lundi 21 mars 2016

Pivoine - Titres de romans

A ne plus pouvoir te dire 
*
« Et la Reine dit »

(...) Voilà dix ans que j'interroge une bouche d'ombre qui garde le silence.
Dix ans que rien ne s'exprime du dehors.
Dix ans que tout ce qui m'arrive me vient de moi et que c'est moi qui le décide.
Dix ans d'attente. Dix ans d'horreur.
J'avais raison d'aimer l' orage.
J'avais raison d'aimer la foudre et ses effrayantes espiègleries.
La foudre vous a jeté dans ma chambre.
Et vous êtes mon destin.
Et ce destin me plaît (...) 
Jean COCTEAU, L' aigle à deux têtes, acte I.

**
ISABELLE ! Je la reconnaissais bien là quand elle vint m'annoncer qu' « Il » serait présent à ce vernissage où, sur ses plus vives instances, je m'étais décidée à l'accompagner. Il, il, il, ce pronom représente celui dont elle me parle depuis un mois ou deux... Quelqu'un de fascinant paraît-il.
Mon extraordinaire amie, avec sa chevelure roux foncé et les feux qui l'allument tout d'un coup, la parant, l'auréolant de lueurs bleues, vertes, rouges, orange, ses vibrances et ses emportements, bref, mon contraire absolu.
Mon amie toujours partante, toujours en quête d'émotions fortes, toujours prête à s'enflammer, et puis, cela retombe comme un soufflé, à moins que la grande passion ne la fasse décoller, jusqu'à quand ?
Mais comment est-ce possible d'être encore si juvénile à nos âges vénérables ?
Comme une affamée perpétuelle...

Mais ne suis-je pas de mauvaise foi ? Il n'y a pas si longtemps que je me suis aussi laissée emporter par la vague. Ou était-ce naguère ? J'ai si mollement résisté, jaugeant mal ma faiblesse, - ou trop confiante dans ma capacité à résister à la passion, si celle-ci venait à nouveau se présenter dans ma vie - pour mieux tomber, et même consentir à, à... Non, je ne veux plus y penser. Me rappeler.
Je ne sais pas s'il faut vivre cela une fois dans sa vie. On le dit. Ou non. Pour moi, cela s'est trop mal terminé.
Après l'orage – ou ce qui ressemble plutôt à une éruption volcanique, j'ai repris ma vie calme d'avant, d'avant -comment vais-je l'appeler, lui ? Il me faut trouver un nom de personnage qui rappelle son origine quelque peu « exotique »... Enfin, à moitié. A moitié Juif d'origine russe, à moitié slave.  Je lui cherche toujours un nom, qui empêche de le reconnaître. Voyons, pourquoi pas Stanislas, justement ?
J'ai pensé aussi à la chanson de Marie Laforêt, "Anton, Ivan, Boris et moi", d'ailleurs, les chemins de mirabelles, cela me fait un peu penser à notre histoire. Sauf que nous cueillions les mirabelles de minuit à midi. Des sentiers nocturnes où sa voiture s'enfonçait, où nous nous perdions à plaisir, où faire l'amour à perdre haleine, des fois si inconfortablement ! Jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à traîner, des jours durant un corps perclus de courbatures. 

Donc, Isabelle avait rencontré quelqu'un d'extraordinaire, me disait-elle, il l'attirait tout aussi extraordinairement, mais elle n'osait pas trop le lui faire comprendre, il revenait de NYC, ce qui me paraissait terriblement conventionnel. A l'heure où tout le monde y file, comme, jadis, les pèlerins du Moyen Age, à Chartres ou à Saint-Martin de Tours.  Il avait vécu un an, deux ans là-bas, je ne sais pas trop, elle restait toujours assez mystérieuse quand elle me parlait de lui, mais elle voulait qu'un jour je le rencontre, pourquoi ?
Avait-elle besoin de mon aval pour non pas convoler, mais, draguer ? Après tout, disons les choses assez platement, pourquoi prendre des gants ? Ici, je parle pour moi-même, personne ne me lira d'autre que moi - il n'y plus guère de monde à la maison, depuis le départ des enfants.
Cela faisait donc des semaines qu'elle m'entretenait de son mystérieux graphiste ou photographe (je ne sais pas très bien ce qu'il faisait, un peu touche-à-tout peut-être – il avait même été jusqu'à s'adonner au graff urbain), mais elle était sûre de son talent et de sa réussite, j'entendais le mot "génie" à travers ses discours dithyrambiques. Elle voulait le pousser en avant, l'emmener partout, lui faire redécouvrir la capitale -redécouvrir ? Bref, elle avait fini par me convaincre de l'accompagner dans un happening mondain où je verrais enfin sa merveille.
De temps en temps, j'essayais de la faire revenir à la réalité.
"Et lui, que pense-t-il de tout cela? Est-ce qu'il s'intéresse vraiment à toi?" La question me semblait essentielle car, cette fois, son flou me paraissait vraiment très artistique. Bien qu'elle m'assurât que leur amitié progressait continûment.
"En vérité", finit-elle par avouer, "je ne sais pas trop... Il est seul, il me l'a confié, par choix ou par fatalité, et cela semble incompréhensible, pour le premier venu. Ou alors, il a une vie cachée". Tout était possible. J'étais intriguée, mais pas trop. Isabelle était tellement coutumière de ces emballements qu'elle négligeait même de s'assurer de leur réciprocité.
Cela se muait, le plus souvent, en amitié profonde. C'étaient souvent des artistes, peintres, sculpteurs ou photographes. Toutefois, j'avais l'impression, que cette fois, elle était vraiment dans l'indécision. Voilà pourquoi elle voulait mon avis, m'assurait-elle. Confiante dans ma sagacité (qui n'est qu'apparente, si elle savait !) et dans mon sens de la mesure, elle pensait que je lui dirais assez vite s'il y avait des chances que son phénix s'intéresse à elle autrement qu'en mécène ou relation mondaine. 

Voilà pourquoi, sur le coup de dix-neuf heures, je me trouvais dans une salle noire de monde, aussi noire que moi d'ailleurs. En effet, pourquoi me serais-je mise en couleurs alors que je me sentais un peu mal à l'aise, je dois bien l'avouer, de renouer avec un univers dont je m'étais tenue volontairement éloignée. Il me rappelait par trop Celui (il me faut bien mettre une majuscule), que j'avais aimé follement, inconsidérément, avant l'effondrement final de notre liaison et son éloignement, qui nous avait semblé à tous deux si définitif.
Bien plus tard, peu avant le départ des enfants, et -d'une certaine manière- avec leur bénédiction, comme de guerre lasse, j'avais fini par renouer avec Pierre, mon vieil ami, qui inspirait tellement la sécurité et qui était depuis si longtemps imbriqué dans mon existence.  Et qui m'aimait.
Au point de vouloir se marier avec moi, qui n'avais aucune envie de m'engager aussi profondément avec qui que ce soit. Je veux mon ami Pierre.
Ou plutôt, mon ami Pierre me veut, et moi je ne le veux pas. Une histoire vieille comme le monde.
Pierre nous accompagnait, ce soir-là. Je me demandais, si, à force, je ne finirais pas, une bonne fois pour toutes, par agréer  sa demande. Je méditais, une coupe de champagne à la main (ou de ce qui en tenait lieu), les extras passaient, les bras chargés de plateaux sur lesquels il fallait faire semblant de ne pas se ruer, les salles étaient tellement noires de monde que l'on n'apercevait rien des oeuvres exposées.
Et comme tout le monde, je dirais, tout à l'heure "il faudra revenir après le vernissage" et comme souvent, en pareil cas, je n'en ferais sans doute rien.
Je vis enfin Isabelle se faufiler entre plusieurs groupes pour tâcher de parvenir jusqu'à moi. Son verre oscillait dangereusement dans une main, et de l'autre, elle me faisait signe. Ses sequins verts reflétaient les mille feux de l'endroit et l'on se retournait sur son passage. C'est vrai qu'elle était belle. Nous formions un curieux contraste, moi, la grande blonde en noir, toujours un peu endeuillée, sur qui personne ne se retourne (et tel était mon vœu), elle, la grande rousse qui s'habille en vert parce qu'on associe presque toujours toutes les nuances du vert aux rousses flamboyantes.
Enfin parvenue près de moi, nous trinquâmes.
Et elle dit enfin, avec tant de joie dans sa voix : "il est là. Je vais enfin pouvoir te le présenter".
"Là-bas, dans l'autre pièce. On va devoir tout retraverser... C'est OK pour toi ?"
"C'est OK" soupirai-je.

Et nous entreprîmes le périlleux voyage à travers la foule. Je souriais à quelques personnes de connaissance et suivait ma clinquante amie. Enfin, elle se retourna légèrement et me désigna un groupe lointain dont je ne perçus tout d'abord que des dos. Des dos en noir, bien sûr, ce qui ne m'aidait pas à distinguer qui que ce soit. Je plissai légèrement les yeux. C'est alors qu'au-dessus d'un dos, qui trahissait une personne de haute stature, je vis ces cheveux blond-blanc-chaud bouclés, un peu trop longs, des cheveux qui me rappelaient quelqu'un, la forme d'une tête que je connaissais, que je ne pouvais manquer de reconnaître. Non, ce n'était pas possible. Il était loin. Ne m'avait-il pas dit qu'il partait pour cinq ans au moins ? Ce ne pouvait être lui. Quelque chose se creusa violemment en moi, la panique me fit inspirer et expirer sauvagement, et je cherchai de l’œil un plateau de champagne dont je pourrais vider quelques verres, afin de me calmer. Mais nous progressions et Isabelle, se tournant de nouveau vers moi, murmura -pour ne pas être entendue-
"regarde, les cheveux blond-blanc brillants et emmêlés, là-bas, un peu trop longs, bien sûr, mais ça lui est égal, c'est lui..."
Fatalité grecque. 

Je le vis, je rougis je pâlis à sa vue
un trouble s'éleva dans mon âme éperdue,
je reconnus Vénus et ses feux redoutables
d'un sang qu'elle poursuit tourments impitoyables. 

C'est toujours dans ces moments-là qu'un souvenir scolaire me revient, un vers, un poème, quelques strophes, parfois déformées par le temps... Adolescente, Phèdre m'a tellement impressionnée.
Si l'ami d'Isabelle ressemblait si fort à Lui, sans être lui, qui était-ce ?  L'inéluctabilité des choses qui sont en marche, qui seront, me poussait en avant, maintenant, alors qu'elle filait devant moi, me laissant un peu en arrière et follement désireuse de rebrousser chemin.
Elle traçait son sillage jusqu'à un dos, l'effleurait, l'appelait, lui parlait à l'oreille, et il se tournait alors, et de loin, je le voyais, et c'était lui, l'ami d'Isabelle, l'homme dont elle m'entretenait depuis des semaines, c'était Alexis, ou Stanislas, ou Anton Ivan Boris et moi, l'amant d'avec qui je m'étais séparée.
Dans une autre vie.
Sans fracas, mais sans retour. Et il ne me voyait pas encore. J'avançais tout en me cachant. J'avançais d'un pas, et mentalement, je reculais de deux. Pourtant, un moment, deux groupes de personnes s'écartèrent devant moi, et... Arrêt sur image. Ils sont tournés vers moi, Isabelle est gaie, bavarde, mais lui a suspendu son geste. Je continue d'avancer, comme dans un rêve, et comme dans un rêve, je me dis que la scène va changer, se muer en un autre tableau démesuré, puis disparaître, pour me laisser sur la rive du réveil, essoufflée et rassurée. Non. Ce n'est pas un rêve, pour une fois, c'est la réalité. Il m'a vue et je l'ai vu, nous nous regardons, et le bouleversement s'empare de moi. Il faut juste que cela ne se voie pas. Qu'Isabelle ne devine pas. Pas encore.
Elle sait que j'ai aimé quelqu'un, que cela n'a pas "marché", mais je suis toujours restée dans le vague. Et ce fut dur parfois, de ne pas me confier.
Pendant ce temps, chacun de mes gestes, le mouvement des jambes, des bras, la progression, ma robe noire, mes hauts talons, mes cheveux blonds, c'est comme si je voyais tout d'en haut, comme si je regardais un film, comme si la pièce devenait un désert autour de moi d'où tout vacarme refluerait. Et je suis devant lui. Aussi creuse qu'un entonnoir où tout se serait englouti.
Tourbillonnante et vague, déjà sur le flanc du volcan.
Je suis là, maintenant, près d'eux. Il ne dit rien, me fixe. Isabelle, seule, parle, s'exclame, inconsciente de notre sidération mutuelle. J'entends pourtant ses phrases gaies, la présentation, et je tends la main, et il la prend et là, je le retrouve, au lieu de serrer ma main, il l'élève légèrement jusqu'à lui, se penche, et l'effleure d'un baisemain. D'un autre âge. Il s'attarde. Il conserve ma main dans la sienne, j'ai l'impression d'être vermillonne, mais je n'ai aucune envie de lui retirer mes doigts, maintenant qu'il est là, non, vraiment, je ne puis plus m'enfuir. Tout d'un coup, je perçois qu'Isabelle reste interdite, muette à son tour.
Et enfin, il parle, il se tourne vers mon amie, et souriant, déclare:

"Merci Isabelle. Christine et moi, nous nous connaissons depuis longtemps..."
***

7 commentaires:

  1. ah, mais ça ne va pas du tout ça ! j'ai trop envie de lire la suite du livre à présent, afin de savoir ce qui va se passer dans ce trio amoureux :)
    j'ai toujours aimé m'évader de ma réalité professionnelle dans ce type de littérature romanesque

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  2. J'aime beaucoup cette réflexion "aussi creuse qu'un entonnoir où tout se serait englouti" . Je ressens cette sensation.

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  3. Merci Tisseuse, j'ai un peu perdu le fil, avec les événements d'aujourd'hui...

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  4. Un Jules et Jim inversé...un début de roman prometteur !
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  5. Un texte très visuel qui tient en haleine.

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  6. Merci... Vous me donnez des idées 😊

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  7. Arpenteur d'étoiles24 mars 2016 à 10:59

    j'aime les liens entre la poésie et la prose et l'aventure de ce trio qui n'est qu'à son début ... la suite, quand tu veux ! :o)

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