vendredi 29 avril 2016

Chri - Le carrelet

Le carrelet.

J’étais si entamé que je n’ai même pas été surpris quand j’ai entendu une voix de femme me dire :
Sais-tu à quoi ils servent vraiment ?
Je me suis à peine tourné vers l’endroit d’où j’ai pensé qu’elle venait.
Il faut dire qu’on avait fêté la fin des vacances dignement, comme ça se méritait. On avait bu autant que ça nous coûtait de devoir partir d’ici, c’est dire.

Un moment j’avais eu besoin de faire une pause, de marquer le pas, d’interrompre la descente, de prendre l’air. J’avais attrapé une bouteille d’eau minérale et j’étais monté sur la digue où se trouvait le carrelet. J’étais venu m’asseoir sur les marches branlantes en bois. Le soleil n’était pas encore couché, pour l’instant il s’occupait de foutre le feu à la bande de nuages qui barrait l’horizon, je m’étais dit bêtement ben dis donc, là-bas en Amérique, vont avoir un sacré coup de chaud… J’ai prévenu, j’avais bu pas mal, je ne m’attendais donc à rien de malin venant de moi-même. J’entendais les bruits de la fête, les éclats de rire et de verres, le son d’une basse lancinante, les cris des enfants, les gens qui chantaient faux à tue-tête et j’étais bien. Heureux de voir le spectacle flambant du jour finissant et de l’île en feu et bien de n’être pas loin d’une fête et de ses flonflons.

C’est là que j’ai entendu :
Sais-tu à quoi ils servent vraiment ?
Je me suis surpris à répondre : Ben oui, à pêcher ! Cette bêtise. Elle a repris, insistante :
En as-tu déjà vu en service ?

Là j’ai réfléchi quelques secondes et effectivement, je n’en avais jamais vu fonctionner. Ils avaient toujours été là, le filet bien en l’air accroché, secoué par les rafales quand il soufflait d’Ouest…
Mais j’étais entré en conversation avec une voix.
Dites vous êtes où ? Montrez vous, quoi.

Peu importe qui je suis, où je suis, je suis là et je vais te confier un secret à toi seul je vais t’apprendre à quoi servent vraiment les carrelets…

Heureusement que j’étais assis parce qu’en plus j’étais sur le cul.
Elle a continué m’interrompant :
Regarde les bien, en vrai, ces grands filets servent à attraper et retenir dans les brumes apportées par les marées tous les murmures du grand large et ces murmures portent les prénoms des marins morts en mer. Viens, les jours de brume, viens à marée montante, viens écouter ce que le large a à te dire, viens entendre la mémoire des morts…

Je suis resté silencieux. Je suis retourné à la fête. Si je n’ai rien dit à personne, en revanche, je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’arrête pour ce soir, que j’avais franchi la fameuse ligne.

Le lendemain, en prenant la route du retour, j’ai regardé comme jamais la longue ligne des carrelets relevés, tournés vers le large.

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11 commentaires:

  1. magnifique idée !
    elle me portera la prochaine fois que j'irais marcher vers les carrelets
    mais je te confie un secret : j'en ai vu fonctionner, et ramener quelques poissons :)

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  2. @TisseuseOui, je sais, c'est pour faire croire...

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  3. Arpenteur d'étoiles29 avril 2016 à 10:51

    oh la belle idée de ces filets qui retiennent brumes, murmures du monde et les noms des marins disparus ... bravo !!

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  4. Si les amérindiens ont leurs capteurs de rêves, j'aime bien l'idée de ces pièges à murmures qui célèbrent les naufragés...

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  5. C'est d'une poésie superbe et frissonnante.
    j'adore le filet aux murmures...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  6. Je plussois aux commentaires ci-dessus. Bravo.

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  7. Un récit saisissant de beauté...

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  8. Belle prise ! C'est bonheur d'être resté un temps saisi par la magie de ton récit. Merci, Chri.

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  9. Merci à tous les lecteurs Et commentateurs!!! :-)

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    1. j'aime bien, moi, les comment tâteurs... ^^
      Bon je sors !--->
      ¸¸.•*¨*• ☆

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    2. Ça vaut mieux, oui... :-)

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