma vie était si légère en ce temps-là que je craignais qu’elle ne s’envole comme un bouquet de flammèches. L’amour, c’était pire encore, triste à composer le 18 pour appeler les secours.

J’avais mis une robe courte à fleurs, des souliers avec, pour paraître plus grande, un peu de talons, mais pas trop, afin de ne pas risquer de me tordre la cheville si l’occasion de danser se présentait, et peint mes lèvres de carmin. J’avais pris un sac à main minuscule et si vide que je pouvais le faire tourner au bout d’un seul doigt. J’y avais fourré un mouchoir parfumé à l’eau de violette, car il m’arrive de pleurer en revenant du bal, et mon cœur, pour le cas où. On ne peut pas savoir à l’avance, il suffit parfois d’une étincelle pour que ça s’embrase.

Ils avaient tendu des guirlandes et accroché des lampions. Une masse compacte de danseurs, au milieu de la cour, formait un chardon multicolore d’où jaillissaient des bras nus, comme des inflorescences, et des rires. Je faisais tapisserie et me morfondais depuis un bon moment, il me semblait être toute seule à être seule. Même les saucisses qu’on grillait dans un coin de la cour, à l’écart, où étaient disposés des bancs et des tables couvertes de nappes en papier blanc, étaient venues en bandes qui grésillaient joyeusement sur les charbons ardents.

Je m’éloignai de la fête vers la pénombre, où des couples s’embrassaient, et remarquai un pompier, adossé seul à un platane, un genou plié. J’ai appris plus tard, après sa mort tragique, qu’il s’appelait Ken, et juste avant la crémation, le capitaine a dit son grade, mais je me rappelle seulement qu’il conduisait les véhicules d’intervention. Il fumait une cigarette, avec laquelle il dessinait dans l’air des arabesques, et regardait dans ma direction, d’un regard qui me traversait comme si je n’étais que de la fumée, mais si intensément que je me retournai. C’est alors que j’aperçus Valentin, debout devant le portail d’un garage, seul, l’air de s’ennuyer, un vague sourire aux lèvres. J’éprouvai soudain l’envie qu’il me fasse danser et me dirigeai vers lui. Il eut une seconde d’hésitation avant de me prendre dans ses bras, puis il m’étreignit et nous nous élançâmes. Comme il est très grand, j’appuyai ma joue contre sa poitrine, et sentis battre son cœur. L’orchestre jouait une valse.

KEN

Le bal battait son plein. Je me tenais à l’écart, en tenue de service, car ce soir-là j’étais d’astreinte. Valentin, lui, était très beau et portait la tenue de cérémonie, avec la chemise bleu ciel ornée sur le cœur de l’écusson de la brigade, qui représente une tour en flammes. Il traînait autour de la piste de danse, avec l’air maussade qu’il a souvent et qui lui va si bien, et vint s’appuyer contre la porte du garage des véhicules de premier secours, à quelques mètres de moi. A un moment, il tourna la tête et me fit un vague signe. J’allumai une cigarette, et m’amusai à tracer des lettres dans la nuit avec le bout incandescent, comme si je lui adressais un message, mais je savais qu’il ne pouvait pas le lire puisqu’il le voyait à l’envers.

Une fille s’approcha de moi, petite, assez mignonne, mais je ne la remarquai que quand elle bifurqua dans la direction de Valentin. Elle s’arrêta à deux pas de lui, il me sembla qu’elle regardait les flammes de son écusson tout en lui parlant. Je me redressai légèrement. Quelque chose flotta dans l’air, comme ces nuages de gouttelettes avec lesquels on attaque les gaz de combustion, puis il lui prit une main, enserra sa taille de l’autre, et ils commencèrent à tournoyer de plus en plus vite au rythme d’une valse, tandis que ma cigarette finissait de se consumer en me brûlant les doigts.

Je les croisai plus tard dans la nuit, essoufflés, elle lissant sa jupe, au moment où, l’astreinte terminée, j’allais me coucher dans la chambre que j’occupe au dernier étage de la caserne. Il me dit qu’elle s’appelait Barbe, comme la patronne des pompiers, des mineurs et des artificiers, et m’en aurait sans doute dit davantage, parce que nous sommes vraiment amis, mais comme l’orchestre attaquait une nouvelle valse, elle le tira en riant et l’entraîna dans la danse. Je reconnus la Valse triste.

VALENTIN

Je m’éveillai aux premières lueurs du jour. Barbe dormait encore, souriant dans son sommeil, la tête sur ma poitrine. Le magnifique feu d’artifice, avec un bouquet final époustouflant, s’était tu depuis longtemps, mais j’entendis soudain une détonation formidable, que je pris d’abord pour l’explosion d’un pétard, avant de réaliser qu’elle provenait de la caserne même. Les gars sortirent d’un coup de leur chambre, leurs petites amies passèrent leur têtes ébouriffées dans le couloir, et nous nous précipitâmes tous dans l’escalier.

Quelques jours plus tard, et parce que je lui avais dit que Ken avait été mon meilleur ami, Barbe voulut m’accompagner à la cérémonie d’incinération. J’observai son profil adorable, tandis qu’elle regardait les flammes attaquer le cercueil, et je me demandai, parce que c’est mon métier, comment on pouvait éteindre l’incendie de l’amour.

jeudi 16 février 2017

Marité - Elle regardait les flammes

Le maître du feu

C'est le dernier jour. Alice a vidé les tiroirs de sa commode et empilé le tout dans un sac poubelle qu'elle a renversé sur la table en fer forgé de la terrasse. Papiers, enveloppes blanches et bistres, photos recouvertes d'une protection cartonnée ou en vrac, tout se mêle en un tas informe.

Elle a jeté un châle sur ses épaules. Les après midi d'octobre - même par un temps lumineux comme aujourd'hui - apportent déjà une fraîcheur insidieuse annonçant l'approche de l'hiver.

Elle s'assoit et résolument prend un par un les documents. Il faut faire le tri. Elle met de côté les photos pour pouvoir les examiner plus tard. Les vieilles factures, les garanties de toute sorte, les documents administratifs...Tout s'est accumulé au fil des années sans qu'elle y prenne garde. Elle hoche la tête et sourit tristement. Ils sont le témoignage de sa vie écoulée. Elle saisit une grande enveloppe marron et lit la date d'expédition sur le cachet de la Poste : 23 septembre 1992. Elle sort le dossier qu'elle contient : celui de sa retraite. 25 ans déjà ! Comme le temps a passé vite. Trop vite.

Alice ne regrette rien cependant. Elle a mené son existence sans entraves, faisant fi des conventions , pas de mari, pas d'enfants, pas de religion. Elle s'est consacrée à son travail d'infirmière avec passion. A beaucoup voyagé. Pris quelques amants aussi.

Elle est la fille unique d'une famille d'émigrés italiens dont il ne subsiste aujourd'hui que de lointains cousins disséminés dans le monde entier. Elle s'est entourée de beaucoup d'amis. Certains sont partis pour un ailleurs hélas mais il lui reste heureusement Marguerite et Cécilia qu'elle va rejoindre bientôt et cela lui met un peu de baume au cœur.

Même si elle n'a pas fui ses semblables, bien au contraire, Alice n'a jamais craint la solitude. Elle a toujours voulu être libre. Pourtant il faudra bien qu'elle s'habitue à ce qu'elle nomme dans son for intérieur la promiscuité. Elle se morigène en haussant les épaules : " voyons, Alice, tu as pris toi-même cette décision." Oui. Sans doute. Mais avait-elle une autre alternative ?

La plupart des papiers finissent dans la corbeille. Elle allumera un feu dans le jardin tout à l'heure.
Et les photos ? Faudra-t-il les brûler aussi ? Elle fait rapidement des choix et met de côté ce qu'elle va emporter. Une vue en noir et blanc attire son attention. Elle reconnait parfaitement les personnages. Maria et Raoul entourent une fillette très brune. Ils sourient tous les trois. Alice se souvient. La fillette, c'est elle. Elle doit avoir 7 ou 8 ans. Ils posent devant le four à pain du village du Périgord où ses parents l'ont envoyée pendant la guerre.

Alice ne sait plus pourquoi ce couple de vieux paysans de la Dordogne l'a recueillie provisoirement. Sans doute connaissaient-ils des amis de ses parents. En tout cas, elle a vécu parmi eux des jours heureux et insouciants. 

Alice, émue, examine avec tendresse la photo. Ce four à pain. A son évocation, elle respire fort. Elle croit sentir, comme lors de ces jours de cuisson, les effluves de pain frais pétri par Raoul et de tarte aux prunes confectionnée par Maria. C'était la fête très souvent, Raoul chauffant le four banal pour tous les villageois. Les hommes manquaient. Ils étaient au front.

Mais, ce qu'Alice aimait le plus, c'était de voir le feu grondant sous la voute. Elle regardait les flammes qui léchaient les parois du foyer et elle s'approchait si près que Raoul devait la réprimander. Une attirance forte, comme venue du fond des âges. s'emparait d'elle.

Elle observait aussi tous les gestes de Raoul. Le vieil homme gardait le feu, le surveillait, savait exactement quand il ne fallait plus ajouter de fagots. Il savait aussi, en s'aidant d'un épi de blé quand la chaleur était suffisante pour la cuisson du pain.

Elle suivait Raoul partout et il lui apprenait la vie à la campagne. Elle adorait, l'automne venu, nettoyer les prés avec lui. Il avait fabriqué pour elle un petit râteau en bois et elle accumulait les feuilles mortes attendant avec impatience le moment où le vieil homme craquerait une allumette sous le monticule.

Fascinée par les flammes rousses qui partaient en dansant à l'assaut du ciel, assourdie par les crépitements, elle se tenait là, sans bouger, comme tétanisée, suivant des yeux les étincelles qui retombaient tout autour. Elle se souvient encore de cette sensation unique, cette peur délicieuse qui montait dans ses jambes, son ventre, au creux de ses reins et qui la faisait doucement frissonner.

Le feu crépitait sur le pré et prenait de l'ampleur très vite mais Raoul veillait. Il savait comme personne le dompter, l'endiguer à grands coups vigoureux de sa pelle. Et le feu lui obéissait. Alice pensait que Raoul était le sorcier du feu et elle l'admirait. C'était un trio magique : Raoul, le feu et elle.

Encore aujourd'hui, elle se demande pourquoi elle a tant aimé le feu sa vie durant et elle songe avec amertume qu'elle va énormément regretter ses flambées dans la cheminée de son salon.

Demain Alice entre à la maison de retraite.

mercredi 15 février 2017

Célestine - Elle regardait les flammes

Elle regardait les flammes de l’âtre, les yeux perdus dans un lointain songe d’où l’homme se sentit soudain exclu, et lui, hypnotisé, regardait les reflets du feu danser comme des lucioles dans ces pénétrants yeux d’opale.

Elle était nue et frissonnante, les flammes rendaient son corps dansant et velouté, tanguant comme une louve assoiffée au bord de la rivière.

Elle se mit à onduler comme au rythme d’un tango espagnol, et son amant afficha ce sourire ravi un peu béat de l’homme heureux. La danse allait bien à la jeune femme, qui laissait aller ses émotions dans ce lancinant mouvement qui rend fou, un balancement argentin qui emportait la raison au fin fond des bas fonds de Buenos Aires, quand la chaleur moite fait couler sur les joues la langueur humide de la passion contenue.

Ses mains tournoyaient comme des papillons devant la lumière, la cascade de ses beaux cheveux sombres accompagnant chacun de ses gestes d’une grâce captivante. Elle gardait encore empreinte au creux de son intimité le souvenir insistant de cette main qui avait allumé comme de l’étoupe un désir brûlant et ravageur.

Mais plus encore que la caresse, c’étaient les mots prononcés par lui, ces mots vibrants et éternels, qui avaient incendié son âme. Elle s’était sentie devenue le matin du monde, l’origine des mystères, la Femme Originelle. Quel plus beau compliment pouvait-il lui faire ?

Heureuse de danser nue devant lui dans la demi-pénombre, envoûtante, elle faisait épouser à ses jambes, et à ses seins les accords obsédants de cette musique fascinante. Son ventre de colombe palpitait comme blessé, et la fièvre monta à son front. N’y tenant plus, elle se jeta sur lui, comme dévorée par le désir.

Le matin du monde ne faisait que commencer ses embrasements d’aurore.

Arpenteur d'Etoiles - Elle regardait les flammes


Marceline.

Cette nuit-là, mars avait refermé l’horizon jusqu’aux confins des monts d’Auvergne. Un vent glacé hurlait sur le toit des maisons et courbait la tête aux grands chênes.

Paysanne rabougrie aux mains toutes tavelées et au regard de charbon noir, Marceline veillait, courbée sur un feu vacillant. Cela faisait plus de dix ans que son Joseph avait été écrasé sous le poids d’un tombereau de terre que le grand cheval roux n’avait pu retenir. Mais pour la première fois, elle avait peur.

Les signes ne trompaient pas. Le rat mort trouvé la semaine dernière devant le seuil de la chaumière. Ces empreintes à six doigts, laissées dans la boue autour du puits dans la cour. La lueur orangée qui l’avait suivie depuis le haut des mélèzes alors qu’elle appelait les poules au grain de sa voix perçante. Elle sentait une présence, elle percevait un souffle glacé mêlé au vent en longs sifflements sombres.

Alors elle était allée voir le vieux Baptiste. Celui à qui plus personne ne parlait. Un vieux fou toujours à courir la campagne pour trouver des plantes, des herbes, des pierres. Toujours à fouiner dans les ruines du château en haut sur la colline, là où personne n’osait s’aventurer. Elle avait simplement dit « Baptiste, la bête va venir ». Dans sa cuisine crasseuse Baptiste l’avait regardée avec ses yeux délavés. Puis, il avait ouvert en marmonnant un ou deux livres, avait coupé quelques branches, confectionné une sorte de sac de tissu dans lequel il avait fourré un petit flacon de verre et, contre une poule et un canard, lui avait donné la marche à suivre : « fais exactement ce que je t’ai dit, et tu sauveras ta fille »

Marceline veillait, rajoutant sans cesse des bûches dans l’âtre. Elle regardait les flammes rouges qui dansaient, et créaient des ombres étranges sur les murs de pierre.
Dans le lit à côté de la cheminée dormait un ange à la peau transparente, blonde comme une moisson de soleil. Elle savait qu’il allait venir la chercher. Elle le devinait dans sa chair de femme de la terre, de cette terre noire, rude et sauvage sous laquelle couvait le feu de l’enfer. Elle l’attendait, elle était prête.

Le vent se tut soudain. Marceline risqua un œil au carreau derrière le lit et ce qu’elle vit lui glaça les sangs. Une calèche noire tirée par deux chevaux noirs sans regard s’était arrêtée devant la chaumière. Une forme inhumaine en descendit en silence. Elle se retourna en sentant un froid terrible sur sa nuque : la forme était là, juste sur le seuil, sans que la porte ne se fut ouverte. Pas de visage ; juste une respiration et une voix venue du fond des âges « elle est à moi » et comme un rire …

Marceline murmura « la bête », puis elle jeta dans l’âtre les plantes de Baptiste. Il y eut comme un hurlement. La forme devint immense, remplit toute la pièce et enveloppa le lit d’une épaisse obscurité. La voix gronda « qui es-tu toi qui oses me combattre ? ». Alors, Marceline sortit de sous sa blouse le petit sachet et dit d’une voix forte : « regarde, ce sac de tissu, il contient un peu de ton sang » et elle le jeta à son tour dans le feu. Les flammes s’étouffèrent d’un seul coup laissant Marceline atterrée. La voix fit entendre un horrible grincement « pauvre folle, que croyais-tu donc ; ta fille est à moi, à moi… »

Du feu, une lumière étincelante avait jailli, remplissait à présent la pièce. Un éclair claqua, sec. Une langue incandescente se dressa et frappa l’ombre noire. Un cri, un bruit de chute, puis plus rien. Plus rien que le silence.

Le matin clair la surprit couchée à même la terre battue de la maison. Quelques morceaux de verre brillaient encore dans la cheminée. Elle se releva péniblement et dirigea son regard vers le lit. Aurore dormait encore paisiblement. Elle se signa et sortit. Deux superbes Frisons attelés à une calèche d’ébène broutaient tranquillement l’herbe rase.

Quelques jours plus tard elle se rendit à la ville pour vendre les deux chevaux et la voiture. On ne lui posa aucune question. Le prix qu’elle en retira lui permettait de vivre le restant de ses jours et d’assurer l’avenir de sa fille. Elle retourna voir Baptiste pour payer son dû. A sa question, il répondit qu’il avait recueilli le sang sur la pierre d’une tombe cachée dans la chapelle détruite du vieux château. Il dit aussi qu’il avait rempli sa mission. Marceline le regarda vraiment pour la première fois. Sous la barbe grise, il avait les traits d’une jeune homme vigoureux et des yeux clairs ; les mêmes yeux que son Joseph.