lundi 4 avril 2016

Anne de Louvain la Neuve - Le Salon

63e épisode - Les enquêtes de Sibelius - Fil à plomb à la Scala



Le salon dormait dans la pénombre quand soudain la bougie mit le feu aux rideaux qui s’embrasèrent comme une torche. En un rien de temps, enroulé qu’il était dans sa bure, le moine se déshabilla fissa et totalement nu, saisit sa carabine et tira au travers de la fenêtre. Le visage ricanant qui s’y affichait un instant auparavant disparut dans une giclure de sang. À ce moment précis, Sibelius se réveilla « Force m’est de constater que si l’habit ne fait pas le moine, le moine ne fait guère l’habit non plus », soupira-t-il.

Ainsi débuta la 63e aventure palpitante de notre héros.

Le moine Sibelius (alias Petulo Clark mais rien à voir avec le Clark Kent, journaliste et superman ou le Kent, fiancé de Barbie) était à présent connu tout autant par son ample robe d’un brun franciscain, que pour lui-même, avec sa tonsure très in et sa redoutable carrure d’athlète du clergé régulier. Il représentait la quintessence du détective privé, l’as des as des enquêteurs, plus fin limier qu’OSS 117, mélange subtil du sexy SAS et de l’intrépide Bob Morane, toujours prêt en moins de temps qu’on ne récite un pater noster à résoudre les plus difficiles des enquêtes. Il connaissait toutes les ficelles d’un métier appris sur le tas des infamies innombrables du genre humain. Autrement dit, fallait pas lui en raconter, ni des vertes, ni des rouges, ni des pas mures ! 100 % de réussites bio sans pesticides, tels étaient les résultats de ses prestations, chères mais justes !

Allongé de tout son long sur le sable fin de la plage d’Ostende, Sibelius respirait à pleins poumons l’air marin iodé. Le sentiment du devoir accompli d’un homme, un vrai, un pur, un dur fût-il moine accompagnait ces quelques jours de béance dans un emploi du temps raide comme la justice et plein comme une andouille. En comptant ses doigts de pieds en éventail, qu’il avait au nombre de dix à sa plus grande satisfaction, dans le prolongement immédiat de deux mollets costauds et poilus, il se sentit nimbé d’une béatitude quasi parfaite, auréolé par sa chasuble terriblement mal repassée.

Soudain, son IPhone se mit à sonner. Il ne connaissait que trop bien cette petite musique de la scène d’un film qu’il avait visionné huit fois (rien que d’y penser, il en frissonnait) le tila tilili tililili d’un téléphone portable égaré dans les crottes d’un T-Rex. La voix de basse mélodieuse de son scribe, super gentil, hyper professionnel, et aussi souple, voire plus qu’Ingrid, la secrétaire de son rival Flanagan Johnson lui susurra à l’oreille le mot de passe qu’il connaissait par cœur, c’est parti mon (gros) kiki ! Les affaires reprenaient.

Par-dessous la chasuble, tout contre sa cuisse musclée, il sentit sa .22 Longs Rifles au garde-à-vous. Il s’empara d’un cure-dent et remit son sixième sens en place à toute vitesse. Après avoir toussoté, il se leva lentement et scruta de ses petits yeux bleus inquisiteurs le pourtour giratoire de 360 degrés. D’un geste sec, il afficha en gros plan sur son écran sa nouvelle cible, brune, perçante comme une mèche de 5 mm pour béton armé, qu’il dévisagea en connaisseur. Ce serait à n’en pas douter une de ces missions problématiques où des talents protéiformes seraient requis.

À son actif (cf. volume 52 : Sous tif à Hong-Kong), la recherche et la découverte du fameux sourire perdu de l’héroïne chinoise Yoko Tissu-No s’étaient clôturées par le succès que l’on sait. Cette femme belle et sensuelle s’était fourvoyée du matin au soir dans les complications de ses théorèmes vitaux. Lorsqu’elle rencontra le moine, elle n’était plus que l’ombre de la moitié du tiers du quart de ce qu’elle avait été. Mi-pantelante, mi-lessivée, son cœur tremblait, criblé des rhumatismes causés par les multiples fractures de ses chagrins d’amour. Sibelius avait eu fort à faire. Il y avait mis du corps. Enfin, sur le visage de l’impassible asiatique, le sourire énigmatique et argentique qui faisait d’elle la perle d’Orient, ce sourire qu’elle avait égaré quelque part dans les méandres océaniques de son existence, avait resurgi. Pour Sibelius, cela avait été un des challenges les plus éprouvants de toute sa vie. On ne travaille pas sur la Chine comme sur le Luxembourg et il avait fallu toute son intelligence et une ténacité d’ours polaire pour y arriver. Il pouvait s’en vanter n’en déplaise à ceux qui prétendent que l’humilité vaut mieux qu’orgueil et préjugés.

Il avait été chanceux aussi l’année dernière à Marienbad quand il put mettre la main sur le vague à l’âme de Zorba Lemec, l’Albanais le plus redouté du quartier sud (voir le n° 61, Du Rif Hifi pour Mafiosi). Le gangster venait de s’emparer des ferrets de Madame Lafiore, la maitresse du Président mais cela ne l’avait pas rendu plus gai pour autant. Recherché par toutes les polices de la planète, il était tout simplement désespéré de désespoir et avait engagé le moine pour récupérer son punch dissipé, depuis le temps, dans les braquages, les chantages, les agressions, les assassinats, la violence, les extorsions de fonds, les enlèvements, ce qui, vous l’aurez deviné j’espère, ne mène guère à la satisfaction du reste cependant. Aussi, Sibelius s’était-il mis en quatre pour repêcher au plus profond de lui-même les valeurs énergétiques de ce Parrain que tous craignaient comme la syphilis sur le bas clergé au moyen-âge et à la renaissance. Le redoutable et redouté Albanais avait retrouvé la pèche et la frite (à l’huile, pas à la graisse de bœuf, c’est trop gras) : il bondissait de joie à la plus grande frustration de tout le monde mais pas de Sibelius qui une fois encore avait rempli son contrat.

Ce n’était pas de la petite bière, même belge, cette nouvelle enquête. Il s’agissait ni plus ni moins ici de préserver la tête dans les étoiles d’une violoniste archi célèbre qui jouait de son stradivarius comme certains au tiercé. Il connaissait la fille pour lui avoir sorti les vers du nez. C’était en 86, il lui restait quelques séquelles à l’os, surtout le gauche. Il y a avait des siècles mais elle n’avait pas changé. Sa mission, s’il l’acceptait sans qu’elle s’autodétruise pour autant dans les cinq secondes : se maintenir en équilibre sur le fil du rasoir sans la perdre yeux ! S’il avait appris une chose, une seule dans sa longue vie, c’est qu’on ne prend pas les mouches avec du vinaigre surtout en jouant à la pelote basque. Car la reine Mathilde (l’ancienne, pas la nouvelle) sa laine et sa tapisserie, sans blague, c’était de la rigolade. Pénélope Joli Cœur aussi. Thésée dans le labyrinthe avec son fil d’Ariane, ou de qui que ce soit, il en ricanait dans ses moustaches qu’ils n’avaient pas. L’invention du fil à couper le beurre, ça, on ne la lui faisait pas non plus ! Le moine Sibelius faisait fissa de l’histoire et de ses dessous futiles et mal ficelés. Il rajusta les cordons de sa chasuble et de ses bourses qu’il emmenait partout, bien garnies (y avait eu de la marche depuis le père d’Assise) et au nombre de 6 au cas où. Il saisit sa carabine d’un bras autoritaire et franchit le dernier mètre qui le séparait de la plage d’Ostende : oui, c’était parti mon kiki et rira bien qui rira le premier !

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13 commentaires:

  1. Les gros vilains qui en veulent à la tête de cette violoniste n'ont qu'a bien se tenir... ne dit-on pas “Défie-toi du boeuf par devant, de la mule par derrière, et du moine de tous les côtés” ?

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  2. On reconnait les connaisseurs ! Merci Vegas.

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  3. C'est du petit lait cet épisode des tribulations de ton héros récurrent. La seule chose qui me gerce la coloquinte, c'est qu'ayant piqué au truc, il va me falloir me taper les 62 épisodes précédents, et comme dirait l'autre: « On n'est pas couchés ! » La MGM ne t'a pas encore acheté les droits ? Ça m'étonne !
    Ça se laisse lire, c'est enlevé et frais comme la cuisse d'un évêque défroqué.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  4. Merci Célestine : je me suis pourléchée les babines de ton commentaire qui défrise le poil de l'évêque ! Les 62 premiers épisodes sont malheureusement épuisés. Aucune chance de se les procurer... Tu peux dégeler ta coloquinte.

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  5. Et ma réponse qui n'est point passée et où j'y disais qu'il fallait réchauffer la coloquinte tout de suite car les 62 épisodes précédents sont épuisés chez les éditeurs. Pas de bol ! Spielberg vient de téléphoner : tout n'est pas perdu...

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    1. Oui, certains commentaires disparaissent sur blogger, c'est pénible. J'ai le même problème sur mon blog...
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  6. J'ai toujours eu du mal avec l'hilarant absurde, la compétition de bons mots, l'anti poésie, etc; cela a du mal à me dérider mais je suis allé jusqu'au bout de cette lecture !... :) Cela part tellement dans tous les sens que je ne trouve pas le fil conducteur. Ce genre d'aventure est plus jubilatoire à écrire qu'à lire, je trouve, mais c'est personnel.

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    1. Oui Pascal, l'écriture a de multiples raisons : pour soi et/ou pour l'autre, pour se perdre et/ou pour perdre. Merci tout de même de l'effort.

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  7. et toutça pour un salon dans la pénombre !

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  8. et toutça pour un salon dans la pénombre !

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  9. A n'en pas douter, l'homme savait bien que les kangourous n'ont pas d'arêtes.

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