jeudi 17 mars 2016

AOC - Animal

J’étais jeune à l’époque,  mais j’avais déjà pas mal roulé ma bosse et de cette race là je ne connaissais que les invectives et les coups. Aussi, quand je l’ai vu pour la première fois, j’ai déguerpi aussi vite que possible.
C’était la fin du grand froid, j’avais faim et je zonais derrière un congénère que je connaissais bien pour son habileté à chiper de quoi se caler le ventre. Le seul hic c’est qu’il était costaud et pas commode. Et pas partageur du tout. C’est quand il s’est mis en mode hargneux que l’autre est sorti en courant avec sa grosse voix et tout l’attirail de la colère. On n’a pas demandé notre reste, on avait l’habitude ; mais l’autre s’est vite calmé. Moi je voulais récupérer le peu que mon pote avait laissé sur place, alors j’y suis retourné. L’autre est ressorti.
Voix douce, main tendue, du genre « Mais t’es qui toi ? – T’as faim ? – Viens ! – T’es beau ! – Allez, viens ! … etc. etc. » Je me suis mis la pitance sous la dent, j’ai raflé le biscuit qui volait et je me suis barré en courant. Pendant une semaine, j’y suis retourné en coup de vent pour nettoyer une gamelle pleine, je commençais à y prendre goût mais j’attendais toujours que la porte se referme. Avec eux fallait toujours être prudent. Un jour, la gamelle est restée vide et la porte fermée. Ça a duré ce qu’entre nous on appelle les beaux jours : ici, pendant trois nuits et deux jours c’est le désert, c’est notre territoire, notre zone de confort, notre ring et notre paradis. Le troisième jour, on reprend nos habitudes : raser les murs et se planquer dès qu’on a envie de faire une pause. Ce troisième jour-là fut le premier d’une autre aventure…
Il est sorti avec ce que j’attendais et l’a posé par terre… mais il est resté… Moi aussi. Je suis même rentré derrière lui.
Elle est arrivée plus tard. Il m’a présenté. Elle a dit un truc du genre « HEU…..!!! » Puis elle a soulevé ma frange et elle a suggéré « un bon bain, doublé d’une mise au propre, et on verra mais il a l’air gentil » J’y ai laissé mon manteau et toutes mes copines les puces, mon odeur et toute ma dignité. Ça ne m’a pas beaucoup plu mais elle aussi elle avait l’air gentil…
Je suis arrivé chez eux et là j’ai trouvé un truc poilu aussi mais tout petit, feulant, qui s’est planqué vite fait. On a fait connaissance de loin tout l’après-midi. Je sentais bien que ce n’était pas gagné mais on y est arrivés quand même, fallait juste que je lui laisse prendre l’initiative… En fin de journée, ça s’est passablement compliqué.
Elle est partie. Pas longtemps. Mais quand elle est revenue, c’est avec deux tornades. Comme j’avais l’habitude du mauvais temps  j’ai laissé courir, ventre à terre mode couché, je ne pensais pas que ça marcherait mais ils sont devenus doux comme le zéphyr.  
On s’est tous apprivoisés, ils m’en ont fait des vertes et des pas mûres du style voiture pendant des heures, laisse en ville (ah ça c’était pas mon truc), voilier pendant des jours (purée apprendre le pied de mât, c’est pas simple ça !)… Mais moi aussi j’y ai mis du mien ! Vagabond dans l’âme, je leur en ai fait faire des kilomètres pour venir me récupérer ! Mais on s’aimait alors ça compte pas. J’ai passé pas mal de temps avec eux, j’ai consolé quelques chagrins, ceux des grands qui redeviennent petits et ceux des petits qui deviennent grands. Celui qui m’a fait le plus bizarre, c’est celui que je n’ai pas pu consoler. Moi j’étais vieux, elle ne m’appelait plus Pirate depuis quelques temps mais Plume et je trouvais que ça m’allait bien aussi. Elle posait souvent une de ses mains sur mon ventre et l’autre sous mon cou. Ce jour-là j’ai senti sa peine alors je l’ai regardée, elle avait les yeux mouillés genre barrage.

6 commentaires:

  1. Pfff ça a fait remonter de sacrées émotions encore bien fraîches... Sauf le mat tout y est ^^

    RépondreSupprimer
  2. Voilà un chien qui a su d'emblée se faire adopter.
    La fin de ton texte, très délicate, m'a émue.

    RépondreSupprimer
  3. "j’ai consolé quelques chagrins, ceux des grands qui redeviennent petits et ceux des petits qui deviennent grands" J'ai beaucoup aimé ce passage.

    RépondreSupprimer
  4. Un texte tout en humour et sensibilité... La fin est tellement émouvante !
    avec le sourire

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".