mercredi 31 août 2016

Minsky - Vacances insolites


Au bout du voyage

- Fais pas ci, fais pas ça!
Voilà ce que je dis toujours à mon cher Golem.

Beau bras armé, de terre glaise façonné... Il a son caractère, fait d'amour et de haine. D'une douceur infinie pour ce qui touche aux êtres les plus démunis.

Beau bras armé de plumes qui caressent les âmes. Dans le sens du poil de préférence.
Nous voici donc partis pour des vacances d'un genre tout à fait inédit: aux hasards de la vie!

Mon Golem et moi avons embarqué, lui tout de glaise vêtu, moi, perdue dans mes pensées. Le cap était lointain, nul besoin de se presser. J'avoue, c'est vrai, que Golem glissait parfois sur le pont savonné et j'essayais de ne pas rire de son profond désarroi.

Il était mon unique ami, portant en lui la brise de vie, insufflée par moi une triste nuit de folie. Nous étions heureux, cheminant ainsi, aux hasards de la vie!... Mais comme rien ne dure, la tempête nous surprit.

Le périple devint péril sous la forme d'une gigantesque vague qui déferla, anéantissant les projets d'une jolie rêverie, la fin de nos vacances d'un genre tout à fait inédit.
. . .

... Mes yeux s'ouvrent douloureusement sur un horizon sans fin. A bout de forces, sans même bouger. La peau en feu, pourtant mouillée.
Puis la vie renaît dans mon esprit : je suis une naufragée!

Avec autant de maladresse que de délicatesse, chacun de mes membres tente de s'harmoniser dans un bel élan afin de me relever. Je scrute mon environnement, tente quelques pas, lorsque soudain "vlan!", je chute tête la première sur un sable glissant...

La raison?
Une flaque de terre glaise se répandant dans le soleil couchant.

mardi 30 août 2016

Kakushi Ken - Vacances insolites

Premier voyage au Japon. Premier contact avec une autre culture…
Monsieur Guils foule les rues de Tôkyô  pour sa première journée avec de l’étonnement plein les yeux… Heureusement qu’il a une guide parce qu’il se sent « petit » alors qu’il passe pour une grande personne. Il a beau dominer d’une tête les citoyens les plus grands, il est dominé par l’environnement. Les villes japonaises sont bigrement démesurées : ces buildings tellement hauts, cette densité de population ; il n’y a pas un espace inoccupé ; et ce mouvement incessant, cette rumeur qui noie la mégapole dans un brouillard sonore…Il n’y a pas à dire, c’est très différent de son petit village varois.

Au déjeuner, M. Guils a essayé des « ramen » un bouillon de viande et sa viande, avec des nouilles succulentes. Toutes les cinq minutes, le patron du petit restaurant s’inquiète de la qualité de ses nouilles. « Il y a un problème ? » s’enquiert-il. Au troisième passage, M. Guils demande poliment si c’est de coutume que le patron se renseigne si souvent sur la qualité de ses produits… La guide avec un large sourire réplique que c’est sans doute parce que M. Guils mange sans faire aucun bruit de bouche… C’est alors que l’information arrive au cerveau du Français : toutes les personnes dans le restaurant, hommes et femmes, font des bruits de succion énormes sans aucune gêne ! C’en est presque un manque d’éducation. Les yeux écarquillés, M. Guils s’appliquent alors à émettre des sons de succion dignes d’irriter les convives de l’hexagone. Plus tard il apprend que faire du bruit avec la bouche permet de refroidir les nouilles pendant la dégustation ; ainsi le patron s’inquiétait-il de la température de ses nouilles et de la bienséance du met, là où M. Guils préférait se brûler le palais par politesse ...

Les toilettes ont dominées M. Guils. Pour la première fois de sa vie, notre Français pose son illustre fessier sur des « Washlet »… Après avoir conclu une affaire fort banale, il découvre des boutons sur un reposoir sur sa droite. A quoi peuvent bien servir des boutons dans des toilettes ? Il appuie par curiosité sur un bouton au hasard et il ne peut s’empêcher de sursauter : un jet d’eau pénètre exactement dans le trou de son anus ! Ce n’est pas la température de l’eau qui le fait sursauter mais la précision et la force du jet ! Comment stopper cela ?

Il y a presque une dizaine de boutons, et M. Guils appuie sur un autre bouton dans l’espoir d’arrêter le jet en continue… Mais le premier jet laisse la place à un autre jet sous un angle de projection différent… Plusieurs minutes et plusieurs jets différents après, le bouton salvateur est appuyé : plus de jet. Il reste une image en tête de Messire Guils : se lever avec le rectum ruisselant !
Que nenni, Madame. Il y a bien du papier pour s’essuyer ! Et ce qu’il se fait, avec un étonnement : pas de trace de déchets dans le papier. Ainsi le papier a fonction de sécher les illustres popotins…

Plusieurs heures après et une fatigue due autant au décalage horaire qu’aux balades en continue de la journée, M. Guils finit sa première escapade dans un pub. Le pub est bondé, il y a à vue de nez une cinquantaine de personnes. Il y a autant de femmes que d’hommes, et chacun, chacune, défile devant le micro pour un Karaoké effréné… La détente est au rendez-vous, tout comme les curieux qui regardent du coin de l’œil le grand étranger, afin de ne pas l’indisposer… Les boissons circulent, comme dans tout pub qui se respecte, et une poignée de clients porte un toast en direction du « Gaikokujin » (« Etranger »)… M. Guils se joint par politesse au groupe et s’écrie d’une voix qui porte un toast à l’ensemble du pub : « Tchin tchin » !

Pendant deux ou trois secondes, je vous l’assure, les regards se sont figés entre le rire et la gêne… Puis la bonne humeur reprenant, les clients boivent leur verre avec un air narquois. La guide avec un large sourire demande alors à M. Gils pourquoi il a porté un tel toast ?

Après quelques explications sensées, la guide explique alors la signification de « Tchin tchin ». Au Japon, « Tchin tchin » désigne l’organe sexuel chez un petit garçon. M. Guils sent alors la rougeur lui monter au visage : il vient de lancer un « Petite bite » bien appuyé en plein pub bondé !

Il est temps de rentrer à l’hôtel lorsqu’un client apparemment important (il est accompagné de plusieurs « groupies » s’approche de M. Guils et vient à l’information quant à son « Tchin tchin »…
Oui, vraiment, le Japon est un dépaysement absolu...

Laura Vanel-Coytte - Vacances insolites

Insolites ?

J'entends à la télévision et à la radio dire
Que des français ne partent pas en vacances;
Je lis dans la presse quotidienne ou hebdomadaire
Que ces français sont des exclus des vacances.
J'entends que leurs moyens ne leurs permettent,
Pas, je lis que ce seraient des pauvres à plaindre.
J'apprends en même temps que j'aie été de ce pourcentage
De gens qui ne partent pas en vacances, de ces pauvres
Exclus de ce rituel obligatoire du départ en vacances.
Pourtant ni mes parents, ni ma famille n'étaient pauvres
Pas riches certes mais  bien  loin de la misère.
Mes grands-parents et ma mère ont tenu un commerce,
Un petit commerce avec une certaine réussite parfois certaine.
Ils travaillaient beaucoup et ne fermaient guère.
Un après-midi de fermeture dans la semaine
Et le dimanche après-midi à la campagne.
Mon père fut un cadre supérieur,  vendeur et artiste
Qui faisait beaucoup de déplacements en France
Pour son travail sans prendre de vacances.
Auraient-ils pu ou voulu  prendre des vacances?
Ils  avaient le droit et les moyens de le faire.
La petit fille que j'étais ne manquait ni de vacances
Ni de distractions hors de son travail d'écolière:
Elle jouait comme tous les enfants dans la cour d'école,
Elle regardait des émissions comme "Croque vacances."
Elle lisait surtout beaucoup et ce furent de belles vacances:
Je suis allée loin dans le temps et dans l'espace,
J'ai rencontré beaucoup de personnes, personnages
Historiques ou imaginaires, réels ou loufoques.
J'ai ri, pleuré  j'ai eu peur ,j 'ai appris plus de choses
Que certains de nos voyageurs modernes.
Plus tard, quand j'ai vécu auprès d'un autre cadre
Supérieur, je l'ai suivi dans certains voyages
De travail comme la petite fille suivait son père.
Il y avait peu de vraies vacances, des fins de semaine
Volées aux responsabilités mais mes vacances
Insolites étaient au creux de ma bibliothèque
Ou les lieux culturels de ma ville
Ouverts pour les adeptes des vacances insolites
Et les vrais exclus, les vrais pauvres
Ceux qui vivent dans la misère matérielle ou culturelle
Qui ne peuvent s'évader de leur quotidien par manque
De moyens financiers ou  qui s'ennuient et ne savent
Vivre de rêves et de livres à la bibliothèque municipale.

Jacou - Vacances insolites

Objectif recherché

Oui, tous!
Un temple grec...
Bien alignées, ses colonnes doriques,
Péristyle extérieur, bâtisse imposante,
Quelques centaines de marches y accèdent.
Oui, tous!
Je suis arrivée par l'autre côté.
Je n'aurais pu monter autant de marches...
Et là, je les ai vus, armés, non, équipés, non, penchés, assis en rang d'oignons sur les grandes marches, aucun ne levait les yeux, absorbés...
Oui, tous!
Je me suis approchée, ne comprenant pas qu'en un tel lieu, on puisse ne pas regarder cette beauté, magnifique  architecture.
Certains étaient debout, marchaient, se déplaçaient, mais ne regardaient rien, rien d'autre que cet objet, posé au creux de leur main...
Alors, qu'il y avait le fleuve, là, en bas, ce fleuve mythique, qui traverse tant de pays, de capitales...
Oui, tous!
Alors que je voyais tout cela, m'apprêtant à pénétrer dans la salle du mémorial, ils se jetèrent sur moi, au cri de "Pikachu, on t'a reconnu!"
Oui, tous!
Et, flute, quelle idée j'avais eue de porter ma robe jaune, ce jour-là!
C'est que si j'avais rendez-vous, ce n'était certainement pas avec la gloire, encore moins avec ces personnes pratiquant le nouveau sport à la mode, chasser le Pikachu.
Je désirais seulement admirer du haut des marches du Walhallah, celui, qui pour moi est le plus beau des cours d'eau, le Danube.


Où lire Jacou

Clise - Vacances insolites

Tom l’ado part en vacances avec ses vieux
Casquette vissée en marche arrière sur le crâne
Ecouteurs  branchés  sur radio rap
Smartphone greffé à la main
- On s’arrête à Bourges, je veux visiter la cathédrale…
Stupeur à l’avant de la voiture
-Mais bien sur….
-Hep ….on ralentit devant la mairie …
Oki c’est bon,  on passe près du musée…
Oki on repart…
Tom est insatiable il veut tout voir, il déambule partout
Tout l’intéresse, un rien le motive
Par temps de pluie, kway oblige
Il part en balade, il va, il vient,
Smartphone collé à la main
Jamais on n’a connu de vacances aussi actives …
Ya un truc qui tourne pas rond
Mais bien sur … faudrait  pas qu’on s’emballe
Culture d’jeuns oblige…..
Il chasse des Pokémons avec ses pokéballs !

Mabata - Vacances insolites

La première semaine, il ne s'est rien passé.
J’avais décidé de rester seule, chez moi, à me cocooner tranquille.
Et pour être tranquille, j’ai été tranquille. Pas la moindre visite, pas le moindre coup de téléphone : la solitude totale. Perdue entre lectures, exercices de yoga, méditation et… télé !
J’étais à la fois fière de moi et déçue. Fière d’avoir résisté à la tentation de contacter un être humain, ne serait-ce que pour aller faire des courses, et déçue parce qu’il ne s’est rien passé. Rien.


« What did you expect ? ».
Je ne sais pas trop. Mais quelque chose quoi ! Une étincelle…


La deuxième semaine, j’ai décidé de bouger. Un tour sur « topito.com ». Bon, on ne va pas attaquer le GR20 tout de suite… Choisissons quelque chose pour débutants quand même. Voilà ! Le GR21 : 141 Km, du plat, du Havre au Tréport : promesse de magnifiques paysages. Une semaine. Parfait. En route. Pataugas et sac à dos, me voilà au départ, Foret de Montgeron.
Je vous ferai grâce des péripéties de ces huit jours. Résultat : des yeux émerveillés, des mollets en béton, et une furieuse envie de recommencer ailleurs…
Mais à part ça : Rien.


Mais « What did you expect ???? » !!!
Je sais pas. Oui, c’était super. Oui, j’ai bien envie de continuer à randonner. Mais… je cherche « un signe »…


Alors, la troisième semaine, j’ai opté pour un chantier de restauration d’un château fort, à Calmont d’Olt, dans l’Aveyron.
Et là, j’ai été comblée. Un paysage à couper le souffle. Des vieilles pierres chargées d’histoire. Un travail acharné, nouveau et enrichissant : maçonnerie, archéologie… Une petite équipe de bénévoles motivés et passionnés, le tout sans le partage l’entraide et la bonne humeur.
Voilà ce que je recherchais. Donner de mon temps (et de ma personne) entourée de gens avec la même vision de la vie que moi.


Vivement les prochaines vacances ! Cette fois-ci, je sais quoi faire.

lundi 29 août 2016

Marité - Vacances insolites

Une journée mémorable.

Je ne voulais pas tomber dans le lieu commun qui consiste à dire : "moi, à ton âge..." Mais ma petite fille de 10 ans, en vacances chez nous n'arrêtait pas de rabâcher du matin au soir : "mes copines, elles, sont parties à la mer... mes copines, elles, auront plein de trucs à raconter à la rentrée...mes copines, elles, seront toutes bronzées...etc...etc..." Elle en voulait à ses parents parce qu'ils avaient décidé cette année de renoncer à leurs vacances au bord de l'Atlantique pour continuer les travaux dans leur maison en restauration.
Finalement, agacée par ses litanies, je finis par lâcher le fameux "moi, à ton âge..."

Et me voilà partie à raconter mes vacances laborieuses à la ferme de mon enfance : aide aux champs pendant les foins, les moissons, garde du troupeau de vaches...Je pensais bien que la fillette se moquerait de mes souvenirs. Mais, à ma grande surprise, il n'en fut rien. Elle me posait beaucoup de questions sur la ferme et ses activités pendant l'été.  J'eus alors l'idée de la conduire à cet écomusée du département voisin que nous avions, mon mari et moi, déjà visité quelques années plus tôt.

Nous décidâmes de nous y rendre lors d'une journée pique-nique avec des amis. Nous fûmes surpris à l'arrivée de constater que les lieux semblaient quelque peu à l'abandon. L'accès au parc largement ouvert.  Pas de billetterie. Personne en vue malgré l'heure avancée de la matinée. Nous étions sur le point de partir quand Daniel, notre copain lança : "nous allons quand même entrer. On verra bien."
J'étais déçue car je voulais montrer à ma petite fille tout ce que j'avais connu du monde agricole et artisanal dans les années 60 et qui était, normalement, très bien reconstitué ici. Tous les vieux métiers revivaient grâce au savoir faire de quelques fous passionnés. Aujourd'hui, personne.

Nous déambulions sur le site et je me fis guide pour ma petite fille en lui montrant et expliquant le mieux possible le lavoir, l'abreuvoir, le four à pain...Les hommes marchaient devant et s'étaient arrêtés devant les vieilles machines agricoles et les premiers tracteurs. Puis, nous les perdîmes de vue.

Nous nous dirigions vers une des maisons du musée quand, tout à coup, nous vîmes arriver un groupe et son accompagnateur. Ils allaient droit, eux aussi, vers la même masure. J'aperçus alors mon mari au bas des marches en pierre. Seul. Mais où était donc passé Daniel ?
Nous n'osions pas trop nous mêler aux autres touristes et nous nous faisions discrets quand soudain des exclamations, des cris et des rires éclatèrent dans la chaumière. Mon mari se précipita alors à l'intérieur et nous le suivîmes.

Dans une couche en bois, installée sous l'escalier qui montait au grenier, Daniel était allongé, vêtu de la longue chemise blanche des paysans et coiffé d'un bonnet de laine. Ses pieds étaient posés sur le montant du lit et le guide, bon joueur, s'amusait à le chatouiller. Daniel, qui croyait nous piéger, faisait profil bas. Et nous, bien sûr, devant le cocasse de la situation, nous tordions de rire.

Et le guide de dire : "non, non, monsieur, restez au lit. Vous allez m'aider à illustrer mes explications. Combien mesurez-vous ? Un mètre 90. Très bien. Voyez, mesdames et messieurs, ce lit est  étroit et court. Les pieds de notre homme ne peuvent y contenir puisqu'il est très grand. Il suffisait cependant à nos aïeux, plutôt de petite taille ou bien, parce que ceux-ci dormaient assis. Savez-vous pourquoi ? Pour conjurer le mauvais sort. Et la mort. En effet, on allongeait les défunts. Et dormir étendu de tout son long risquait de provoquer la grande faucheuse. Merci monsieur. Nous n'allons pas vous déranger davantage. Bonne sieste."

Chemise blanche et bonnet furent prestement enlevés. Il ne restait plus qu'à retaper le lit, lisser la chemise et tout remettre en place. Et partir...

Jérôme - Des vacances insolites

A peine passés le brouhaha du débarquement et l’héberluement des premiers pas sur le quai, un je-ne-sais-quoi désappointe le visiteur de cette ville étrangère : pas le dépaysement ou l’exotisme des lieux, au contraire, leur familiarité. Bien sûr, la lumière, les maisons et les rues différent de celles qu’on connaissait. C’est une lumière plus douce, ou plus franche ; ce sont des maisons plus ou moins hautes et des rues moins étroites ou plus sinueuses… cette ville ressemble étonnamment à celle d’où on vient – et cela, d’où qu’on arrive.

D’abord, on est presque déçu : on s’est rendu au bout du monde et voilà qu’il a les traits d’une sous-préfecture de chez nous ; pourquoi voyager, si là-bas c’est encore comme chez nous ? Et puis on s’y fait : c’est plus reposant, moins fatiguant. Forcément, puisque justement c’est comme chez nous.
Généralement, une fois les bagages déposés à l’hôtel, rien de tel qu’un café – grande terrasse de brasserie sur l’avenue ou petit bar des rues intérieures – pour prendre le pouls d’une ville. Histoire de s’accoutumer, de se poser, d’écouter les gens, de parcourir les journaux. Il est temps de se mettre au diapason.

J’ai fait toujours comme ça, moi, en tout cas. Lire, écouter, discuter, donne la clef, le juste ton, mieux que les monuments et les proclamations officielles. Mais cette fois, sitôt assis devant un guéridon de marbre, le journal du jour ouvert à côté de moi, j’ai ressenti une petite distorsion fugitive, une bizarrerie d’abord insaisissable qu’au bout d’un petit moment j’ai réussi à isoler : sous l’apparence familière des façades et des costumes, il faut admettre qu’on est ici en terre très étrangère : où l’orage, le vent et le nuage n’ont aucun intérêt.

Non qu’il ne pleuve ni ne vente, bien sûr, ou que les gens et les plantes soient insensibles au soleil ou à la neige. On sort les parapluies quand il faut, les parasols si nécessaire, les jardinières sont arrosées et les potées fragiles sont abritées comme il convient. Pluie, brise, crachin, soleil, brume vont et viennent sans seulement faire l’objet d’un commentaire, sans que jamais on songe tout simplement à parler météorologie.

Qu’est-ce qui peut bien, alors, animer les discussions, me demanderez-vous ?
Rien d’autre que la géologie : l’anticlinal, la bétoire, la cuesta, les dunes, la faille et la gravimétrie règnent sur les repas de famille. Sédiments et tectonique ont leurs organes de presse et leurs émissions radiodiffusées quotidiennes. Talweg et ubac, leurs écoles, leurs clubs et leurs cafés attitrés, où il ne fait pas bon venir porter la contradiction, ou simplement parler karst, loess ou moraine hors de propos.

Une fois qu’on a saisit cela, soit on trouve rapidement sa place et on est alors vraiment ici chez soi, mieux qu’en famille ; soit l’envie d’aller voir ailleurs se fait vite sentir. Voyager de nouveau : un vélo, un wagon, l’X de l’inconnu… Y a-t-il mieux pour redécouvrir la douceur du zéphyr ?


dimanche 28 août 2016

Semaine du 29 Août au 4 Septembre 2016 - Des Vacances Insolites

Les Impromptus sont de retour ...

Pour la rentrée nous vous proposons un thème suggéré par Marité.
Un thème qui parle encore de vacances ... mais quelles vacances ?!

Des vacances insolites :
Les vacances sont aussi l'occasion de visites culturelles. Lors de l'une d'entre elles, vous avez vécu quelque chose d'insolite, de drôle ; vous avez été le témoin d'un fait étrange ; malgré vous, vous avez été emporté dans une aventure rocambolesque ...

Nous attendons vos textes (avec impatience) que vous nous ferez parvenir jusqu'au dimanche (4 septembre) avant minuit, à l'adresse habituelle :  impromptuslitteraires[at]gmail.com

lundi 22 août 2016

L'Arpenteur d'étoiles - les Impromptus en vacances

JAIVANTI - Au fil de l'eau


MON RECIT.

C’est drôle, les enfants ; ça joue, ça vit ... ça crie surtout. Pour s’ouvrir les poumons sans doute, ou quelque chose comme ça. On aimait bien les regarder par la fenêtre qui donnait sur la cour de la maternelle. Les regarder et les entendre. Ils ressemblaient aux oiseaux qui sillonnent le ciel du printemps. Libres, désordonnés, joyeux. En réalité ils volent pour se nourrir et pouvoir bâtir leur nid. Comme les enfants qui courent en criant, en réalité se construisent.
Et puis un jour on a plus aimé.

On a baissé le store et tiré le rideau. Après on a même dû fermer la porte et rester dans les autres pièces. Notre vie était désormais des portes closes. Et le soir assis en face de l’autre autour de la table de la cuisine. Dans un silence insupportable et que l’on supportait pourtant. Il fallait traverser ces heures là pour survivre.

Un soir elle a pris mes mains. Presque comme avant. Mes mains jointes dans les siennes. Personne ne peut connaître ce sentiment là. Sa douceur, sa chaleur. Le rétrécissement du monde et l’immensité contraire de l’amour dans ses yeux verts.
Elle m’a dit : il faut qu’on parte. Maintenant.

J’ai tremblé dans ses mains. Je voulais le dire depuis longtemps, mais n’osais pas. Elle était devenue si pâle, si diaphane, comme une porcelaine chinoise. J’avais peur que ces mots la brisent et c’est elle qui les prononçait.
- Comment ?
- Au fil de l’eau.
- Quelle eau ?
- Une eau lointaine. Une eau qui parle d’autres langues. Une eau qui dit les dieux, les étoiles. Une eau tellement cosmique qu’elle est la plus humaine possible. Une eau d’espoir.

J’ai eu la sensation de la retrouver comme avant. Vibrante, forte, irrésistible. Quel chemin avait-elle suivi dans le silence de son cœur, de son âme ? Où avait-elle puisé cette énergie nouvelle ?
- Et cette eau, elle se trouve où ?
Elle se leva, pris une carte du monde et posa le doigt : là.
- Pourquoi, là ?
- J’ai eu des rêves.

On a passé des semaines pour monter le voyage. J'ai pris une année sabbatique. On a vendu l'appartement où l'on ne voulait plus être pour remuer des souvenirs qui déchirent. De même, on avait des économies qu’on gardait pour un avenir qui n’existait plus ; on a tout pris. On a gagné en voiture un port méditerranéen. On a vendu la voiture aussi et on a embarqué dans un cargo. De ports en ports, de bateaux en bateaux, trois mois plus tard nous étions à Calcutta.

De là nous sommes partis pour Bénarès
Elle disait : le fleuve est sacré. Il nous portera là où l’on doit aller. Lui seul le sait. Je sais qu’il le sait.
Je ne posais plus de question. En avais-je posé d’ailleurs ?

Nous avions le bagage mince. Les pêcheurs ont toujours accepté de nous prendre à leur bord pour quelques roupies. Nous les préférions aux bateaux pour touristes. On les trouvait sur les ghats descendant vers le fleuve. On apprenait quelques rudiments de leur langue, on les amusait parfois. La vie nous revenait par bribes, au fil des rires que nous déclenchions chez eux en tentant de prendre leur accent.

Un soir que nous étions accostés près d’une ville assez grande, pleine à ras bord d’une foule odorante, un homme vint directement à nous. Il s’adressa à elle dans un anglais impeccable :
- C’est vous les français ?
- Oui.
- Vous avez de bonnes chaussures ?
- Nous sommes prêts répondit-elle. Je ne lui avais jamais vu un pareil regard : une onde matérielle paraissant embraser tout ce qu’elle croisait.
On l’a suivi jusqu’à une maison de voyageur pour passer la nuit.
- La route sera longue. Il faudra trois jours de marche. Elle balaya d’un geste de la main ces trois jours à venir et chuchota à mon oreille : viens.
Ce soir là nous refaisions l’amour pour la première fois depuis sa mort. Un amour presque aussi intense que celui de la nuit probable où nous l’avions conçu. Cinq années auparavant.

Trois jours plus tard, nous arrivions dans un village pauvre au delà de l’imaginable. On nous offrit un plat de lentilles et des fleurs pour elle.
L’homme qui nous accompagnait dit que c’était le moment.
On nous a emmené au centre du village, sur une sorte de place boueuse. Des dizaines d’enfant étaient alignés semblant aussi surpris que nous.
Il lui dit de rester là et d’attendre. Puis à moi : venez à l’écart. On s’éloigna vers une maison basse.

Elle était seule devant ces enfants parfaitement silencieux. Elle avait fermé les yeux. Soudain, une petite fille sortit du rang pour s’avancer. Doucement d’abord. Puis elle se mit à courir et se précipita dans ses jambes qu’elle serra. Elle ouvrit des yeux baignés de larmes. Leur regard se croisèrent et leurs visages s’illuminèrent d’un incroyable sourire. Les autres enfants étaient redevenus comme ils devaient : désordonnés, libres et joyeux. Leurs cris remplissaient l’espace.

Bientôt une vieille femme sortit de la maison basse et vint vers nous. Elle avait au front la marque rouge et portait un sari blanc. Elle nous prit par la main, nous emmena sous un arbre et nous assit sur une pierre blanche et commença à parler. Notre accompagnateur traduisait.


LE RECIT DE RANI

Cette femme se nommait Rani. Elle avait été institutrice à Bénarès puis, veuve, était revenue vivre dans son village. Il y a cinq ans environ, elle trouva au bord du chemin un paquet de linge dans lequel il y avait un nouveau né. Il vivait encore miraculeusement, comme c’était miracle qu’elle se fut arrêter en cet endroit, ce jour là. Elle prit l’enfant et le porta aux femmes du village. Plusieurs d’entre elles venaient d’accoucher et elles acceptèrent toutes de donner un peu de leur lait pour l’aider à survivre. On craignit au tout début qu’il apportât le mauvais œil, mais comme rien de fâcheux n’arriva il fut adopté. C’était une fille ; ils l’appelèrent Jaivanti. Peu à peu cette petite fille devint l’enfant de toute la communauté, sœur de lait de nombre d’autres enfants.

Puis il y a quelques mois, Rani commença à avoir des rêves dans lesquels elles voyaient un enfant blanc prendre la main de la petite, jouer avec elle, la protéger. Ces rêves devenaient de plus en plus précis. Elle voyait la famille du garçon, elle voyait la cour de l’école où il courait en criant. Une nuit, elle l’a vu se noyer dans une rivière et en a conçu une immense tristesse. Cependant, le nuit suivante, le garçon était là avec Jaivanti. Alors elle imagina que ces deux enfants étaient liés, d’une façon ou d’une autre inconnue d’elle, mais liés. Auprès des gens du village, elle garda un secret absolu sur ses étranges rêves. Cependant, elle décida de faire appel à un guru vivant dans la montagne proche. Celui-ci lui donna herbes et plantes en lui en expliquant l’usage et lui dit : tu es la passeuse d’âme.

Elle appliqua à la lettre les indications du vieux sage et entra en communication mentale avec nous. Enfin, avec elle, dont toutes les pensées n’avaient qu’une seule issue. En elle se forma peu à peu l’idée du départ.

Rani, en qui subsistait sans doute un fond de rationalisme, inventa le stratagème des enfants. Si Jaivanti venait d’elle-même, alors tout cela était vrai. Ce qu’elle ne pouvait savoir, c’est que cinq ans auparavant, dans le ventre de la future mère il y avait un deuxième embryon qui n’avait pas survécu.
Durant tout le récit, la petite dormait sur ses genoux, paisible.

Avant de partir et pour remercier le village nous leur avons acheté leur troupeau en leur disant de garder les bêtes. C’était bien peu pour nous qui voyions briller tant de joie dans leurs yeux

Notre accompagnateur américain vivait là dans un ashram depuis la fin des années soixante. Il organisa le retour. Je n’ai toujours pas compris comment nous avons pu passer les frontières sans aucune tracasserie. Comment nous avons pu ramener Jaivanti en France. Comment nous avons pu l’adopter si facilement. Nous nous sommes établis dans une petite ville au bord d’une rivière et le fil de l’eau est passé sous les ponts de nos vies.

Aujourd’hui, Jaivanti a vingt ans. Elle est brune et dans ses yeux noirs passent parfois les mêmes ombres que dans ceux de sa mère. Notre cadeau d’anniversaire est un voyage en Inde, sur les traces de son enfance.
- Comment avez-vous su que j’en rêvais ?
- Rani est revenu me voir répondit sa mère dans un souffle.
- Rani ? mais elle est morte depuis près de dix ans.
- Je sais, mais c’est ainsi. Ne réagis pas avec les réflexes occidentaux ; surtout pas toi.

Jaivanti éclata de rire et nous serra fort contre elle. Un peu des eaux du Gange noyait son regard.

Jaivanti signifie « victoire ». Nous avions appelé notre fils Victor

samedi 6 août 2016

L'Arpenteur d'étoiles - Les Impromptus en vacances

Une nouvelle écrite en 2006, campagnarde, poétique et une fin un peu étrange ...
(8 Pages)


Le BOBIAT


- Foutu engin ! Foutu engin !
Jean-Marie marmonna
- Foutu engin. Il se leva, glissa les pieds dans des charentaises incertaines et, toujours grommelant sortit sur le perron. L’avion tournait une fois de plus au dessus de la ferme. Un tour, puis un autre, un battement d’aile et le petit appareil repartait vers l’ouest
- Foutu engin ; l’a pas vu l’heure, non ?
Jean-Marie rentra dans la maison frottant ses mains l’un contre l’autre. Il jeta un coup d’œil au carillon de la cuisine.

Cinq heures dix ! Foutu engin. Tiens, je vais pas me recoucher, ça lui apprendra à l’autre là-haut ! … Fait pas chaud en plus.
Depuis quelques nuits, c’étaient invariablement la même chose. Pas toutes les nuits il est vrai, mais régulièrement. En tout cas suffisamment pour foutre Jean-Marie sacrément en colère.
Il regarda le calendrier « Champagnat » accroché au mur :
Vendredi. Bon ça va : la grande toilette ce sera pour demain.

Il fit chauffer de l’eau pour le café et pour le rasage qu’il entreprit dès que celle-ci fut tiède. La glace était depuis des temps immémoriaux suspendue à un clou planté dans le bois de la fenêtre près de l’évier en pierre. Le cérémonial était toujours le même, pareil à celui qu’il avait vu faire par son père et plus loin encore par son grand-père. La bassine en fer blanc remplie d’eau, le savon à barbe, le blaireau, la coupelle en caoutchouc pour recueillir ce qu’il enlevait avec le rasoir, et la bande de peau servant d’aiguisoir, lustrée et noircie par les années, mais gardant un fil impeccable au coupe-chou traditionnel. Il se rasait en regardant dehors le jour poindre au-dessus des collines, les moutons broutant tranquillement encore tout froids de la rosée, et le pré d’en haut bordé de sapins et premier à profiter de la caresse des rayons du soleil. Un coup d’œil au miroir, un coup d’œil dehors. Le bruit de l’eau qui bout dans la casserole, la visite du chat gris aux yeux verts – Monsieur le Chat - le véritable maître de ces lieux : c’était la vie qu’il aimait le Jean-Marie. Sans ce foutu engin. C’était un homme simple. Fils de paysan, petit fils de paysan, il avait toujours vécu là.

Là, c’était dans les monts du Jarez, appuyés au massif du Pilat, contrefort sud-est du massif central. Un hameau de quelques maisons baptisé Le Planiol à neuf cent mètres d’altitude. Assez pour le bon air et la tranquillité, pas trop pour les grandes rigueurs de l’hiver.

Son père, le Joseph avait toujours travaillé la terre comme un forcené. Un jour il était mort dans un champ, comme ça, d’un coup. Le docteur avait dit : embolie foudroyante, en se frottant le menton d’un air savant. Sa mère, la Benoîte, s’en était plutôt bien remise. Elle était de ces paysannes toutes rabougries, toujours vêtue de noir, qui fait un pas quand vous en faites trois et, avec ça, une voix aiguë de trop crier après les poules pour les appeler aux grains. Ça paraissait fragile avec leurs grands yeux de charbon et leur mains toutes tavelées, mais c’était incassable ces femmes-là. Pourtant, Benoîte, elle est morte pas longtemps après son époux ; dans son lit, de rien, d’avoir trop vécu, trop travailler, trop dit du mal des voisins aussi peut-être. Jean Marie il a dit que c’était la vie, que c’était la mort aussi et il s’est retrouvé tout seul dans la ferme, à neuf cent mètres d’altitude en se demandant bien ce qu’il allait devenir. Et c’était pas sur son frère ou sur sa garce de sœur qu’il fallait compter.

Parce qu’il avait un frère et une sœur qu’il ne voyait jamais. Elle avait épousé un paysan, mais de l’autre côté de la vallée, là où il y a les grands champs de pommiers. Puis ils avaient vendu la ferme familiale pour s’établir dans une grande exploitation en Sologne ou en Beauce. Depuis, elle jouait à la dame et ne mettait jamais les pieds au Planiol sinon pour les enterrements. Quant au frère il était prêtre en Afrique. Une lettre de temps à autres, un paquet de dattes et puis voilà ; mais à lui il ne pouvait en vouloir. Au fond, sa seule vraie famille c’était Joséphine la voisine. Du même âge ou quasi, elle était là depuis toujours. Enfants ils avaient parcouru tous les chemins, toutes les vallées, les combes, les ravins et les montagnes de cette partie du Pilat. Du Paraqueue à la Jasserie rien n’avait de secret pour eux. Ils connaissaient les coins à champignons, ceux aux airelles, ceux ou la bruyère est douce aussi. Ceux-là ils les avaient découverts vers leurs quinze ans, à l’âge où garçons et filles apprennent la vie avec les polissonneries d’usage. C’est vrai qu’à la campagne à l’âge de cinq ans on a déjà vu la vache faire le veau, le cheval monter sur la jument et on est un peu plus déluré que les petits de la ville. Mais de là à embrasser les filles ailleurs que sur la joue … Ca n’empêche qu’on a déjà soulevé leur jupe, mais c’est pas pareil quand même. Donc Fine et Jean-Marie c’est une histoire d’amour qui n’a jamais dit son nom. Ils ont bien un peu couchaillé mais sans idée de plus, mariage et tout le tintouin. Et puis ça leur suffit ; chacun sa vie, chacun chez soi, mais toujours ensemble. Allez comprendre !

Jean-Marie, il était pas bête et savait à peu près tout faire. C’est sûr que c’était pas à l’école qu’il avait appris beaucoup de chose. A treize ans ses parents avaient dit qu’il en savait assez pour traire les vaches, mener le cheval aux labours et tailler les arbres. Alors, comme il était l’aîné, il a obéi et a fait le fermier. Après l’enterrement de la mère, il s’est assis sur l’escalier du perron, face à la vallée et se mit à réfléchir. Le boulot de fermier ne l’enchantait pas plus que ça. Par contre, il se rendait compte que de plus en plus de promeneurs, de touristes montaient au Planiol et laissaient leur voiture pour aller marcher dans les sentiers. Certains s’arrêtaient au retour pour lui demander un peu d’eau et causaient avec lui. Ils disaient que c’étaient drôlement joli par ici, « qu’un peu plus haut il y a une-vue-magnifique-vous-connaissez ? », que de l’autre côté, si on montait encore un peu on pouvait découvrir toute la chaîne des Alpes … etc … Vous imaginez si Jean-Marie savait tout cela, mais d’entendre les gens d’en bas en parler lui donnait une espèce de fierté, d’une part, et d’autre part commençait à faire germer une idée dans sa petite tête de paysan..

Alors un jour il se décida. Il abattit un ou deux galandages de la maison, ouvrant ainsi une grande pièce. Il fit les réparations au plancher et fabriqua une espèce de comptoir. Puis il acheta par correspondance, à Manufrance, des chaises et des tables, des assiettes, des verres et des couverts et un grand frigidaire. Un dimanche, il appela Fine, et ils accrochèrent une belle enseigne en bois vernie avec écrit à la pyrogravure : « Auberge du Planiol ». Et ils attendirent. Pas longtemps. Le jour même, plusieurs promeneurs s’arrêtèrent pour manger un bout. Jean-Marie faisait l’omelette avec les œufs de ses poules, servait le fromage blanc du lait de ses deux vaches ou de ses chèvres et des tartes aux fruits qu’il avait cueillis lui-même et dont la recette était le seul réel héritage de la Benoîte.

En quelque mois, toute la vallée parlait de « Chez Jean-Marie ». Et comme il était très simple, habillé avec ses habits de paysan et qu’il arborait un sourire béat, on disait aussi chez « le Bobiat ».

Dans cette région, le Bobiat c’est comme le ravi en Provence ou le Bredin en Charolais. Le dimanche, les habitants montaient au Planiol pour manger l’omelette et le fromage blanc, puis le gigot et un fameux gratin dauphinois. Un coup de rouge des monts du lyonnais ou du beaujolais et tout le monde était content. Bientôt il eut envie de faire un bout de terrasse avec de jolis parasols pour que les gens puissent profiter de la fraîcheur de l’ombre après les ballades. Il alla voir le père Giraud, maire du village pour lui demander. Et bien, cette « pourriture de maire de mes fesses » a rien voulu savoir : l’environnement allait pâtir de cette extension ou je ne sais quelle billevesées qui lui sont resté au travers de la gorge. Alors, Jean-Marie, il a continué avec sa salle de restaurant, son perron tout petit où il pouvait mettre deux ou trois chaises tout au plus et sa rancœur, bien ancrée au fond, là où ça fait mal quand on y repense encore des années après.

Parce que tout ça c’était il y a des années. L’auberge s’est endormie : les promeneurs remontent vite dans les voitures et retournent regarder la télé chez eux, à bouffer des machins qu’on sait pas ce qu’il y a dedans mais qui vaudront jamais, son omelette ou son fameux gratin dauphinois. Mais bon, voilà ; c’était une époque. Il a vu défiler chez lui toute la bourgeoisie de la vallée enrichie par le textile, les aciéries ou la mécanique et il a conservé des connaissances qui l’aident de temps en temps à débrouiller une feuille d’impôt ou un problème administratif.

Tiens, juste un exemple, le banquier, monsieur de Parcieu ; et bien il lui doit une fière chandelle. Une fois, un jour de semaine, il était monté au Planiol avec sa jolie maîtresse. Et ça se faisait des grâces, ça se faisait goûter les plats au-dessus de l’assiette, ça se tenait les mains et les yeux en souriant bêtement. Jean-Marie qui observait distraitement voit tout à coup déboucher du chemin en face de la route, une belle promeneuse, hâlée, blonde et jolie comme tout : madame de Parcieu qu’il connaissait pour l’avoir vu à la place de l’autre, la jeune, là dans la salle. Il fit ni une ni deux, il poussa les tourtereaux derrière le comptoir et accueillit madame avec amabilité en faisant durer un peu, histoire de les punir. Elle but son coca et repartit rechercher sa voiture garée de l’autre côté de la route et que personne n’avait remarquée auparavant. Quand ils se sont relevés les deux illégitimes étaient tout rouges, un peu honteux mais sauvés. Ils ont fini leur repas en vitesse et de Parcieu, en partant lança : « Jean-Marie vous pourrez me demander ce que vous voulez, je suis votre obligé ». C’était pas resté dans l’oreille d’un sourd. Deux ans plus tard, Jean-Marie a débarqué à la banque avec trois gros sacs « Adidas » remplis de billets roulés serrés par dix, qu’il posa devant un guichet. La pauvre fille fit appel à monsieur le directeur qui rendit la politesse à son sauveur, lui ouvrit un compte avec carnet, lui expliqua comment ça marchait et passa trois heures à dérouler les liasses. Et ben dites donc Jean-Marie vous avez plus d’un million de francs sur votre compte ! Pas plus fit Jean-Marie ? Un million nouveau fit le banquier. Jean-Marie fit le calcul dans sa tête et repartit sans piper mot mais avec un léger sourire. Il était tranquille jusqu’à la fin de ses jours.

Tranquille oui, mais sans ce foutu engin !

Il avait fini de se raser, bu son café avec une énorme tartine de confiture d’airelles faite par Fine et il réfléchissait. C’était qui cet avion bleu et blanc qui tournait au-dessus de sa ferme la nuit. Un jour il lui mettrait un coup de douze dans le train, ça allait pas manquer. Il rit tout seul : « dans le train d’un avion ». N’empêche que ça n’élucidait pas le mystère. En plus il ne savait pas trop si il devait accorder foi à une espèce de rumeur qui montait de la vallée, comme quoi « la pourriture de maire de ses fesses » avait un projet d’aménagement du « col du Planiol ». Rien qu’à cette idée, la rancœur revenait creuser dans le sillon de l’échec de la terrasse et il avait à nouveau mal. Fine lui disait bien que c’était de vieilles histoires, que de toute façon quand ils seraient morts, le Planiol deviendrait bien ce qu’il voudrait, mais il était pas d’accord. Il voulait être tranquille dans son coin, aller voir Fine sans traverser un parking avec des poteaux électriques et contempler la nuit se coucher sur le coteau sans entendre de la musique boum-boum tous les soirs. Et puis, Monsieur le Chat, qu’est-ce qu’il allait en penser lui de tout ce remue-ménage. Il soupçonna que l’avion c’était une manœuvre pour le faire partir et laisser le champ libre aux promoteurs véreux et maqués avec la pourriture de maire de ses fesses ! Qu’on se le dise !

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jeudi 4 août 2016

L'Arpenteur d'étoiles - Les Impromptus en vacances

Je publie les trois premières pages d'une nouvelle écrite il y a 4 ans.
La nouvelle complète est sur mon blog : http://francoisebrard.blogspot.fr/

LA TOUR D’ANGLE
PARTIE 1
L’Intersection des axes.




Un cache cœur. Elle portait un cache cœur bleu sur une robe claire. Je signais mollement un livre de reproductions de mes dernières photos. Ouvrage scandaleusement cher d’ailleurs. M’accommodant assez bien d’un sentiment mêlé de fierté et de honte vague j’écrivais les formules toutes faites qui accompagnent les dédicaces. Je griffonnais en pensant à autre chose, tout en accordant une attention souriante et assez commerciale aux quelques inconditionnels qui se pressaient devant la table installée au fond du local où s’exposaient les originaux. Parfois, on me donnait même du « maître ». Je m’imaginais un instant notaire ou avocat derrière un bureau d’ébène, puis balayais bien vite cette vision d’épouvante pour réintégrer mon costume négligé chic, d’artiste plutôt coté. 
La séance de signatures s’achevait comme se vidait la galerie. Je serai bientôt débarrassé de ce pensum. Rencontrer « son public » est indispensable et peut devenir agréable pour peu qu’on y mette un peu du sien, comme le soulignait mon agent souvent irrité par mon manque d’entrain à répondre à ce genre de sollicitation. Peut-être avait-il finalement raison. 

Qui pouvait encore porter ainsi un cache cœur noué sur le devant ? Une silhouette longiligne. De grandes lunettes qui mangeaient une partie du visage encadré par un carré châtain. Elle n’avait pas acheté le livre, mais regardait les photos avec intérêt. Elle semblait chercher quelque chose. Elle scrutait chaque cliché. Son regard de myope lui donnait une raison supplémentaire pour coller le nez au cadre avec un air mutin et sérieux à la fois. Elle portait en bandoulière un grand sac en toile écrue. Je m’approchais : 
- Ces lunettes emprisonnent tristement l’eau claire de vos yeux. Vous devriez essayer les lentilles. - J’ai trop peur d’y rencontrer des pierres oubliées et de m’y casser les dents, cher monsieur l’artiste. Un « monsieur l’artiste » où pointait une ironie irrespectueuse qui aiguisa plus encore ma curiosité. 

- Ce serait bien dommage. Votre sourire y perdrait son éclat et le monde sa lumière, chère mademoiselle la visiteuse du soir. - Méfiez-vous des visiteurs du soir, ils sont souvent plus sulfureux qu’il n’y paraît. - Et se plaisent à jouer avec le feu, dit-on … mademoiselle ? - Isoline. Elle le dit avec un froncement du nez. - Un prénom comme un hennin de soie. - Même en soie, les hennins étaient pointus. Ne l’oubliez pas, François … C’est bien ça ? - Mon nom de scène, fis-je dans un sourire. Mon vrai prénom, vous allez rire, est Hugues-Thibault
- Comme une cotte de maille sous un mantel azur. Mais cessons-là cette joute vaine et venez avec moi.  La galerie était maintenant vide. Il ne restait qu’elle et moi. Elle me prit par la main et m'entraîna devant une de mes photos. La plus grande et la mieux éclairée. Je me sentais un petit garçon mené au tableau noir par une institutrice dont il perçoit confusément ce qu’il ne peut encore nommer le pouvoir érotique. Mon sentiment était nettement moins confus. 

- Comment avez-vous fait ça ? Elle montra d’un geste large le cadre et me lança un regard interrogateur et sévère.
- Avec un Leica et priorité à l’ouverture en l’occurrence.
- Ne vous moquez pas de moi, monsieur l’artiste. Ce cliché est impossible ...
Je veux dire « irréalisable ». 
Elle continua.
- D’ailleurs il suffit de le considérer plus attentivement pour deviner la supercherie. On aperçoit alors le grain léger de la toile. Car c’est bien d’une toile qu’il s’agit. Vous avez photographié un tableau, monsieur Hugues-Thibault. Fort bien, avec un talent indéniable, mais c’est la photo d’une peinture et non d’un site quelque part en Quercy ou en haute Provence.

- Mademoiselle Isoline, vous avez le regard aussi aiguisé que l’esprit. Je confesse en effet que cette photo est bien celle d’un tableau. J’en tire presque plus de fierté que si je l’avais prise au naturel, car le travail fait sur la matière est particulièrement réussi il me semble. Il fallait un œil d’expert pour le découvrir. Mais est-ce donc si grave ? 
J’étais malgré tout un peu mortifié que la demoiselle si charmante fut-elle, ait découvert la chose, mais encore plus surpris que personne ne m’en eut fait la remarque auparavant.
- Et d’abord, pourquoi dites-vous que le cliché est « irréalisable » ?
- Mais parce que ce lieu est détruit depuis plus de trois siècles, monsieur l’artiste. 

Donc le tableau que j’avais photographié était aussi ancien que je l’avais subodoré lorsque je l’avais dégoté dans la brocante de Feyssines. Ce constat me flatta. J’avais dû faire une bonne affaire. 
Tout en parlant, j’éteignais les lumières de la galerie, puis enfilais une veste. Nous allions partir ensemble comme si cela allait de soi. Elle me regarda fermer la porte donnant sur la rue puis m’emboîta le pas. 

- Allons chez vous. Je voudrais voir le tableau original … s’il vous plait. Vous l’avez toujours en votre possession, j’espère, rajouta-t-elle brusquement.
- Bien entendu et depuis que j’ai appris qu’il avait au moins trois cents ans je l’envisage bien différemment 

Ma voiture était garée dans une rue adjacente. Je lui ouvrais la portière et elle s’assit tout naturellement sur le siège passager. Je m’installais et démarrais en direction de la Croix Rousse. J’avais là mon appartement et mon studio, dans un ancien atelier de canuts, avec une façade entière donnant sur le Rhône. La vue était superbe et la lumière parfaite. 
Durant le trajet, Isoline se taisait. Elle avait ouvert un gros livre sorti de son sac et prenait quelques notes d’une écriture ronde et ample. Je jetais de temps à autre un coup d’œil. L’ouvrage paraissait très ancien, rempli de gravures et de plans. - Voilà, nous arrivons. Par bonheur une place était disponible presque devant la porte. J’y garais la voiture puis guidais la jeune fille au cache-cœur bleu. Je pensais « une aussi belle place et une aussi belle visiteuse, c’est mon jour de chance » et m’effaçais pour la laisser entrer. Elle était plus nerveuse que dans la galerie. Elle eut un regard circulaire sur l’espace que j’occupais, puis sans transition demanda : - Où est le tableau ? 

Je la devançais dans l’escalier qui montait au studio proprement dit. L’œuvre était là sur un grand chevalet. Elle s’arrêta figée, les yeux fixés sur le tableau.
- Mon Dieu. Quelle merveille. Regardez le travail de l’artiste. On dirait une peinture hyper réaliste du vingtième siècle. Voilà pourquoi votre photographie est tellement extraordinaire. Puis elle fouilla dans son sac et reprit le livre. 
- Je vous dois des explications. Et tout d’abord, un peu d’histoire : 
Ce tableau représente une petite partie des jardins d’un immense domaine. Nous sommes au seizième siècle, quelque part en Languedoc. La croisade contre les albigeois pourtant déjà ancienne est encore dans les mémoires. L’imposante bâtisse appartient alors à un mien lointain ancêtre, le seigneur Amaury de Termes descendant direct d’Olivier, valeureux chevalier ami des rois et du pape Clément, et mort en Terre Sainte. 
Amaury est marié à la très belle Brunissendre. De leur union naîtra tout d’abord Gersindre de Termes, qui sera abbesse de Fontfroide. Puis Guillaume qui, passionné de chevaux deviendra un des pourvoyeurs des armées et des chasses royales. Il fonde en Normandie une lignée d’éleveurs. J'en suis le dernier maillon.  

Malheureusement deux ans plus tard, Brunissendre meurt en couches de leur deuxième fille. Amaury sombre dans le désespoir. Il confie l’enfant à des gouvernantes et s’enfonce doucement dans un véritable délire paranoïaque. Persuadé que la couronne de France veut s’emparer de ses domaines, il ne cesse de renforcer les défenses, de rajouter des enceintes, d’entasser armes et poudres. 
Peu à peu, le château devient une forteresse imprenable. Amaury s’est adjoint le concours d’un homme étrange. Exceptionnel humaniste, à la fois architecte, latiniste, philosophe, dessinateur et peintre. Il se nomme Giacomo Prelatori mais se fait appeler messire Toncrate, contraction de Platon et Socrate, ses deux maîtres à penser. C’est lui qui a écrit le livre original dont j'ai une reproduction dans mon sac. C’est lui qui a peint le tableau que vous avez acquis aux puces. Il signe toujours de la même manière : deux lettres de son surnom discrètement apposées aux quatre coins du tableau : TO, NC, RA, TE. 

Toncrate est venu au château avec son fils, le jeune Giuliano à qui il apprend grec et latin ainsi que l’histoire naturelle. Giuliano est fou amoureux de la fille d’Amaury. Ils ont sensiblement le même âge. Il se passionne aussi pour cette science particulière qu’est l’alchimie.
Avec l’accord du maître, son père lui a confié une petite tour faisant partie de l’enceinte des jardins potagers du château. La jeune fille tombe également amoureuse, mais vit pratiquement en recluse. Ses gouvernantes et préceptrices lui interdisent toute sorties solitaires. Alors les deux amoureux échangent des billets enflammés par l’intermédiaire d’une servante bienveillante. 

Giuliano passe ses journées dans la petite tour. Il a fabriqué un athanor et pratique des expériences de plus en plus poussées. Avec l’aide de son père, il pense toucher bientôt au but et réaliser le grand œuvre. 
Prelatori qui a dessiné tous les plans des fortifications nouvelles, a également surveillé leurs constructions. Il a créé un réseau de galeries souterraines sous l’ensemble des remparts. Dans celles-ci sont stockés poudres, mèches, huiles, poix, ustensiles divers. En cas d’attaque on pourra aussi les gorger de vivres de toute sorte. La communauté soutiendrait alors un siège suffisamment longtemps pour décourager n’importe quel assaillant. Ces galeries sont éclairées et aérées par des puits creusés à espace régulier. L’un d’eux se situe sous la petite tour laboratoire. 

- Mais comment savez-vous tout çà, mademoiselle ?
- Tout est relaté dans le livre. En revanche ce qui va suivre est aussi le résultat de mes propres recherches. Vous auriez un verre d’eau s’il vous plait ? 
Elle se désaltéra et continua son étonnant récit 

- Pour aboutir enfin, Giuliano a besoin d’une énergie considérable. Il sait qu’il pourra la trouver au fond du puits débouchant dans les galeries des remparts. Patiemment il entasse poix et poudres et se prépare à l’ultime expérience. Il sait aussi qu’il risque sa vie. Alors, il demande une dernière fois à son amoureuse de le rejoindre dans la tour à la nuit tombée.  Si elle vient, il renonce et s’enfuit avec elle. Si elle ne vient pas, il tente vaille que vaille la transmutation du plomb en or. 
Hélas, la prisonnière surveillée étroitement ne peux se rendre au rendez-vous. Giuliano attend, attend encore puis, désespéré allume son four, accumule divers combustibles et lance l’opération. La déflagration sera entendue à vingt lieues à la ronde. La tour est anéantie, mais ce qu'il n’avait pas imaginé, c’est que le souffle puissant allait se propager dans les galeries et embraser l’ensemble des remparts. 

La jeune châtelaine voyant le désastre échappera à ses gardiennes pour se jeter dans les douves.    Voilà pourquoi votre photo ne pouvait être réalité. 
Isoline se taisait. Debout devant le tableau, elle avait ouvert le livre à une page particulière et recopiait avec application sur un carnet quelques mots. Je ne savais que dire devant son assurance tranquille et sa détermination.  

Elle reprit :
- je ne vous pas encore tout dit :


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