jeudi 28 avril 2016

Arpenteur d'étoiles - Le carrelet


Une bien étrange enquête

Au petit matin, Dethiers et Pacôme courraient sur la plage, humant l’air marin. Le soleil pointait, démesurant leurs ombres. Ces deux policiers belges, avaient choisi de passer quelques jours près de La Rochelle avec leurs familles. Tenter d’oublier Molenbeek dans une maison louée ensemble, juste au bord de l’eau. Ils s’arrêtèrent un instant pour souffler un peu et faire quelques étirements. La marée avançait ; dans deux heures ce serait la pleine mer. Ils admiraient la ville proche que coloraient peu à peu les rayons du soleil. Les grands oiseaux jouant sous le vent, les bateaux de pêcheurs rentrant au port, l’île de Ré semblant émerger, le pont encore dans une brume pâle et enjambant l’immensité mouvante.

- Tu as entendu cette nuit, cette étrange musique venue de nulle part ? Demanda Dethiers.
- Oui, oui, répondit Pacôme.
- C’était comme un chant, comme des vocalises portées par le vent, entrecoupées de silence. Mais j’ai eu l’impression de percevoir aussi une sorte de souffrance, d’angoisse au cœur de ces variations mélodiques.

Pâcome commençait à faire des pompes lorsque la voix reprit doucement, mais très proche. Il se releva, troublé. Dethiers aussi avait entendu.
- Regarde on dirait que ça vient de cet abri-là, juste là.
Ils se dirigèrent vers la construction de bois gris et rouge. Au-dessus de la porte en haut de l’escalier, une inscription « Miss-ter ».
La voix continuait, modelant une mélopée à la fois calme et inquiétante. Ils décidèrent d’aller voir à l’intérieur.

La porte n’était pas fermée à clef. Ils l’ouvrirent doucement. La pièce était encore un peu sombre, à peine éclairée par une ouverture en forme de cœur. Et là ils restèrent immobiles, interdits ; devant eux, dans une espèce de baquet rempli d‘eau de mer, une femme aux yeux clairs et à la chevelure abondante et blonde était nue. Ses bras graciles étaient liés à deux crochets ancrés aux parois. On ne la découvrait que jusqu’à la taille, le reste de son corps était dans l’eau. Celle-ci était couverte d’algues sombres. Contre le baquet, un panneau en bois sur lequel était écrit « Tiss-mer ». Elle les regarda intensément et d’une voix étonnement grave murmura :
- Libérez-moi s’il vous plait, sinon je vais mourir dans la chaleur du jour.

Dethiers et Pacôme s’approchèrent. Ils trouvèrent un couteau et coupèrent les liens. Ils ne pouvaient détacher leur regard de ce corps superbe. Ils voulurent la soulever pour la sortir enfin de ce piège, mais elle leur demanda de ne pas le faire :
- S’il vous plait, n’écartez pas les algues. Emportez, si vous le pouvez, le baquet près de l’océan. Alors vous comprendrez. Pacôme bredouilla :
- Bon d’accord, nous allons vous aider comme vous le demandez. Puis nous reviendrons examiner ce local.

Ils réussirent tant bien que mal à descendre le bac avec la jeune femme. Ils ne cherchaient plus à comprendre. Leurs esprits de policier s’étaient envolés. Ils étaient à la fois dans la cabane du pêcheur et dans une autre dimension, dans un autre monde, portés par la voix qui continuait à moduler une douce mélodie.
Ils arrivèrent près de l’eau qui montait encore.
- Avancez un peu s’il vous plait, afin que je sois entièrement dans l’eau.
Ils obéirent.
- Je dois vous expliquer sur j’ai été prise dans les filets d’un pêcheur. Il m’a capturée et portée dans sa cabane. J’étais à la porte de l’enfer. Merci de m’avoir libérée.

Elle leur sourit, appuya ses mains sur le rebord du baquet, émergea et replongea aussitôt dans l’océan. Son immense queue de poisson bleu lui fit gagner très vite le large. Elle leur fit un signe de la main et fila vers les grands fonds. Pacôme et Dethiers venaient de sauver une sirène.
Le pêcheur au carrelet fut arrêté. Il avoua tout et fut pris pour un fou. Il finit ses jours dans un asile psychiatrique.

Le deux policiers gardèrent cette rencontre pour eux, bien cachée au fond de leurs cœurs. A chaque anniversaire de cette aventure, ils entendent la voix grave et mélodieuse qui les remercie, et un baiser se pose délicatement sur leurs lèvres.

Œuvre de John William Waterhouse

8 commentaires:

  1. Si tu pouvais savoir, cher Arpenteur, comme ton texte me réjouit. Tu as capté combien ces carrelets, et celui-là tout particulièrement, et ce coin de bord de mer sont propices à la rêverie et à l'imaginaire.

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  2. Que ne ferait-on par pour fuir Molenbeeck (prononcer "Moooolenbeeeek" à la fin). Libérer une sirène n'est pas donné à tous les communs des mortels, fût-il flic et belge de surcroît. Bravo à eux et à l'auteur d'avoir pu nous confier cette histoire jusque là tenue secrète.

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    1. Arpenteur d'étoiles29 avril 2016 à 12:04

      Pacôme et Dethiers sont deux personnages dont j'ai écrits quelques enquêtes dans les années passées (mais récentes :o) )
      et pour des flics, libérer une sirène qui chante merveilleusement est toujours plus intéressant qu'entendre les sirènes des véhicules de police :o)
      le secret est fait pour être raconté, à un moment ou un autre ...

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  3. Tout à fait excellent - et même plus, belle plume pour conter une histoire d'écailles !

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  4. Wouaou ! C'est beau...je suis toute épantelée par ton histoire...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  5. Un texte qui offre sa part de rêve et de fraîcheur. Dans notre monde devenu un peu brut, cela fait du bien!

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  6. Comme quoi, toutes les sirènes ne vous brise pas les oreilles ;)

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