vendredi 30 décembre 2016

Kakushi Ken - Trêve


J’ai rêvé d’un enfant né, voulu et aimé… Un enfant bercé dans l’amour d’une mère, embrassant son enfant dans les rires et la tendresse.
J’ai rêvé d’un enfant près de son père, cet homme faisant sauter son gosse sur les genoux, lui enseignant son savoir avec un regard attendri.
J’ai rêvé de ce couple reposant et apaisé, apportant la sécurité et la joie à ce petit garçon assoiffé d’amour.
J’ai rêvé d’un départ de vie comme on l’entend raconter un peu partout en ce monde…
J’ai rêvé de champs de coquelicot où l’enfant se roule, des abeilles fredonnant aux oreilles du garnement. Rêvé de parties de pêche dans des cours d’eau au milieu des éclats de rire de l’homme qu’il idolâtre…
J’ai rêvé de veillées et de chants, d’histoires racontées sur des tons mélodieux et mystérieux par des parents attentifs et complices…

La réalité m’a vite rattrapée. Je n’ai aucune mémoire d’une peau d’homme, rêche et parfumée se frottant sur mon visage pour m’embrasser ; aucun souvenir des lèvres d’une mère embrassant le bout de mon nez…
Je n’ai en souvenir que le vide, l’absence de contact mouillé et tendre. Rien qu’un froid immense, remplit d’un désespoir immonde et gluant. J’ai beau cherché, il n’y a qu’un abysse obscur et glacial dans les tréfonds de mon âme…
Bien sûr l’enfant est devenu un homme ; mais quelque chose n’a pas franchi la frontière entre les deux. Il y a un déphasage qui a fait sa place entre le passé et le présent. Ce déphasage me « décale » dans un monde qui n’est ni le présent, ni le passé ; une espèce de « bulle » dans laquelle je n’arrive pas à m’extirper…
Je ne me sens ni homme, ni enfant. Je suis quelque chose d’autre. Un mutant, un monstre. J’ai beau « singer », « mimer » les comportements sociaux, je n’arrive pas à être social.
J’y mets tout mon cœur, toute mon âme, pour essayer d’exister comme les autres ; mais je suis « vide ». Je ressens la compassion et la haine dans une même charge émotionnelle, la compréhension et l’indifférence dans le même sentiment. Les émotions et les sentiments me terrifient, je ne sais pas les gérer. Je leur cède sans contrôle, alors je les relègue en dernier plan quand ils se présentent…

Le rêve me peine, tout comme le cauchemar. La joie me mine comme la tristesse. Tout cela me semble irréel, en dissonance avec l’instant ; un peu comme si mon ressenti était démesuré…
Je ne peux changer le passé. Je ne peux altérer le présent, je n’ai aucune prise sur le futur… Je suis hors temps, et cela m’effraie. Une seconde me paraît une éternité, et une heure me semble un instant fugace…
Et si tout cela n’était qu’un rêve, ou un cauchemar ?...

Où lire Kakushi Ken

mardi 27 décembre 2016

Stouf - Trêve

Le noël des nains.

Je me souviens du bon temps où notre joyeuse maisons était envahie de nains rigolards et festifs. Chantal Goya et Dorothée venaient chanter dans le microsillon et les ballons complètement gonflés à l'hélium voletaient gaiement au dessus des têtes.

Tout était au top... hip hop, les autres parents et Christine et moi avions tout préparé depuis des semaines, après de nombreux conciliabules et des pourparlers tout à fait de ce qu'il y a de plus secret.

Riton ( Eric le vieux de 14 ans ) s'occupait de la sono et nous le payons alors quinze francs pour la journée de 14 à 19 heures.

Gros René ( le parent qui avait la plus grosse voix pour faire ah ah ah ! ) devenait papa Noël, Sofia la maman vétérinaire du zoo nous avait trouver des reines et Jacquotte la boulangère ( maman de bouboule qui mangeait trop de gâteaux ) nous avait fait les 200 kilos de bonbons à moitié prix.

Les nains, dont Claudine notre fille faisait bien sur partie, s'éclataient comme des dingues et il ne faisait point froid pour un 15 Juillet de noël et Robert le maître nageur (un autre parent ) leur dit que la piscine était ouverte. Ils firent tous « Houaiiii ! » et plongèrent tout habillés dans la flotte.

Quelques mamans firent la gueule, mais pas trop.
- Tiens, ben c'est qui c'ui là ?
Un type bizarre, avec une grande barbe et un grand chapeau, qui fumait la pipe d'herbe simple, arriva tout à coup.
- Bonjour, je suis Gandalf le magicien artificier et je vais vous faire un putain de feu d'artifice et auriez vous l'amabilité de lire monseigneur Tolkien s'te plait ?
Là... il fait tout péter et c'est vraiment beau. Des milliers de lumières luisent, scintillent, poudroient, pirouettent, cacahuètent !

Il est ou le chat, il pleut et il n'est pas content.
Extinction des feux... noël 2016, plus personne.

Claudine est grande et vit à New York avec son mâle et des nains qui parlent à peine français, ils viendront peut-être en juillet, Christine est DCD et moi ?

Bof...


jeudi 22 décembre 2016

Arpenteur d'étoiles - Trêve

Le Noël du Ravi
(conte provençal ...)

1

Je vais vous raconter une histoire qui se déroule il y a bien longtemps, dans le beau pays de Provence. Oh, pas la Provence des abords de Marseille, ni celle tout aussi bruyante des environs de Toulon. Non ... dans la Provence de ce que l’on appelle l’arrière-pays. Mais un arrière-pays éloigné, perdu, presque dans la montagne. Ce n’est pas tout à fait la Provence de Monsieur Pagnol, ni celle si bien peinte par Monsieur Cézanne au flanc de la montagne Sainte Victoire. Elle ressemble d’avantage au pays de Monsieur Giono, à la fois très rude et très belle.

Il était une fois un modeste village qui s’appelait Saint Saturnin. C’est un petit bourg, niché dans un repli de colline, au pied de la montagne de Lure. Il compte quelques maisons en pierre blanches groupées autour de l’église au clocher surmonté d’un campanile ajouré où l’on peut admirer deux belles cloches, bien brillantes. Tout près se trouve la mairie qui abrite aussi l’école des filles à droite et des garçons à gauche. Juste en face c’est le magasin de l’Honorine qui n’a pas la langue dans sa poche et qui sait tout ce qui se passe dans le village. Elle tient une espèce d’épicerie, tabac, journaux, commerce d’articles ménagers et buvette. On l’entend souvent parler haut avec son voisin le boulanger qui fait un pain si bon qu’on vient en chercher de tous les villages environnants.

En été, c’est un enchantement : les forêts de chênes verts, les étendues d’oliviers, la garrigue bruissent en permanence du chant des cigales.
Le soleil tape fort, mais sur la petite place à l’ombre des platanes, les vieux du village se retrouvent pour regarder la jeunesse et se raconter leurs souvenirs. Souvent le curé, le père Bastagoule les rejoint pour partager le fromage de chèvre sur le muret de pierres sèches qui borde la rue principale. La vie s’écoule paisible au rythme du rire des enfants en vacances et de la voiture de la poste qui apporte le courrier deux fois la semaine. A chaque fois c’est un attroupement pour voir les deux magnifiques chevaux roux et l’attelage aux cuivres rutilants.

Mais l’hiver, comme on est déjà dans la montagne, la neige tombe dès la mi décembre. Un soir, le vent de la vallée change de sens, les nuages deviennent gris légèrement rosés, l’odeur de l’air est soudain plus crue, les vieux disent « oh, ben peuchère, demain on verra plus le chapeau de l’Amélie ! ». Et le lendemain, tout est blanc, silencieux et on dirait que le ciel s’est couché sur la terre. Et quand l’Amélie s’en va chercher son pain, elle est tellement petite et courbée par les ans, que c’est tout juste si on lui voit le chapeau tant la couche de neige est épaisse. Et parfois, la neige tombe plusieurs jours de rang. Alors tous les hommes sortent les pelles et les brouettes pour dégager la rue, les abords de la mairie et de l’église et puis la porte de la maison de l’Amélie.
Le village s’endort pour l’hiver. On se calfeutre au mieux au coeur des chaumières. Ceux qui ont des bêtes profitent de leur chaleur qui monte de l’étable ; les autres font un peu plus de feu, en priant pour que la réserve de bois soit suffisante pour aller jusqu’au printemps. On ne se croise plus guère qu’à la messe du dimanche et aux veillées où l’on vient écouter Firmin Mestre, le conteur, dire les légendes du passé avec tellement de vérité que souvent les femmes se cachent le visage dans les mains et les hommes rient très fort pour masquer leur émotion ou même leur peur.

Vous saurez presque tout du village de Saint Saturnin lorsque je vous aurais dit qu’à une lieue et demie, au détour de la route, se dresse le château de Monsieur le Marquis de La Passana à qui appartiennent pratiquement toutes les terres du village. On ne le voit guère que l’été, quand il traverse la place dans son cab tiré par un superbe étalon noir. L’été, et la nuit de Noël. Car c’est lui qui chante le Minuit Chrétien de sa belle voix de basse qui fait vibrer les vitraux et frissonner Mademoiselle Fanette qui tient l’harmonium et qui est si jolie.

Enfin, il faut que vous sachiez également que la ville la plus proche, c’est Sisteron. On y va pour le grand marché, une fois par mois et on en profite pour régler les affaires de famille, chez maître Barbe le Notaire.

Et surtout, une fois l’an, s’y tient la foire aux bestiaux où l’on se rend en délégation derrière monsieur le maire qui présente toujours Arthur au concours du comice agricole. Arthur, c’est un brave taureau limousin, débonnaire comme pas deux, avec un gros paquet de laine entre ses grandes cornes. Il est un peu la fierté du village car il a gagné trois fois de suite le concours. Il faut voir alors monsieur le maire, serré dans son costume noir des grandes occasions, le cou un peu congestionné par la grosse cravate en velours, parader avec son Arthur arborant la cocarde du vainqueur et une couronne de fleurs autour de l’encolure ; tenez, un peu comme les belles tahitiennes du calendrier des postes qui est affiché dans l’épicerie buvette de Madame Honorine.

2

La dernière maison, sur la route qui mène aux hauts pâturages, est celle da la famille Saturnin. Et oui, les Saturnin de Saint Saturnin. Même qu’il y en a pour dire que le Saint qui a donné son nom au village était de leurs aïeux. Allez donc savoir...

Le père, le Baptiste, est fermier chez Monsieur le Marquis. C’est une espèce de colosse aux puissantes épaules et aux mains larges comme des battoirs. Il a marié il y a plus de quinze ans la Francine Juillet. Elle s’appelle ainsi car on l’a trouvée un premier juillet, sur les marches de l’église, enveloppée dans un lange et couchée dans un panier. Elevée tant bien que mal par les soeurs de Sisteron elle fut renvoyée au village dès qu’elle eut l’âge de travailler. Madame Honorine termina son éducation et la garda avec elle pour l’aider à tenir son commerce. C’est là que Baptiste la remarqua et la demanda en mariage. Depuis, ils ont eu quatre enfants tous plus beaux les uns que les autres. Seulement voilà : de leur aîné, ont dit qu’il est un peu « ravi ».
Chez nous, en Provence, le Ravi, c’est le simplet du village. Mais attention, c’est quelqu’un d’important malgré tout ; on dit qu’il est comme ça parce qu’il voit les anges et qu’il leur sourit tout le temps. On l’aime bien même si parfois, les autres enfants lui font des niches pas toujours charitables. Mais c’est jamais bien méchant. On raconte même que dans une petite ville près de Marseille, le ravi, à force de mettre son nez partout et n’importe où, il a finalement découvert une source d’eau gazeuse qui a fait la fortune du canton. Alors, les ravis, on en prend bien soin ; on ne sait jamais ...

L’aîné des Saturnin c’est peut-être pas tout à fait un ravi. C’est plutôt un enfant rêveur, un peu dans la lune, qui n’écoute que rarement ce qu’on lui dit. Il y a une seule chose qui l’intéresse, c’est ramasser des herbes et des fleurs. Malgré ses douze ans, Il sait par coeur tous les sentiers de la garrigue et des alpages. Et pendant que les autres enfants jouent à pique-maille, à chat perché ou à tire-pousse, il n’est pas rare de le voir couché le nez dans l’herbe à regarder on ne sait trop quoi. Monsieur Berthon, l’instituteur qui par parenthèse nous vient de Lyon, dit qu’un jour, son esprit s’ouvrira et que si c’est pas sur, c’est quand même peut-être.

En tout cas, on le voit souvent promener dans le village sa silhouette maigrelette et sa tignasse brune avec un éternel sourire aux lèvres et une paille entre les dents.

Les parents Saturnin ne savent pas trop quoi en faire. Ils essayent d’agir en sorte qu’il rate le moins possible l’école de monsieur Berthon et lui demandent de menus services dont il s’acquitte du mieux qu’il peut. Et puis surtout, ils lui donnent, comme à leurs autres enfants, tout l’amour dont ils sont capables. C’est le Bon Dieu qui leur a envoyé un ravi et ils ne lui en veulent pas.

La montagne de Lure

mercredi 21 décembre 2016

Tiniak - Trêve

Agapes

À moi ! Duos de chair, collines...
Tendres, sous mes fermes rapines !
Fendus d'estourbissants clivages
promis à de fièvreux ravages

Gagnez d'artistiques sommets
brutaux accords de nos fumets
dont le concert appétissant
transcende les contentements

À moi ! Sublimes chorégies
où se fondent les arguties
au profit d'orgues plus amènes
irréfutables de sans-gène

Pleuvez ! Pleuvez, fleuves sans nom
vos crèmes, liquoreux chinons
et autres vaporeux trésors
élixirs... Oh ! Joyeux essors !

Eh ! C'est bien le jour ! C'est la fête !
Où s'empiffrer jusqu'à plus tête
en profondeurs évanescentes
et en dévorations charmantes

S'il est né - comme on dit, ce jour
(le corps du Paternel Amour)
c'est pas pour atténuer ici
notre feu d'aimer à l'envi !

Où en reprendre un' bonn' lampée ...

lundi 19 décembre 2016

Semaines du 19 décembre 2016 au 1er janvier 2017 - Trêve

Après vous avoir fait imaginer pour ces fêtes de fin d'année le pire, comme le meilleur, le grinçant comme le tendre, nous vous proposons de vous consacrer tranquillement à vos réceptions, et à vos agapes qui, nous l'espérons, seront fort bonnes pour vous tous :)
Durant ce temps là, nous allons laisser le site s'endormir, et nous donner le temps de nous reposer, rêver, paresser, et de restaurer notre imagination.

Nous vous donnons rendez-vous pour une nouvelle année d'écriture avec un nouveau thème lundi 2 janvier 2017.
D'ici là, n'hésitez pas à nous communiquer vos envies pour le site, et des idées de thèmes futurs, par mail à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com, ou directement sur notre page Facebook.

dimanche 18 décembre 2016

Fred Mili - Un plat difficile

J'ai repris l'idée de Célestine pour faire un texte à ma façon avec les mots qu'elle suggérait.

Fête, sapin, étoile, huîtres, guirlandes, boules, rennes, cheminée, lutins, traîneau, grelots, gui, neige, dinde, foie gras, père Noël, cadeaux, bougies, lumières, cadeaux, champagne, houx.

– Merde je me suis piqué le cul avec le houx, brailla la vieille dinde en renversant son verre de champagne.

Pas très étonnant le père Noël sur son traîneau n'avait que sa barbe pour seul artifice et ses grelots s'agitaient chaque fois qu'il se baissait pour distribuer les cadeaux. Les lumières brillaient de tous leurs feux mais sa bougie semblait sur le déclin.

La fête au Club 69 battait son plein alors que chaque mâle tentait de passer sous la porte de verre illuminée de toutes ses guirlandes, sur l'imposte une branche de gui s'étalait, royale, avec pour seul espoir de redorer leur cheminée fatiguée, la franchissant ils espéraient l'impossible.

Chaque année le Club organisait une soirée pour les vieux libertins en mal de souvenirs. De jeunes lutins, flamberge au vent fixant les étoiles s’occupaient des vieilles septuagénaires cherchant à leur offrir un brin de plaisir même si leurs huîtres trop usagées semblaient bien asséchées.

Que les vieux mâles, foie gras en évidence, se jettent sur la corne de renne pour retrouver une fierté disparue n'avait rien d'exceptionnel chacun sait que la neige refroidissait toute velléité, leurs boules n'ayant pas plus de rondeurs que les sacs qui les contenaient.

Seul le sapin restait droit, fier comme un petit banc.

C'était pathétique.


Bricabrac - Un plat difficile

Réveillon

J’étais invité au réveillon. Une fois chez l’un, une fois dans la belle-famille. Ça ne se refuse pas. Je me réjouissais à l’avance de la bûche, qui viendrait après les bouchées à la reine et le boudin. Mais je me perdis dans le quartier et arrivai tard. En outre, j’avais couru les magasins encore ouverts pour trouver des bricoles à apporter, ô trois fois rien, des bagatelles, des breloques, des brimborions, des babioles, quoi. Et une boîte de biscuits roses.

La minuterie s’arrêta sur le palier et, manifestement, s’en alla réveillonner en ville. Je ne lui en fais pas le reproche, c’est Noël. Je décidai de frapper à la porte la plus bruyante, mais j’aurais dû comprendre que je me trompais, car on entendait surtout des hahaha !, des âneries et des aphorismes. C’est Amandine qui vint m’ouvrir, un vrai courant d’air. « Pose tout ça là, me dit-elle. » En m’avançant, je vis Adèle, debout, qui, majestueusement, tranchait un ananas. Autour de la table, j’aperçus Alain, Albert, Alphonse, Adeline, Angèle, Aurore, ainsi qu’une avocette élégante que je connaissais de vue. Je reconnus l’Arpenteur, un collègue, Ali Baba, qui était venu seul, Astérix, seul lui aussi, devant une assiette pleine de restes de sanglier, Assurancetourix, bâillonné en haut du sapin, et beaucoup d’anonymes. J’avais là des amis et des amoureuses, mais Noël est une fête de famille, à la Saint-Sylvestre, c’est différent. Quand ils me virent, un ange passa, qui me cria : « Hé, Bricabrac, tu t’es trompé de porte, c’est celle d’à côté ! »

A nouveau dans le noir, je toquai à la porte de gauche, d’où s’échappait un air de zeibekiko. On ne m’entendit pas. Je poussai la porte. La fête était à son zénith. Zorba dansait autour d’une flûte de champagne, qu’il essayait acrobatiquement d’attraper avec les lèvres. Zorro, tout vêtu de noir, faisait tournoyer au bout de son épée un zeste de Zitrone qu’il avait piqué dans une assiette de zakouski. « Ça va les z’enfants ? », hurlait Zavatta, mais ceux-ci couraient en tous sens en zigzaguant entre les chaises. Il y avait aussi quelques zigotos, et des p’tits zoiseaux qui voletaient tout autour de la pièce en zinzinulant. « Tu as pris la mauvaise direction, Bricabrac », ainsi parla Zarathoustra, qui me zieutait, assis à l’écart comme un vieux sage, et avait remarqué mon état de confusion.

Cette fois, parce qu’il se faisait vraiment tard et pour ne pas lasser les lecteurs, je ne fis pas l’erreur d’aller sonner à la porte un peu plus à gauche, derrière laquelle des yachtmen yankees venus de New York fêtaient Christmas en compagnie de yogis, autour d’une table chargée de yaourts, mais je repartis dans l’autre sens.

Je tambourinai doucement contre la porte sur un rythme de bossa nova et entrai. Le bal avait commencé. Je fis la bise à Bernadette, ma bru, qui valsait dans les bras de Bruno. Une bergeronnette un peu grise sautillait en rythme. « Il ne manquait plus que toi », me dit Babette en me donnant un baiser. Toute la famille était réunie. Les bébés, que le bastringue ne dérangeait pas, dormaient dans leurs berceaux dans une chambre mitoyenne, sous l’œil attendri de Brigitte Bardot, qu’on avait engagée comme baby-sitter. Je fus heureux de voir que les bonobos, qui sont nos cousins éloignés, avaient pu venir. Et même Babar, qui avait quitté son royaume pour passer Noël en famille ! « Au fait, Babar, tu n’es pas venu avec Céleste, elle n’est pas là ? » Il me regarda avec étonnement. « Oh, Bric’, ne me dis pas que tu n’as rien compris à cette histoire ! »

samedi 17 décembre 2016

Célestine - Un plat difficile

Recette : prenez vingt mots familiers de Noël.
Mélangez. Obtenez un conte bien horrible.

Fête, sapin, étoile, huîtres, guirlandes, boules, rennes, cheminée, lutins, traîneau, grelots, neige, dinde, foie gras, père Noël, cadeaux, bougies, lumières, cadeaux, champagne, houx.

***
Cette année ça sent le sapin ! Tante Morticia a décidé de nous pourrir la fête en faisant entre le chapon et la bûche glacée une crise de délirium très gros.

Son dernier verre de Pernod elle l’a bien senti passer dans son foie gras tout gonflé.

Ça l’a envoyée tout droit à l’hosto, en coma éthylique dépassé. Un réveillon cinq étoiles qu’elle nous a offert, la vieille, tu parles d’un cadeau ! Quand on est arrivés, à minuit, on s’est fait enguirlander par l’infirmière de garde, elle avait les boules parce qu’on faisait trop de bruit dans les couloirs. «Debout les morts » ! braillait Oncle Hermann qui s’était déjà jeté trois coupes de Dom Pérignon derrière le nœud pap. « On va m’appeler le veuf Clicquot ! Hips ! »

Les jumeaux Jap et Jan ont fait les lutins, avec leur Q.I. d’huîtres anémiées, ils ont allumé des becs bunsen en guise de bougies. C’était beau, ces petites lumières qui éclairaient le visage blafard de Morticia. Pendant ce temps, cette dinde d’Hérégonde accrochait du houx aux montants du lit et en enroulait du gui autour de la perfusion de la malade. Trop tard ! Le sifflement bien connu de la machine avait un son lugubre en continu qui ne trompait pas.

« T’as l’air d’un renne avec ton nez rouge… Tu t’en es trop envoyé dans la cheminée, ma vieille bique ! » A murmuré Hermann soudain morose comme un traîneau vide sur de la neige carbonique.
Puis il s’est secoué les grelots, et tout en fermant les yeux bouffis de la défunte :
« … Allez, pleurer, ça la fera pas revenir, six roses pour la cirrhose,
et champagne pour les autres! C’est pas le tout, on a une bûche à finir »


Joyeux noël à tous !
¸¸.•*¨*•

Où lire Célestine

Stouf - Un plat difficile

Elsa

Le désespoir est une forme supérieur de la critique, pour le moment nous l'appellerons « bonheur », les mots que vous employez ne sont plus « les mots » mais une sorte de truc à travers lesquels les analphabètes se font bonne conscience.

Elsa avait sommeil tout à l'heure et elle s'est endormie en plein cours magistral de mécanique quantique du prof Christophe Texier de l'université Paris sud (pourtant il caille un peu dans l'amphi, surtout vers le haut des gradins), c'est pas bien.

Ben ouais mais à dix-neuf ans, lorsqu'on aime bien manger dans un bon restau le soir, où la sympa Julia sert un « Lapin chasseur et ses petites pommes de terre », qu'on boit  quelques verres d'un côte de Blaye en Bordeaux rouge, qu'il y a Vladimir qu'a vingt ans et qu'est beau comme un dieu à la tablée et que ça dure jusqu'à pas d'heures... ben on reste et le lendemain c'est dur.

Elle rêve, c'est le sommeil paradoxal, chez papy et mamy en Bretagne et le bonheur dans un jardin au bord de la mer et toute la famille attablée qui rigole, boit et mange « le lapin chasseur » qui s'en fiche puisque il est cadavéré (d'ailleurs ils sont plusieurs parce que y a beaucoup de monde à la table).

Les gosses ont leur tablée un peu plus loin.

Elsa a dix ans et déjà elle se demande plein de trucs dans sa tête. Yannick le binocleu, pourquoi il met son genou droit sur son genou gauche à elle, pourquoi il pleut toujours en Bretagne, c'est vrai que ses vrais parents sont morts et que Josette et Robert ne sont pas ses vrais parents ( c'est Julie son amie, la fille du monsieur qui bosse dans un truc qui s'appelle "ladasse", qui lui a dit) ?

Elsa se met à trembler, elle est agitée dans tout son corps. Chploc... elle réussit à ouvrir un œil.
- OH Corinne, t'arrêtes de me secouer, tu me gonfles ! Y s'passe quoi ?
- Le cours est fini, tu viens avec moi à la cantine, j'ai faim ?
- M'enfin... tu sais bien que je suis anorexique ! Bon okay... je ne le suis plus.

Les nanas sont joyeuses et les gars les matent subrepticement et elles descendent les escaliers pour aller à la cantine.
- Bon dis donc, t'as pris des notes sur le cours ou quoi ? Demande Elsa à Corinne sa copine intello.
- T'inquiète ma grosse, comme d'hab', j'assure ! .

jeudi 15 décembre 2016

Arpenteur d'Etoiles - Un plat difficile


L’invité inopportun

Noël 2005
La maison est chaleureuse et un peu fantastique. Des dizaines de bougies sont disséminées un peu partout et quelques lampes discrètes dans les angles des murs étirent les ombres des objets que leur lumière rencontre. Des photophores colorés descendent des vieilles poutres en bois et font danser leurs reflets dans le cristal des verres et sur la porcelaine fine. Un tulle aérien couleur d’ambre habille l’immense nappe blanche. Le feu dans la cheminée embrase doucement le salon. Le sapin majestueux semble protéger une crèche modeste dans laquelle dort un de nos chats. Des paquets cadeaux attendent tout près dans des emballages dorés.

Nous sommes peu nombreux : quatre adultes et deux enfants, ou plutôt deux adolescents. Les femmes, sœurs jumelles sont belles, un peu coquines, discrètement maquillées. La jeune fille a pour la première fois abandonné ses multiples couches de vêtements pour laisser apparaître quelle femme elle deviendra plus tard : robe noire, quelques grammes de dentelles visibles dans le décolleté sage et des paillettes pour accentuer le regard. Nous, « les hommes » nous avons choisi la version décontractée. Le jeune frère fait étalage, mais dans l’humour, des marques qui attestent de sa tribu du moment. Musique de circonstance, chants de Noël, un peu d’encens, la tête tourne agréablement.

Champagne, puis vendanges tardives accompagnant l’entrée. Puis ensuite, poulet de Bresse aux morilles. Nous parlons des Noëls de nos jeunesses, de l’attente, du vélo rouge que l’on découvre au matin en se baissant sous la table de la salle à manger pour voir, de l’autre côté, le pied du sapin, des oranges et des papillotes. On raconte aux enfants qui font semblant de nous écouter ceux que nous ont racontés nos parents et nos grands-parents. Les Noëls de « pauvres », ceux des gens modestes quand on savait se contenter de si peu, mais où le bonheur était si grand. Quand toute la famille mélomane et musicienne composait une chorale parfaite pour chanter Jésus le Rédempteur. Les messes de Minuit si belles et si … longues. Enfin, tout cela …

Et puis une réflexion anodine. La grande qui s’étonne, qui pâlit, puis qui éclate en sanglots. Son père prend soudain un regard vague. Et puis la faille s’ouvre, une monstrueuse anfractuosité où s’engouffre un torrent de reproches, de non-dits enfin exprimés. L’alcool désinhibe. L’homme devient un justicier, un garant de la morale et des bonnes mœurs, celui qui détient LA vérité, la seule, l’immuable depuis la nuit des temps. Les mots ont été dits, définitifs. Les accusations sont sans appel. Personne n’est innocent ; nous sommes tous coupables d’être ce que nous sommes et de ne pas savoir ou vouloir comprendre.

Les deux sœurs sont montées à l’étage avec les enfants, en larme et en colère. J’écoute seul le long flot de paroles, coupé de pleurs, de gestes brutaux. J’endigue au mieux que je le peux les écarts imprévisibles, les injures dans du verre brisé. Il déchire son couple, le broie, l’écrase et le sanctifie à la fois. Tout y passe, des anciennes histoires aux rares relations sexuelles. Qu’est-ce que j’ai à faire là-dedans, moi ? Que s’est-il passé dans cette fraction de seconde pour détruire une vie ? Après long temps, les mots se firent plus rares, le silence s’installa peu à peu dans une espèce de sidération, d’hébétude.

Il suivit une semaine de tension terrible, de carabine vingt-deux long rifle cachée dans le grenier, de virées folles et solitaires en moto, d’œil au beurre noir, de désespoir et de colère. Et puis plus rien que le silence oppressant de face à face interminables.

Ce soir de Noël, s’étaient invités le désamour, l’incompréhension et la haine. Aujourd’hui tout est consommé ou presque : divorce, séparation. La page se tourne douloureusement, mais malgré tout, elle se tourne.

Dans quelques jours c’est Noël. Un vrai Noël chaleureux et tendre et plein de bonheur …

Pascal - Un plat difficile

Les pâtes de fruit 

"La famille est un plat difficile à préparer. Il y a beaucoup d'ingrédients. Les réunir tous est un problème - surtout à Noël et au nouvel an." Francisco Azevedo.

Tu parles… Selon le degré de parenté, c’est l’octroi, la priorité du repas du 24 au soir ou du 25 midi ; pour les moins chanceux, les moins bien placés, les moins riches, dans la hiérarchie familiale, c’est le 25 au soir. Pareil pour le réveillon du nouvel an. Et puis, cela devient la coutume à ne pas déroger ; untel reçoit tel jour, untel tel repas et untel telle soirée. Sous peine de brouilleries irréparables, les dates sont réservées d’une année sur l’autre… 

La recette de ce plat de résistance ? Les étrennes ! Les beaux-parents de ma fille ont vite trouvé la solution du 24 au soir ! Ils graissent généreusement la patte à leurs gosses et inondent de cadeaux leurs petits-enfants ! Pari gagné à chaque fois ! Même ceux qui habitent loin se débrouillent pour mettre les pieds sous la table à l’heure du repas ! Merde ! Un bon chèque, ça ne se refuse pas et ça met le sourire sur tous les visages !

Et puis, ces chers gâteux friqués, ils ont des ultimatums ! Ils jouent les maîtres-chanteurs ! « Si tu ne viens pas, je donnerai ton chèque à ta sœur et les cadeaux de tes gosses aux siens… » Oui, c’est de l’amour tarifé. Ma gosse est achetée, elle a un prix…

Politiquement parlant, ils ne sont pas franchement d’accord ; il faut juste qu’elle pense à regarder le nombre de zéros sur son chèque pour acquiescer sans broncher aux discours débités par son beau-père. Chef de la maison, il est chez lui, il a tous les droits. Alors, elle se tait. Il a payé pour avoir ses prérogatives, il en profite…

Magnanime, il sert, il réclame les assiettes, il débouche le pinard, il demande d’approcher les verres ! Naturellement, il se vante : « Buvez mon champagne ! Je le fais directement venir de Metz !... Goûtez-moi ce caviar ! Je l’ai commandé à l’épicerie Beluga ! Il est bon ?... Plus c’est cher, plus c’est bon !... Reprenez de la bûche ! C’est le meilleur pâtissier de la ville qui me l’a préparée !... » Il se fendrait même d’un bon rot à la fin d’un plat mais sa femme, l’œil froncé, le foudroie du regard en anticipation dangereuse…

Il prend part à toutes les discussions même si ce qui se dit par les plus jeunes va trop vite pour lui. On ripaille, on a quelques bons mots, on félicite, on s’amuse, parce que, vaille que vaille, la tribu est réunie pour le meilleur et pour le fric…

Le 25 midi, c’est déjà nettement moins festif. D’ailleurs, ils n’arrivent à table qu’après treize heures ; la gratification est moins intéressante… « Y avait les kilomètres !... » « Apéritif ?... » « Non, non… » « Amuse-gueules ?... » « Non, non… » « Resservez-vous !... » « Non, non… » Ils ont des grimaces de mal réveillés et les caprices de leurs gamins, qui ont trop peu de sommeil, électrisent l’ambiance plus que le sapin qui clignote gaillardement sans que personne ne l’admire. Les cadeaux sont à son pied mais on ne songe pas à aller les ouvrir ; on sait ce qu’il y a dedans. Les gamins leur donnent des coups de pied pour jouer au ballon, renversent quelques santons et réclament de rentrer à la maison. On lève le dernier verre de… Badoit en on s’en va…

Le 25 au soir, c’est triste ; il faut supporter leurs gueules de déterrés et on a plutôt envie de leur servir un Alka-Seltzer qu’un verre de Gigondas ; pourtant, on a économisé pour acheter cette fameuse bouteille. Ils ont des haut-le-cœur, ces chéris, en regardant la mayonnaise « fait maison » et leurs gosses dorment sur leurs genoux. En guise de conversation, ils vous bâillent à la figure et leurs yeux clignotent pour ne jamais vous contredire ; ce n’est même pas la peine de parler du dessert parce qu’ils sont à deux doigts de gerber la bûche de la veille… Les papillotes pétards n’amusent personne, et puis, les pâtes de fruit, ce n’est pas bon, on le dit chaque année, et il ne faut surtout pas réveiller les pioupious…

Les blagues tombent à plat, les silences sont pesants et les mastications sont contraignantes. Les cadeaux ? On viendra les chercher un autre jour, pourquoi pas au Noël prochain… Ha, ces cadeaux, ces putains de cadeaux, qu’il a fallu acheter en concertation avec la maman pour ne pas qu’ils aient trop de jouets en double…

Les trois quarts de la bouffe restent sur les bras. Ce n’est pas grave ; on mettra tout dans des Tupperware mais on oublie sciemment de les emporter… Heureusement, la grand-mère a prévu la traditionnelle salade de fruits et on tend les coupes. Bien sûr, les gosses se barrent sans aider à débarrasser la table…

Parce qu’en fin de compte, et entre nous, le repas de Noël, c’est uniquement pour célébrer la réussite des grands-parents. Chacun de leur côté, en guerre interposée, avec les gosses comme soldats au champ de bataille, c’est l’escalade des étrennes, des cadeaux et de tout ce qui peut les attirer dans leur maison. C’est vrai qu’elle est triste, cette grande baraque depuis que les gamins ont déserté le nid ; il faut à tout prix l’égayer, donner encore un peu de sens à cette vie qui s’enfuit… 

Moi, j’aimerais bien avoir ce genre de plainte, j’aimerais bien avoir ce type de problème, pour occuper les fêtes de fin d’année. Je suis veuf, enfin, je suis divorcé, c’est tout comme ; mes gosses ne viennent jamais, je ne peux pas m’aligner. J’habite trop loin et, avec ma retraite de cigale, je ne peux pas me permettre de distribuer à chacun des chèques de soumission. Et puis, ça ne s’invente pas, je n’ai pas les mots chaleureux, le sapin illuminé, la bouteille millésimée à mettre sur la table pour entretenir la magie de l’illusion. Si je me forçais, ça sonnerait faux. Je ne peux réunir autour de moi le parterre de mes gosses hypocrites pour qu’ils écoutent mes discutables leçons de parvenu qui n’est arrivé à rien. Et puis, si ma fille aînée venait exceptionnellement passer le réveillon chez moi, ce serait pour faire sa bonne action et c’est moi qui aurais l’impression imbécile que le père Noël existe…

Jujube - Un plat difficile

Permettez-moi de me présenter simplement, je suis l’œuf mimosa.

On me dispose avec mes semblables sur un plat de faïence blanche listé de bleu, dont la vieille Thérèse est la propriétaire soigneuse. Je ne sais pas si nous sommes sa fierté ou son seul recours, mais lorsqu’elle reçoit la famille, c’est nous qui ouvrons le banquet.

Nous voici donc installés sur la table, bien rangés en rond sur un lit de laitue coupée en chiffonnette.
J’entends déjà les cris d’accueil:

- Ah! Des œufs mimosa! Mamie, tu nous gâtes! Tu les réussis toujours si bien!

Moi qui suis au centre du cercle, rehaussé par un petit tapis de tomate en rondelles, je me dis que j’attire une bonne part de ce compliment, d’autant que je porte une peluche de persil sur chaque moitié pour bien marquer que ma mission consiste à ponctuer l’harmonie de l’ensemble, ce qui me donne une modeste satisfaction.
J’ai entendu une jeunette récriminer:
- Encore des œufs mimosa! Ce que c’est ringard! On se croirait dans les années cinquante!

Oui, Mademoiselle! Je succède à des générations d’œufs mimosa! J’appartiens au patrimoine de la cuisine familiale française! Et je m’en targue! Je ne suis pas servi dans vos boutiques de néfaste food qui vous donnent des boutons ou pire, des bourrelets. Je suis frais, moi, cent pour cent bio puisque j’arrive du poulailler de Thérèse qui nous cueille chaque matin.

Comme mes congénères, je suis né d’une poule bien nourrie qui m’a fait un jaune d’or franc. J’avoue que dans la paille douillette où j’étais chu, dans l’emphase des cris de triomphe de ma mère, je ne prévoyais pas le destin qui m’est échu (c’est vrai, je me plais à quelque rime à l’occasion pour peu qu’on me laisse parler de moi…). Or, voilà que je retrouvai d’autres amis dans le panier où bien que délicatement posés, nous nous sentions un peu choqués. Il faut dire que Thérèse boîte un peu «rapport à ma patte de laine» comme elle dit.

Et on nous mit dans une casserole, dans un bain froid qui peu à peu s’échauffait, devenait brûlant! Gros bouillons, chocs et rebonds, certains en bavaient, mais pas moi qui suis restée intègre et sur mon quant à soi. Un peu de repos me rendit à moi-même, quoique je me sentisse curieusement compact et rigide. Je me dis que je m’étais fortifié dans l’épreuve, sans doute parce que je me souvenais des paroles d’encouragement qu’une vieille poule dispensait à ma mère tandis qu’elle me pondait: «Oui, c’est dur, mais tu le fais! Et tu le fais parce que c’est dur, et comme c’est bien, tu le fais, même si c’est dur! ...» Bref, j’étais devenu œuf dur.

Mais la suite me fut cruelle: pensez à l’humiliation de perdre sa coquille, de se retrouver tout nu en compagnie de mes semblables aussi nus que moi! Et pas moyen d’échanger nos impressions, car une main me cueillit dans le plat, une lame me trancha, une cuillère me vida. J’avais perdu mon cœur d’or, l’intimité réfléchissante de mon être, je n’étais plus que deux barques vides, comme nous tous. Où était passé mon jaune? Avec celui des autres, écrasés sous une fourchette active, et agrégés par une mayonnaise provenant aussi du poulailler. Comme nul œuf ne saurait lire dans les très hauts desseins de Thérèse sans qui ses poules ne seraient pas, ni les œufs, ni tout ce monde plein de hasards et d’épreuves, force me fut de m’en remettre à sa volonté.

Une cuillère me remplit. Je me retrouvais, en ma figure double, empli et rebondi d’un onctueux mélange auquel nous avions tous contribué, rassuré de me ressembler, bien que reconstitué d’une substance plus souple, plus riche, «Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre».

Thérèse nous prodigua dès lors toute sa sollicitude. Une peluche de persil vint rehausser ma belle couleur, et chacun fut placé délicatement sur la salade fraîche, mais à mesure que mes compagnons me quittaient pour rejoindre le cercle, je me demandais si l’on ne m’avais pas oublié. Mais non! On m’avait réservé le centre, sur une rosace de rondelles de tomate de l’effet le plus vif! «Pourquoi moi? Je n’ai pourtant rien fait pour me faire remarquer?» me disais-je, tandis que les couverts de service commençaient leur ballet d’hélicoptère, déposant dans chaque assiette deux moitiés plus ou moins assemblées de mes compagnons… mais ce fut mon tour enfin, je quittai mon jardin de verdure déjà clairsemé et atterris dans l’assiette d’un gamin rechigné qui prétendit qu’il... ne m’aimait pas?!? Son voisin, grand dadais au teint bourgeonné, me renversa dans son assiette et, en quatre bouchées, je fus consommé.

Quand je pense au temps que Thérèse a mis pour nous préparer, à tout ce qu’il m’a fallu endurcir, non, endurer, je regrette ma mère poule qui aurait pu me couver.

mercredi 14 décembre 2016

Jacou - Un plat difficile

Salmigondis

- Julie, ma liste est prête.
- Déjà ! Tu n'as rien oublié ?
- Bon voilà. J'ai invité mon cousin le Maharadjah de Jodhpur, ma marraine d'Oléron, mon oncle Ecossais...
- Tu as un oncle écossais ? Premières nouvelles.
- Mais si, celui qui a une...
- Oui, je vois, la panse de brebis farcie ? Quelle horreur !
- T'inquiète, cette fois, il nous apporte des petits pois.
- Bof, pour un repas de réveillon...
- Pourtant avec la dinde...
- La dinde, quelle dinde ?
- Celle du maharadjah, avec des marrons, en plus.
- Très bien. La suite...
- Ta cousine, pour les œufs...
- Des œufs au plat pour un repas de fête...et puis, comme elle est enceinte...
- Elle est enceinte ? Qui est l'heureux papa ?
- Un Max quelque chose. Tu connais pas.
- Si c'est Max Well, il nous porterait le café. Non, je sais, tu préfères celui de ta Grand-Mère.
- Tu sais bien qu'il n'y a qu'elle qui sait faire du bon café.
- Chez toi, ton père vient. Marie Antoinette sera contente.
- Et moi, alors ?
- Oui, bien sûr; mais elle, il y a longtemps qu'elle n'a pas mangé de brioche.
- Mufle ! A propos ma cousine, c'est Max Imaux, qu'il s'appelle.
- Max et Anne Imaux, charmant couple. Il est végétarien, aussi ? Tu crois qu'on les invite ?
- Si tu as des gros légumes sur ta liste, ils s'entendront très bien.
- Je ne suis pas sûr que les rois mages puissent venir. On verra. On passe au désert ?
- Tu veux dire dessert ?
- Oui, bien entendu. Il y aura mon cousin Nanouk.
- Et alors ?
- Il habite en Laponie. Tous les ans, il se prend une bûche chez le Père Noël.
- J'ai une surprise pour toi. Tu te souviens de mon oncle Harpagon.
- Non, ne me dis pas qu'il apporte des clopinettes. Mon dessert préféré !

Où lire Jacou

Tisseuse - Un plat difficile

A la fin de l’année
Si la famille est rassemblée
Comment faire coexister
Bernard le forcené
Et tante Adèle si pincée
Cette chipie d’Aglaé
Et son frère un peu benêt
Ils risquent tellement de nous barber

La joie de se retrouver
Avec Hervé puis Salomé
Aidera-t-elle à digérer
Les rancœurs, les inimitiés

La guerre est  si vite réveillée
Qu’il est prudent d’éviter
Les sujets barbelés
Ceux qui sentent le brûlé

Pour qui aller voter
Accueillir ou non les étrangers
La question du genre à se poser
Mais avant tout : qui a été le préféré ?

Faut-il planquer ses idées
Dans la trêve imposée
Se laisser étiqueter
Comme gentiment névrosé

S’astreindre à composer
Un repas bien gras bien gorgé
De sacré au risque de dessaler
Et se fendre de présents bien pensés

Ou se laisser doucement gagner
Par la nuit étoilée
Se prendre à croire en l’humanité
Et à l’espoir insensé de nous aimer

mardi 13 décembre 2016

Laura Vanel-Coytte - Un plat difficile

La famille est un plat difficile à avaler

Je n’ai plus assez d’appétit pour me mettre à table avec ma famille
Je n’ai plus assez de patience pour attendre qu’on me passe le plat
Je n’ai plus assez de résistance pour supporter sans broncher les phrases
Assassines qui brûlent l’estomac, le cœur, l’âme et gâchent cette fête
Qui est pour moi, même si je doute, une fête qui se prépare en Avent
Elle se prépare pour moi, comme tout moment de la vie, par des lectures
Sacrées ou non, que l’on croie ou pas à l’Immaculée Conception
Lyon remercie la Vierge depuis des années par des Lumières.

La famille est un plat difficile à avaler quand elle est trop salée
Par les questions sur les cadeaux qui ne plaisent jamais,
Les cartes trop papier, trop numériques, trop avant, trop après
Quand rien ne va plus, je passe le plat et mon tour et je vous laisse

A vos repas trop lourds, trop longs, trop hypocrites, sourires de façades
Devant les rancœurs de tenaces, les mots dits, les mots tus et mensonges
Je n’ai plus assez d’appétit pour me mettre à table avec ma famille
Je préfère les repas en amoureux avec celui que j’ai choisi

Si l’amour est curiosité de l’autre, j’ai longtemps été amoureuse de ma famille
Essayant par papier, appels, attentions, mémoires de leurs vies
De me faire aimer, connaître par eux mais je n’ai plus la force
Ni l’appétit, La famille est un plat difficile à avaler

Andiamo - Un plat difficile

Noël au balcon... De poitrine une fluxion !

C'est NOËL ! Alleluiah ! Les rues endimanchées, les flocons qui voltigent (vous avez remarqué, les flocons voltigent toujours), les sapins enguirlandés, comme vous quand vous ne prenez pas les patins.

Il faut avouer que c'est tout de même casse pieds (dans mon blog je suis moins poli, mais là on ne se connaît pas), surtout quand on fait le réveillon chez soi :
- Le repas onéreux,
- La belle mère envahissante,
- Des dépenses somptuaires en faveur d’adoléchiants boutonneux, et pas toujours méritants,
- ETC... ETC.

Alors voilà, vu m'n'âge avancé, j’ai décidé de vous faire bénéficier de mon IMMENSE expérience dans le domaine du : comment emmerder ceux qui voudraient vous emmerder !

1) Les mômes des autres… Ils sont un peu comme les pets, il n’y a QUE les siens que l’on supporte !
Vos amis, sœurs, frères, etc., vont débouler avec leurs chiards, pour le sempiternel repas de Noël... Noël, sonnez z'haut bois, résonnez musettes, à propos de musette attendez un peu avant d'en prendre une hein ?

Des modèles ! Les mômes de vos frangines et frangins, studieux en classe, polis, ne parlant que si on les interroge. Alors que les vôtres n’en foutent pas une rame, doivent être rappelés à l’ordre pour dire bonjour, coupent la parole aux adultes, mangent comme des gorets : des mômes normaux en somme !

Quoi de plus énervant ? Les parents sont là, étalant les résultats scolaires, montrant comment leur dernière sait bien placer ses mains en couronne. Pensez ! Quinze jours qu’elle pratique la danse « classique » ! Elle est douée, nous a affirmé son PROFESSEUR, lâche l’autre conne de belle-sœur en faisant sa bouche en cul de poule !

Ah ! Ça agace, et il y a de quoi, je vous comprends, je suis passé par là !
Alors voilà, suivez LE conseil d’Onc’ Andiamo.
Laissez les parents étaler les prouesses de leur progéniture acnéique, les gamins jouent ensemble dans la chambre des enfants… Au docteur ? Peut-être ! Allons c'est bon pour l'acné justement.
Puis au bout d’une demi-heure, prenez l’air le plus détaché du monde et déclarez :

- Nous revenons d’un voyage dans les Caraïbes. Patrick et Charlène ne sont pas bien, nous avons pris rendez-vous avec le professeur Mollard, le spécialiste des maladies tropicales, car nous craignons beaucoup, surtout avec le choléra qui sévit dans ces régions en ce moment…

Et là, vous verrez la tronche des deux abrutis virer au vert. Ils prétexteront une casserole de lait oubliée sur le feu et appelleront leurs chers anges, leur intimant l’ordre de se rhabiller et de partir au plus vite !
- Vous ne voudriez pas que notre appartement parte en fumée ?
- Ben non !
- Alors on rentre ! N’embrassez pas vos cousins, et excusez-nous, une autre fois peut-être ? Et tenez nous au courant, ça n’est peut-être pas aussi grave !

Et hop ! Partis. Bien sûr vous n’aviez pas préparé un repas pour huit personnes, seulement pour vous quatre… On est si bien en famille !
La belle-doche qui rapplique pour le réveillon de Noël ?
Une fouineuse qui colle son pif partout ? Plus envahissante qu’Attila, qui en comparaison ferait figure d’invité recommandable ?

Encore une fois LA solution :
Nul besoin de l’inviter pour Noël, de toutes façons elle sera là ! Avec son lot de cadeaux à la con : les cubes en bois avec en imprimé l’alphabet pour votre gamin de dix ans, une dinette en plastique recyclé pour l’aînée de douze ans, qui a lu et relu le Kama-Soutra depuis belle Burette !
Les sempiternels boutons de manchettes pour vous, alors que vous ne portez QUE des sweet-shirts ou des polos.
Et enfin LE parfum à 4,95 pour votre chère et tendre qui finira dans les gogues comme les précédents !
Alors voilà : tendez une corde (assez solide) dans l’escalier de la cave, dévissez l’ampoule du dit escalier, quand jolie maman sera là, au moment de passer à table, déclarez lui d’un air sournois :

- Jolie maman, si vous choisissiez le vin devant accompagner la dinde ? Je connais votre goût exquis, pour le choix des crus. (il n’y a pas de contrepèterie)
Flattée la belle-doche ! Tu penses, elle en mouille sa culotte !
- C’est trop d’honneur mon gendre ! Rétorquera-t-elle d’un air faussement modeste.
Ouvrez lui alors la porte de la cave, appuyez sur l’interrupteur, prenez votre air le plus con (ça ne devrait pas poser de problèmes, j’y arrive parfaitement).
- AH ! L’ampoule est grillée …

Puis effacez vous, en déclarant de votre timbre le plus suave :
- Après vous chère MÂÂÂME !
Jolie maman descend… Et BADABOUM, un joli " roulé-boulé " avec sac de plâtre à l’arrivée !
Dispensez-vous tout de même du :
- Et voilà jolie maman : c’était votre bûche de Noël ! Ce serait tout à fait déplacé.

Alors heureuses et heureux ? On dit merci qui ?

Où lire Andiamo

lundi 12 décembre 2016

Marité - Un plat difficile

L'invité de Noël

- Mes amis, et si on invitait le Père Noël le 25 décembre ? demande Blanche Neige.
- Ah non s'écrit Grincheux. Pas lui. Pas ce bonhomme suffisant qui se croit important parce que les enfants l'adorent. Je vois rouge dès qu'on en parle.
- Je trouve que c'est une très bonne idée dit Prof en replaçant correctement ses lunettes sur son nez. Il est sûrement très érudit et intéressant. En parcourant le monde, il apprend beaucoup sur tous les pays qu'il arpente chaque année. J'apprécierai s'il accepte notre demande.
- J'aurais bien voulu faire la grasse matinée moi, le jour de Noël ajoute Dormeur en s'étirant.
- Si, super ! jubile Joyeux. On va bien s'amuser.
- Atchoum et toi Timide, vous en pensez quoi ?
- Euh...moi tu sais Blanche Neige... répond Timide en croisant et décroisant nerveusement ses mains.
- Eh bien Atchoum ?
- At...At...choum ! C'est pas la grande forme. Faites comme vous voulez.
- Bon. Tout le monde est d'accord. Sauf Grincheux bien entendu. Mais la majorité l'emporte. Nous allons téléphoner à ce brave homme. Prof, passe moi ton smart phone s'il te plait.

Quelques minutes plus tard.
- Parfait les amis. Il a promis d'arriver vers midi. Nous allons décider du menu et du plan de table. D'abord le menu. Qui s'y colle ? Je précise que je m'occupe du gâteau. Je vais confectionner une énorme omelette norvégienne. Elle lui rappellera son pays.
- Et si on cuisinait du renne ? interroge Simplet tout émoustillé par sa trouvaille. Ce serait original.
- Original ? De l'orignal ? se moque Grincheux en haussant les épaules. Tu ne veux quand même pas lui faire manger ses précieux compagnons ? Je propose une dinde bien dodue. Farcie aux champignons. Nous n'en manquons pas depuis que Joyeux se promène en forêt pendant que nous nous échinons à couper du bois.
- Ben, tu vois, je n'ai pas perdu mon temps s'insurge Joyeux en clignant de l'œil. Le Père Noël va se régaler avec mes cèpes.
- Ça suffit tous les deux. Atchoum, pendant que nous dressons la table, va donc chercher une énorme bûche dans le tas de bois. Il nous faut un bon feu dans la cheminée pour réchauffer notre visiteur. Et n'oublie pas de mettre ton cache nez avant de sortir !

- Blanche Neige, je place le Père Noël tout au bout de la table et toi à sa gauche annonce Prof en distribuant de jolies cartes dessinées par Simplet devant chaque couvert. Qui allons-nous placer à sa droite ? Pas Atchoum qui lui refilerait ses microbes. Pas Dormeur qui manque d'élégance à toujours bailler à se dévisser la mâchoire. Simplet, n'en parlons pas. Grincheux, quant-à lui, serait bien capable de critiquer vertement le travail du bonhomme auprès des enfants. Timide serait trop mal à l'aise le pauvre garçon. Peut être Joyeux ? Non. Il va le fatiguer avec ses blagues qui, entre nous, ne sont pas toujours de très bon goût.
- Prof, tu n'es pas tendre avec tes camarades mais j'en conviens, tu es sans doute le mieux placé pour t'asseoir à droite de notre invité. Maintenant, allons sans plus tarder nous mettre aux fourneaux.

25 décembre midi. Une cavalcade devant la maison et un grand coup de frein. Le traineau s'arrête. 

- Le voilà, le voilà ! s'écrient les sept nains agglutinés derrière les carreaux pendant que Blanche Neige se fait une beauté devant son miroir dans la salle de bain.

Tout le monde se précipite devant la porte pour accueillir le Père Noël. Il est très chargé et semble épuisé. Il salue tour à tour ses hôtes en distribuant à chacun un petit cadeau.

Atchoum reçoit une trousse de médicaments (sirop, gouttes pour le nez, pastilles pour la gorge) pour soigner ses rhumes chroniques, Simplet des crayons de couleur, Prof une tablette numérique, Joyeux un dvd des Chevaliers du fiel, Dormeur un oreiller en plume d'oie, Timide un déguisement de Superman pour s'affirmer, Grincheux un traité de philosophie : comment devenir aimable. Ce qui vaut d'ailleurs de sa part un regard noir au bonhomme barbu.

Voilà Blanche Neige, toute pimpante qui s'avance. Mais que se passe-t-il ? Le Père Noël n'est plus le Père Noël. Le Père Noël n'existe plus. La houppelande rouge, les bottes fourrées, le gros bonnet bordé de fourrure, la longue barbe blanche, tout cela s'amoncelle près du sapin.

Qui est ce beau jeune homme qui prend la jeune fille dans ses bras sous les yeux émerveillés des sept nains ? Un cadeau du Père Noël sans doute.

Vegas sur sarthe - Un plat difficile

Noël au Congo




Pas de dérogation les femelles commandent
aux repas de Noël c'est miel et jus de fruits
on prépare à grands cris la messe de minuit
les traînards, les absents seront mis à l'amende

Ici pas de Führer, pas père Fouettard
pour régler nos conflits on a notre technique
au Congo-Kinshasa c'est çui-qui-dit-qui-nique
au risque de passer pour un fieffé queutard

Ce soir c'est du gastro: termites Colombo
mais les plus turbulents sont déjà au dessert
alors on tire au sort notre bouc émissaire

Notre vieux Baraka va devoir s'y coller
se laisser cajoler, gâter, troufignoler
on fait dans le social nous autres bonobos

Semaine du 12 au 18 décembre 2016 - Un plat difficile

Nous approchons à grands pas de la période des fêtes de fin d'année, et nous vous proposons de vous laisser inspirer par cette phrase de Francisco Azevedo : "La famille est un plat difficile à préparer. Il y a beaucoup d'ingrédients. Les réunir tous est un problème - surtout à Noël et au nouvel an." 

En vers ou en prose, votre texte devra nous parvenir avant dimanche 18 décembre à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com.

samedi 10 décembre 2016

Bricabrac - Café Brune

Une arrestation

C’est un homme désabusé qui s’est assis, ce matin-là, à une table un peu en retrait du Café Brune. Il avait posé à ses pieds un sac de jute qui paraissait lourd, et jeté avec rage ses gants sur le marbre. « Je vous serre la pince, monseigneur », lui dis-je en venant le saluer, usant de notre plaisanterie habituelle. Nous nous croisons à l’aube. Je pars à l’usine à bicyclette à l’heure où lui finit sa nuit, descendant des toits d’ardoises, furtif, le long des gouttières, et s’accoude fourbu au zinc.

Mais aujourd’hui, il s’est installé à l’écart et maugrée. « Ça ne va pas, Arsène ? » « Non, ça ne va pas. Au coin de la rue, j’ai rencontré ce voleur de receleur, ce brigand malhonnête. A la lumière du réverbère, je lui ai déballé ma marchandise. » « Et bien quoi, vous n’avez pas fait affaire, il ne t’en donne pas assez ? »

« … de la verroterie, ça ne vaut rien, m’a-t-il dit, de la bimbeloterie, du clinquant, de la pacotille, du toc, de la camelote, des bijoux fantaisie, ah, je la retiens la comtesse ! »

Il commence à s’agiter en grommelant, à donner des coups de pied dans son sac qui tintinnabule. Des colliers, des bagues, des timbales, brillant de mille éclats, s’en échappent et roulent sous les banquettes de skaï.

« … de la pollution lumineuse, de l’amourette, de l’eau de rose, du chiqué, du pipeau, de la foutaise, de l’attrape-nigaud, de l’imitation, du fac-similé, de la photocopie, du faux-semblant, de la contrefaçon grossière, oui, grossière ! Si c’est une vraie comtesse, alors moi, je suis un gentleman. » Il crie maintenant. Des clients lèvent les yeux du journal du matin où ils s’enquéraient des débats au parlement, des pronostics pour les courses à Deauville, et des cambriolages de la nuit.

Il lance avec dépit des diamants sur la table (enfin, moi, j’aurais dit des diamants), comme on jette ses dés sur la piste de feutrine verte du 421 au comptoir. Le serveur accourt et se penche, se relève dégoûté : « de la roupie de sansonnet, patron, des pimpions d’opérette, des fifrelins pour les mômes, des picaillons de Monopoly, des quat’sous d’opéra »

« … des cailloux, vous voulez dire, de la crotte de bique, des doubitchous roulés sous l’aisselle ... » Il hurle. Derrière le comptoir, le berger allemand commence à remuer. Le patron fait le tour de sa caisse et s’avance. « Là, vous allez trop loin, on ne dit pas des mots comme ça dans mon établissement. Vous arrêtez ou j’appelle la police. »

C’est ce qui est arrivé. Comme il ne voulait pas s’arrêter, c’est police-secours qui s’en est chargée. Avec tact, doigté, menottes et panier à salade. J’eus pitié de lui. Je ne connais presque rien de lui, je ne sais même pas exactement quel est son métier, sauf qu’il travaille la nuit sur les toits, sautant de corniche en corniche comme un chat, et touche un peu à la serrurerie et à la joaillerie. La veille, il m’avait dit qu’il était sur un gros coup, mais lequel ? Après, il se retirerait sur la Riviera. Quand les gardiens de la paix l’emmenèrent, ses larmes scintillèrent comme des pierres précieuses.

Lui, qui pensait avoir tout vécu, tout enduré, s’apercevait ainsi qu’il s’était trompé.

Stouf - Café Brune

La femme triste au début et puis plus.

C'est une femme désabusée qui s'est assise , ce matin-là, à cette table un peu en retrait du comptoir du Café Brune, elle fume sa dernière clope en attendant que le patron se réveille d'un sommeil profond, allongé sur le zinc.

Tien, le camion poubelle, les nanas derrière se balancent grave puisque c'est Gina qui conduit comme au Paris-Dakar. Cela fait tout de même rigoler la femme car elle se souvient des virées pour aller en boites avec elles et Gina, son ex. Elle coure à la vitrine du troquet pour faire coucou aux girls et elles la vois, elles lui font un bisou avec la main qui tient pas la barre et Gina klaxonne comme une malade qu'elle est. La femme est heureuse de revoir ses copines... non, c'est une femme désabusée debout, qui attend toujours son kawa, ce matin là, au loin du comptoir.

Kate vient de la quitter à 6 heure 37 dans un avion en partance pour Hollywood où elle va jouer one rôle dans one movie d'amour with un man ( Brad P ) et elle n'a pas voulu l'emmener puisqu'on ne doit pas savoir qu'elle aussi est homo (et pourtant Gay in English)... shit !

Elle qui pensait avoir tout vécu, tout enduré, s’apercevait ainsi qu’elle s’était trompée, que Kate n'était pas une petite biche mais une little Bitch, na !

La femme se sentit pourtant, tout à coup, complètement gay et passa derrière le bar, où le patron ronflait toujours, elle se fit son kawa toute seule, piqua deux croissants dans la panière et après avoir avaler tout cela elle fuma un clope, qu'elle avait voler au patron (penser à acheter un paquet de Camel au vieux, tout à l'heure).

Avant de sortir, la femme (blonde à forte poitrine pas du tout siliconées) écrivit avec un feutre rouge et tout son cœur, un petit mot sur la main gauche du patron narcoleptique: Papa, j'reviens pour le service de midi, à toute. Bisouxes.

vendredi 9 décembre 2016

Arpenteur d'Etoiles - Café Brune


La part d’ombre

C’est une femme désabusée qui s’est assise, ce matin-là, à cette table un peu en retrait du comptoir du Café Brune. La terrasse est ouverte et les tables sont équipées pour le repas de midi. Quelques minutes plus tard, un homme s’installe à côté d’elle. Le couple est assis en face de moi, mais perpendiculairement. Ils se mettent à côté l’un de l’autre pour que chacun profite de ce premier soleil qui inonde le trottoir.

- Vous avez fait votre choix, me demande la serveuse.
Elle a les hanches trop larges et la taille un peu haute. Elle ressemble à une espèce d’échassier aquatique. Cependant elle sourit derrière ses lunettes. Elle doit être étudiante et travaille au restaurant pour arrondir ses fins de mois.
- Une entrecôte bleue avec salade et une demi bouteille d’eau gazeuse.
- Très bien.
Le service arrive rapidement :
- Attention l’assiette est très chaude, monsieur.
Je commence à couper la viande. La cuisson est parfaite. J’enlève le tour un peu dur. Je pense que ce que je viens de mettre négligemment sur le côté, certains le mâcheraient pendant des heures pour se donner l’illusion de se nourrir. Dans les pays où je suis allé avant.

L’homme passe distraitement la main dans le dos de sa compagne. Un geste mécanique. Je vois leurs profils pendant qu’ils détaillent la carte. Elle a mis ses lunettes de soleil sur son front. Elle a l’air intellectuel ainsi. Elle boit un peu d’eau et fouille dans son sac. Elle retire un paquet de cigarettes et en allume une. La fumée l’environne un instant. Il appuie un peu plus sa main. Elle secoue les épaules, énervée. Elle émet un court rire forcé. Je crois que je ne l’aime pas. Elle est du genre rongeur. Son nez pointu est de fouine. Ses petits yeux de musaraigne. Il tente un baiser dans le cou. Elle s’écarte à peine. Suffisamment pour que ses lèvres ne la touchent pas. Lui est plutôt du genre chien. Gros chien un peu lourd. Un chien et une musaraigne.

Puis le déclic survient. Un flash dans ma tête.
Et les paroles de la cérémonie qui dansent devant moi, sur la nappe en papier :
Lorsque les dieux oiseaux
Descendaient sur la terre
En lentes arabesques
Au dessus des llanos


Il y a longtemps que je ne les avais plus lues. Depuis la dernière fois. Il y a des dizaines et des dizaines de lunes. Je suis content que les esprits me visitent à nouveau.

En face de moi la conversation est montée d’un ton. Les reproches. La voix plus aigüe. Les mains qui se crispent et qui tremblent. Lui ne dit rien. Il s’est tassé sur sa chaise et regarde droit devant. Elle s’agite, fait des gestes avec ses couverts. Puis elle se lève brutalement, renverse la carafe d’eau et file sans se retourner.

Un calme impressionnant suit. Les discussions autour reprennent peu à peu. Quelques sourires narquois. Des anecdotes semblables seront bientôt racontées aux tables voisines. On n’ose pas encore.

Je finis mon café, paie rapidement et part dans sa direction. Le chien est prostré, la tête dans les pattes. La musaraigne trotte loin devant. Mes yeux ont commencé à changer. Je vois avec de plus en plus d’acuité. De plus en plus loin. Elle est devant avec sa démarche rapide et ses yeux de fouine fixant le trottoir. Les mots qui dansent sur le bitume
Les indiens Ichacos
Fumaient herbes amères
Et s’élevaient presque
Plus haut qu’Altiplano


Il me faut vite un coin tranquille. Cette allée fera l’affaire. Je reste un moment dans l’abri. La transformation a commencé à s’opérer. Ma taille change. Je ne marche plus, je vole. Les ailes me portent. Je suis monté au dessus de la ville. Je suis l’aigle. La musaraigne est là, juste en dessous. La prière monte en moi. Je suis invincible.

Depuis loin, le Chamane
Savait sortir des corps
Les âmes des mortels
Pour voler avec eux.
Et ils suivaient leurs mânes
Et parlaient avec les morts
N’avaient pas besoin d’yeux


Elle aborde un grand parking. C’est maintenant. Je pique vers elle. Ma proie. La proie de l’aigle. Mes serres la frappent. Elle s’écroule. Morte. Son âme sombre est emmenée par les esprits des chacals.

… / …

- Alors Dethiers, premières constations ?
- Une femme morte alors qu’elle allait prendre sa voiture.
- Accident cardiaque, malaise … ?
- J’ose à peine vous le dire monsieur le commissaire, mais le légiste a juste remarqué des ecchymoses au cou … en forme de patte d’animal ; plutôt de serres, même.

Le commissaire Pacôme blêmit.
- Un témoin ?
- Non personne n’a rien vu. Ah, si. Un gamin dit avoir vu un aigle s’envoler ; ou un grand oiseau comme ça. Rien de sérieux quoi !
- Je crois qu’"Il" est revenu, Dethiers.
- Qui donc commissaire ?
- Celui qu’on a appelé "le Condor", ou "l’Esprit des Andes". Plusieurs meurtres à son actif. Toujours le même scénario. Pas de mobile apparent. Des marques de serres aux cous des victimes. Un éventuel témoin ayant vu un grand oiseau venu de nulle part. J’ai tout lu, tout étudié. On a passé au peigne fin toutes les scènes de crime. Il n’y a rien. Rien.
- Dernièrement j’ai écouté les profileurs les plus crédibles de nos services. L’un d’eux échafaudent une théorie fumeuse liée au chamanisme et aux totems. Il m’a parlé d’une tribu indienne du fin fond du Pérou : les Ichacos. Il paraît qu’ils savent "apprivoiser" la part d’ombre de certaines personnes prédestinées. A elles seules, alors, tout est permis.
Vous savez quoi, Dethiers ?
- Non, commissaire
- Je crois qu’il a raison …

jeudi 8 décembre 2016

Marité - Café Brune

Au Brune.

C'est une femme désabusée qui s'est assise, ce matin-là, à cette table un peu en retrait du comptoir du café Brune. Sans même y penser, elle s'est dirigée vers ce coin discret de la salle, leur coin près d'une fenêtre, à l'abri des regards, des plantes vertes faisant opportunément écran. C'était dans ce bar qu'ils s'étaient rencontrés la première fois. Elle se souvient parfaitement de ce jour où leurs regards se sont croisés et où tout était dit. Depuis, ils se retrouvaient toujours au Brune. Elle arrivait la première. C'est là qu'elle l'attendait, surveillant sa venue. Elle savourait ces instants qui n'étaient que promesse malgré son impatience de lui.

Ce matin, elle lève pensivement la tête et regarde, malgré elle, le trottoir d'en face. Et s'il venait quand même ? Faire comme si cette lettre n'avait jamais existé. Comme si cette journée allait encore porter leur bonheur, leur insouciance. Mais elle sait que leur histoire s'achève et elle s'interroge : comment, du jour au lendemain, tirer un trait sur ces trois années où elle n'a vécu que pour lui. Elle a tout accepté, son refus de quitter sa femme, leurs rendez-vous en dent de scie, ses départs précipités. Elle, elle n'a, elle n'avait que lui. Malgré tout, elle l'a aimé passionnément et s'accommodait de cette vie décousue et incertaine. Son cœur se serre et les larmes l'aveuglent.

Le garçon s'approche et demande s'il doit servir deux petits déjeûners comme d'habitude. Elle répond un peu sèchement :" un café serré suffira, merci." Elle a bien remarqué son hésitation et son regard appuyé. Qu'il pense ce qu'il veut après tout !

Elle ne se sent pas bien. Les odeurs mêlées de café et d'alcool fort lui donnent la nausée.

Et puis ce bruit incessant de verres et de tasses qui s'entrechoquent l'agace. Elle ne supporte plus les rires des jeunes gens qui s'invectivent juste à côté, les exclamations des quatre retraités qui commentent les nouvelles en lisant le journal comme chaque matin. D'habitude, elle se moquait bien de tout cela. Elle ne le remarquait même pas. Il suffit d'une lettre pour changer le cours d'une journée, d'une vie.

Elle va partir. Elle se lève brusquement en bousculant sa chaise. Mais elle s'arrête, interdite : il traverse la rue. Elle n'en croit pas ses yeux. Il entoure les épaules d'une jeune femme blonde qu'elle ne connaît pas. Sans réfléchir, elle se retourne pour se cacher et le rouge de la honte lui monte au front. Qu'est ce qui lui prend ? Honte de quoi ? Elle se redresse fièrement. S'il a l'audace de venir s'installer au Brune avec sa nouvelle conquête, elle passera devant eux sans même un regard. Quel mufle !

Elle qui pensait avoir tout vécu, tout enduré, s'aperçoit ainsi qu'elle s'est trompée.

mardi 6 décembre 2016

Pascal - Café Brune

Octave 

C’est un homme désabusé qui s’est assis, ce matin-là, à cette table un peu en retrait du comptoir du Café Brune. Il tient un livre entre les mains ; il le soupèse, l’ouvre, écarte les pages, le referme, le pose devant lui en l’observant comme s’il allait s’envoler. Depuis le temps que je suis serveur, ici, j’ai l’habitude de ces artistes en vadrouille, de ces poètes en manque, de ces musiciens sans sonate, de ces peintres en maraude de leurs sentiments les plus exacerbés. Celui-là, je pourrais facilement traduire ses sourires, ses rictus, ses murmures, ses larmes, ses plaintes silencieuses…

…Quand j’ai fini d’écrire un livre, c’est comme quand j’ai fini d’aimer une maîtresse. Ma plume retrouve son rocher d’Excalibur et, dorénavant, la belle dort à jamais entre les couvertures. Naturellement, quand je les ouvre, des rires et des murmures en liberté s’échappent et courent jusque dans la marge. J’entends les échos de sa voix, je reconnais le goût de sa bouche ; en caressant les pages, je retrouve la douceur de sa peau.

A langueur de paragraphes, elle est là, allongée, lascive, dans l’ombre d’une idée lumineuse, virevoltante entre tribulation et persécution, ou jaillissante comme une figure de proue traversant la vague tourmenteuse.

Elle était l’encre de mes impressions les plus chevaleresques, l’étendard de mes sentiments les plus pieux, l’épée magique de mon audace, la force de ma rage, la sueur de mon courage, l’emblème de ma foi. Il me semble avoir tout mis, tout donné, tout jeté sur le papier mais ce n’est pas encore assez. A force de tourner les pages, j’ai le parfum de l’encre au bout des doigts. Tout au long de cette aventure de prestidigitation, je l’ai habillée de métaphores, bercée d’adjectifs enlumineurs, dénudée avec des guirlandes d’épithètes flatteurs. J’ai mis du cœur à l’ouvrage, de l’âme, des sentiments ; le bien et le mal s’équilibraient et la Mort conciliante, l’inéluctable, celle en pente douce, n’était qu’un projet encore futuriste.

Ces chapitres enthousiastes m’enivrent avec tous ces suaves parfums de passé ; c’était bien de soupirer si près de ses émois. Encore séducteur, je voudrais prolonger ce livre, le remplir avec des tonnes d’alinéas bouillonnants, des consonances entêtantes, des comparaisons luxuriantes, des effleurements épistolaires insatiables. Mais tout a un début et tout a une fin. A la dernière page, elle est si loin que mes adieux se perdent seuls, sans témoin. Le poids de ce livre est le poids de mon cœur… 

Dehors, c’est le vide sidéral, l’infernale page blanche, un drapeau blanc d’infortune. C’est de nouveau l’inconnu, c’est le marasme des interrogations toutes plus ou moins farfelues. Comment sera le profil de la prochaine femelle ? Est-ce que ses effluves m’enivreront ? Consolatrice, saura t-elle me prendre dans ses bras ? Guerrière, sera t-elle capable de repousser mes cauchemars ? Séductrice, saura t-elle me faire rêver des rêves qui ne parlent que d’elle ?...

Encre bleue ou encre noire, encore et toujours insouciante, une partie de moi veut repartir en excursion d’un autre corps mais l’autre, plus pragmatique, me supplie de garder mes distances. Les plaies au cœur ne se ferment jamais complètement ; elles auraient même tendance à saboter les esquisses d’un nouvel Amour… 

Je cherche une chimère chagrine, une fée obsédante, une copine de plumard, une pas trop snob, une balayeuse de tourments, une attendrissante ingénue. A cette heure de solitude, qui aura l’heur de ma plume passionnée ? Quelle sera ma prochaine héroïne, ma future victime, l’heureuse élue de mes points de suspension, comme des colliers de perles en intarissables décorations ? En quoi vais-je l’affubler ? Comment vais-je la déguiser ? L’apprivoiser ? La garder ? Comment vais-je la croquer ? A pleines dents, en fruit mûr, en futur d’admiration forcenée ? En noire, en veuve inconsolable, que seule ma témérité de littérateur pourra dérider ?...

Non, ce sera une éphémère passante qu’un simple zéphyr emportera ; une dame aux camélias, une maladive, une aux toussotements tabagiques incessants ; une simple d’esprit, une aussi folle que moi, pour partager des grands moments d’illusion ; une voyageuse, une baroudeuse, toujours entre deux gares, entre deux amants, entre deux expéditions. Pourquoi pas une ensorceleuse avec des yeux de braise, des talons aiguilles et un corps de sirène tarifée ?

Non, une découpeuse d’âme, une au regard acéré comme les griffes d’un rapace, une saignante qui déchire le cœur comme un vulgaire morceau de viande ! J’en connais plein !

Ou alors, une Juliette imprenable perchée sur un balcon trop haut pour une échelle trop petite ! Non ! Ce sera une icône, une célébrité, une première page de Match, une première de la classe ! Une épicurienne, une adepte de la bonne chair, une jouisseuse qui rote l’Amour comme après un bon repas ! Une sainte ! Une investie du devoir divin ! Une qui pourra soigner toutes ces mauvaises pensées qui me ceignent le front comme des épines trop blessantes ! Une potiche ! Je veux une potiche ! Une qu’on sort au soleil pour la faire briller au milieu d’un parterre de séducteurs envieux ! Une qu’on promène de magasins en restaurants, de grands boulevards en boîtes de nuit tendance mais à qui on tient la portière pour ne pas qu’elle esquinte la bagnole ! Une artiste, une musicienne toujours à l’unisson ! Au même diapason, je jouerai avec la clé de son corps, je serai son Octave, je mettrai une note sur chacun de ses frissons, un soupir brûlant sur chacune de mes missions d’amoureux !... Une belle baba cool épilée ! L’Amour plus que nu, l’Amour imberbe, l’Amour tout cru ! J’ai trouvé ! Une bégayeuse, pour qu’elle me répète deux fois plus souvent qu’elle m’aime !... Je crois que la terre n’est pas assez grande pour trouver celle que je cherche…

Aura-t-elle le pouvoir exclusif de l’égérie, l’aura d’une vierge, le corps d’une déesse et les envies d’une chienne ? Saura t-elle émerveiller mon âme et multiplier mes ardeurs ? Remplir mon stylo d’une sève aussi attentive que lubrique ? Est-ce qu’elle saura aiguiser mes sens, exalter mon imagination, tyranniser mon intenable situation d’indépendant ? Saura t-elle me rendre aveugle et sourd au point que je la peigne avec ses plus beaux atours ? Saura t-elle me subjuguer jusqu’à ce que je perde toute notion de la réalité ?... 

Là, dans l’intimité idéaliste, séductrice éternelle, elle renaît de ses cendres ; c’est une Pénélope, un peu salope, une Cassandre, au corps à prendre, une Déméter callipyge, une Esméralda et ses vestiges, une Chimène promenant sa peine, une Shéhérazade pour l’exotisme, une Messaline pour l’érotisme, une Dame Jeanne pour entretenir l’alcoolisme, car il en faut pour financer le mirage…

Debout, les majuscules ! Rimez, les opuscules ! Arrondissez-vous, les virgules ! Aiguisons les circonflexes, pointons les trémas, saluons avec les aigus, oublions les graves !… Valse, ma plume, valse ! Marie les consonnes et les voyelles ! Délie les mots ! Cours sur le papier, on va couronner cette postulante !...

Entre les volets entrouverts, elle est hologramme, je la vois danser dans la poussière du soleil capricieux. Canapé bleu, champagne frappé, flûtes accordées, le poids des mots la vêt d’un auguste manteau ; sa voix est cristalline mais les silences la déshabillent au gré de ma pudeur vagabonde. Les arcs-en-ciel, les aurores boréales, les étoiles filantes, forcément, tout ça, c’est dans l’affiche de ses yeux ; c’est le bagage habituel pour me faire décoller, voir plus haut…

Insatiable, je l’inonderai dans l’encre bleue de mes désirs les plus aiguisés ; pour tromper l’ennui, entre parenthèses et entre guillemets, on pataugera dans le stupre et l’indécence. On aura plein d’enfants sans prénom, ce sera notre revanche sur les obligations des couples laborieux. Elle sera jalouse, hypocrite, machiavélique, dangereuse, venimeuse, parce qu’il faut avoir mal pour bien aimer…

Alors, poète épris et mâle assidu, je la peindrai de mots cavaliers de la première lettre capitale jusqu’au point final ; chapitre après chapitre, page après page, je la décorerai de mes desseins les plus exhaustifs. Pour l’éblouir, j’allumerai des étoiles dans ses yeux, je lui offrirai des fleurs en tenant les épines, des bijoux pour occuper son cafard, des voyages pour qu’elle apprécie les retours. Et quand j’aurai fini son livre, j’aurai fini de l’aimer…

Son café doit être froid…