vendredi 22 avril 2016

Arpenteur d'étoiles - Uchronie

Je remercie Chri qui m'a donné l'idée de retrouver ce texte.
Je l'avais déjà publié il y a quelques années sur les Impromptus (je l'ai, d'ailleurs, modifié) mais, à cours d'inspiration, je tenais à participer à ce thème qui me plait au plus haut point !

Le pourquoi du comment

La boîte que son père lui avait offerte pour son anniversaire, était tout à la fois splendide et colossale. Le puzzle de plusieurs milliards de pièces qu’elle contenait lui promettait des heures passionnantes et créatrices. Lui-même n’en revenait pas, tant le cadeau correspondait parfaitement à ses attentes les plus chères et les plus secrètes. Il allait enfin apporter la preuve de son exceptionnelle intelligence, comme de sa capacité à imaginer des systèmes dont la complexité n’égalait que la précision de leur assemblage. 

Il était considéré dans sa famille comme un enfant normal. Ses parents regardaient ses nombreuses trouvailles sans admiration excessive et les trouvaient, au fond, assez banales. A chaque fois déçu, il retournait dans sa chambre pour y ranger soigneusement ses précieuses découvertes. Puis allongé sur son lit, il versait quelques larmes de colère et de rage et finissait toujours par s’endormir. Le lendemain, tout était oublié. Son enthousiasme reprenait le dessus et il repartait dans des utopies faramineuses, qui plusieurs jours plus tard, rejoignaient à leur tour leurs devancières dans le grand placard.

Aujourd’hui, il était comblé. Il comprenait que son père lui lançait enfin un véritable défi. La mission était sans commune mesure avec celles qui lui avaient été confiées jusque-là. Missions qu’il avait toujours menées à terme d’ailleurs, mais sans bien y prêter attention. Il est vrai que créer des équilibres dans des espaces vides, pondre des théories philosophiques sur la bien peu probable existence d’une entité supérieure, ou imaginer des limites à l’éternité restaient des occupations somme toute plutôt anodines. A la première excitation passée, la suite devenait routine et l’ennui s’installait bien vite.

Et surtout, il venait de découvrir en manipulant la boite pour l’observer sous tous les angles possibles, qu’elle portait une mention accréditant de façon définitive son hypothèse sur le challenge paternel. Il était écrit en lettres minuscules, sur un côté de l’emballage : made by Daddy ! En l’apercevant, il eut une bouffée d’orgueil car cela corroborait l’idée que, finalement, ses parents avaient tout à fait confiance en son immense talent. Le soir même il se mettait au travail.

Ils avaient ensemble conclu un simple marché. Prends le temps qu’il te faut ; nous n’interviendrons jamais au cours de ton ouvrage ; nous ne le découvrirons que lorsque tu le jugeras achevé ; tu ne nous poseras aucune question et trouveras en toi-même les solutions aux différents problèmes qui éventuellement adviendront. Il lui fallut six jours pleins pour aboutir. Il ne sortit pas une seule seconde de sa chambre, au demeurant équipée de tout le nécessaire. Ses parents avaient en plus reçu consigne de sa part de ne le déranger sous aucun prétexte. On posait les repas devant sa porte et on venait reprendre le plateau un peu plus tard, souvent à peine entamé.

Au matin du septième jour, il les appela. Après de multiples recommandations il les fit entrer dans ce qui était devenu un véritable atelier. Il était cependant rangé avec soin et ils ne virent rien. Un peu décontenancés, ils se tournèrent vers lui, qui souriait doucement.
- Restez là. Ne bougez pas. Regardez juste devant vous.
- Mais il n’y a rien à voir, tenta son père. 
- Patience, patience Daddy.

Dans un bruit métallique il ouvrit le grand rideau. Devant eux, un infini de galaxies, de planètes, d’étoiles était suspendu dans un univers sans limite.

En riant à moitié derrière des larmes claires, sa mère bredouilla :
- Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau.

Elle serrait la main de son fils d’un côté et de son homme de l’autre.

Celui-ci scrutait avec attention le moindre recoin de cet univers dont il percevait la prodigieuse ingéniosité. Puis en se retournant vers son fils :
- Mais, Petit, n’as-tu pas trouvé autre chose dans la boite ?
Le jeune homme sourit à nouveau.
- Je me doutais bien que tu allais m’en faire la remarque … et que tu m’as bel et bien tendu une sorte de piège …
Son père le coupa fièrement :
- Le coup imparable de : la pièce en trop !

Il sortit du fond de sa poche une bille d’un bleu profond. Il la tint un moment comme en lévitation au-dessus de la paume de sa main, la laissant au regard de ses parents.
- Tu vois Dad, cette pièce n’est pas en trop ; elle est en plus. Et c’est bien différent. En effet, c’est elle qui est la clef de mon œuvre.
- Mais où vas-tu la poser ? Demanda son père éberlué.
- Je ne vais pas la poser puisqu’elle n’a pas de lieu dédié. Je vais la lancer au hasard, et lui laisser trouver seule sa place, unique, absolue. Regardez comme elle prend encore plus d’éclat, comme elle semble s’animer. Elle tourne déjà sur elle-même. Ecartez-vous.

Il ramena son bras derrière lui et d’un geste ample, projeta la sphère dans l’espace. Ils la suivirent des yeux jusqu’à ce qu’elle s’arrête près d’une superbe étoile. Une autre bille plus petite la rejoignit. Tout se suspendit immobile, comme des acteurs en attente du premier lever de rideau.
- Et maintenant regardez bien :
Il frappa dans ses mains.
En un fragment de temps, l’univers neuf se mit en mouvement. Galaxies, étoiles, planètes entamèrent leurs rotations infinies. Une musique issue même de leur danse les enroba comme une chaude caresse.

Là-bas, dans un coin de cet univers qui semblait s’étirer sans cesse, une petite planète bleue commençait sa course autour d’un soleil brûlant.

Et si, il avait raté le lancer.
Et si, il avait pu décupler sa force et envoyer la planète bleue tout au bout de l’univers.
Et si, il n’avait pas trouvé « la pièce en trop ».
Et si, il l’avait gardée dans sa chambre pour jouer avec elle le soir, dans son lit, comme avec un bilboquet …

Où serions-nous, nous ?


18 commentaires:

  1. avec ce type de texte tu deviens un enchanteur cher Arpenteur :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:15

      merci chère Tisseuse, je vais changer mon pseudo en enchanteur d'étoiles ? ... non, c'est trop :o))

      Supprimer
  2. Comment ne pas se sentir humble et penaud devant tant de génie ? (Je parle du tien) :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:16

      là aussi, c'est trop quant au génie, qui n'arrive pas à la cheville du tien :o))

      Supprimer
  3. Magnifique ....Merci ....Impossible de dire autre chose....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:16

      merci Clémence ... et bon dimanche

      Supprimer
  4. Wouah, je me suis bien amusée. D'abord, ça se présente comme un simple récit de famille, une famille qui s'aime et se respecte. Chouette. Puis on est absorbé par une sorte de quête : celle d'un enfant pour son indépendance, son identité et sa reconnaissance. Ensuite, le récit prend toute son ampleur quand on se rend compte de l'enjeu : on est dans un conte étiologique, mot compliqué qui désigne une explication à une situation donnée. J'adore ça ! On fait ça avec des élèves ou des étudiants pour permettre à l'imaginaire de se développer. Ici, merci bien, c'est fait et bien fait.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:19

      quel commentaire Anne ! plein de mercis aussi ... si tu veux utiliser ce texte avec tes étudiants ou élèves, évidemment tu peux (avec droits d'auteur, forcément :o)))

      Supprimer
  5. Il n'y a que l'Arpenteur d'étoiles pour écrire un tel texte. Evident bien sûr avec ce pseudo que je trouve fort beau soit dit au passage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:21

      ce pseudo est venu il y a quelques années (10 ans) car j'ai arpenter pendant toute ma vie professionnelle la France, mais aussi la Belgique et un peu l'Espagne et j'ai toujours gardé la tête dans les étoiles :o) ... et c'est loin d'être terminé ... :))

      Supprimer
  6. et s'il n'avait eu lui même un fils (avec la grande ourse ?) qu'il nomma grand Arpenteur, pour astiquer les étoiles ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:24

      j'adore faire le ménage, alors nettoyer les galaxies, sans problèmes ... sinon mon père n'a jamais couché avec une grande ourse (à ma connaissance) :))

      Supprimer
  7. Réponses
    1. Arpenteur d'étoiles24 avril 2016 à 09:25

      c'est vraiment en lisant ton texte que j'ai repensé à celui-ci. d'ailleurs, il y vraiment un lien entre nos deux participations ... alors merci Chri !

      Supprimer
  8. Un texte céleste qui n'est pas pour me déplaire...
    La tête dans les étoiles, ça me connaît...
    Si seulement les hommes avaient eu ce talent et cette tendresse pour expliquer le monde, plutôt que de s'inventer des religions sanguinaires et frustrantes...
    Merci pour ce beau texte.
    ¸¸.•*¨*• ☆

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, @Célestine... si seulement !
      Mais il en est d'autres pour y aller de leur imagination et livrer (à qui veut l'entendre) une explication bienveillante à ce fondamental questionnement.

      Supprimer
  9. Magnifique illustration de ce que peut, en vraie grandeur, un Arpenteur d'Étoiles !
    J'ai pris grand plaisir à te lire, un grand merci !

    RépondreSupprimer
  10. C'est signé ! et dans les grandes largeurs... ;)

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".