mardi 24 mai 2016

Jérôme - Le poète est voleur de feu

Le poète est vraiment voleur de feu (témoignage anonyme).

Je ne descendrais jamais de fleuve impassible, sauf, parfois, en rêve : mais alors, à moi les cieux crevant en éclairs ; les mois pleins de houle à l’assaut des récifs, forçant le mufle aux océans poussifs ! Je veux pas me vanter, mais j’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques, illuminant de longs figements violets.
Bon. Autant l’avouer, dix mois par an, je circumnavigue au fond du placard de l’entrée. Mon port d’attache ? Deuxième étagère gauche. Faut reconnaître que jamais les peaux rouges criards rangés dans leur boite, deux planches plus bas, ne m’ont pris pour cible ou cloué nu au poteau de couleur. Plutôt corrects, les gars.
*
Et puis, un matin, cette longue nuit verte aux neiges éblouies se termine et commence ma saison en enfer. Voilà les vacances d’été. Alors, le môme m’arrache à ma planche de salut et m’entraine en courant à cloche-pied vers le bassin en ciment du jardin, où il plonge ma coque bleue : splatch ! Là, un jour sur deux – l’autre est consacré aux devoirs de vacances du petit, madame mère est stricte là dessus : cet été, gare à lui s’il n’apprend pas au moins à colorier ses voyelles -, je fais des ronds dans l’eau ; ça n’est pas de tout repos : Arthur me lance en l’air, dans l’éther sans oiseau ; d’autres fois, une cataracte tombe d’un seau en plastique...
Qui me délivrera, martyr lassé des pôles et des zones, de la tyrannie de ce sale gamin ? Oh, que j’aille à la mer ! Non. si je désire encore une eau, c’est la Flache, ce petit ruisseau qui, au fond du jardin, paresse entre les nénuphars verts et le frais cresson bleu, ses bras d’eaux entremêlés accélérant soudain entre les ilots peuplés de canetons, et entraîne les brassées de pétales jaunes et bleues, vestiges du parterre floral que chaque matin la petite voisine s’ingénie à dévaster. Comme il doit faire bon y naviguer. Mais c’est défendu depuis que mon nigaud de tire-ficelle a manqué y noyer son tricycle.

Tout ça, c'était hier ; ce qu'il a inventé cette année ? Il fume en cachette en toussant et écrit des poèmes par douzaine : il en remplit des cahiers, qu'il colorie avec application en tirant la langue et qu'il cache dans le placard : les trois premières étagères en sont déjà remplies. Pour faire de la place, il a troqué les indiens de plomb contre de l'encre et du papier. Et moi ? Je ne me fais pas d'illusion. Un jour, c'est sûr il couchera ma carcasse ivre d’eau sur un lit de paille, de brindilles et d'herbe sèche, et à l'aide des allumettes piquées à l'office, me livrera les nappes de braise, la flamme d'or ! La morsure des tourbillons de feu furieux, les flots de feux.... et que ma quille éclate !

Enfin,
ce n'est rien ! j'y suis ! j'y suis toujours, sur mon étagère. Pour l'instant.

7 commentaires:

  1. Quelle belle idée d'avoir personnifié ce bateau ivre livré aux caprices du poète maudit... Bravo !

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  2. C'est un excellent texte, mêlant adroitement le navire et l'enfant, le père et le récit, l'aujourd'hui et le demain. Ton futur poète est bien croqué, il est dans sa phase "créative"...N'y touchons pas; il deviendra peut-être ce poète voleur de feu (même s'il tousse en fumant en cachette)!

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  3. ah oui, je trouve que c'est une idée absolument géniale cette vision de l'enfant poète par ce bateau "jouet" !

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  4. C'est une belle trouvaille, ce mélange de style, un peu comme avant et pendant la tempête. Rimbaud n'a pas fini d'exalter les poètes.

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  5. Quelle idée de génie! Tu te baignes avec aisance " dans le poème ... Infusé d'astres " sous "les rutilements de [ta plume]". Un grand bravo !

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  6. Superbe voyage dans l'enfance et la poésie...
    J'ai pensé à un film très poétique qui est sorti il y a quelques années et qui s'appelle " l'Indien du Placard"
    L'as-tu vu ? ;-)
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  7. Arpenteur d'étoiles29 mai 2016 à 10:59

    une idée superbe et rimbaldesque de mêler enfance et poésie
    on voyage sur le bateau ivre et dans l'imaginaire de ce "témoignage anonyme"
    bravo !!

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