jeudi 31 mars 2016

Célestine - Oeuf

BÉBÉ !
VIENS VOIR
LE PETIT COCO
TOUT CHAUD QUE
LA POULE A PONDU
DANS SON NID DOUILLET
POUR CHAUFFER TON CŒUR
MIAM LE PETIT COCO TOUT BON
TOUT BON LE PETIT COCO MIAM
MIAM TOUT LE BON PETIT COCO
LE PETIT TOUT BON COCO MIAM
BON MIAM LE TOUT PETIT COCO
TOUT BON PETIT COCO MIAM
MIAM PETIT COCO T’ES BON
BON MIAM PETIT COCO
QUE LA POULE POND
DANS SON NID
POUR MOI

Où lire Célestine

mercredi 30 mars 2016

Clémence - Oeuf

Un panier d’œufs ...

Je vais y aller de mon petit Caliméro car je sèche royalement sur le sujet en paressant au soleil.
Que pourrais-je encore trouver d'original en dehors de recettes, de souvenirs ou de blagues ?
Une légende, peut-être à moins que cela ne soit une tradition...

Je me souviens de mon amie suédoise, Ulla, qui me parlait avec beaucoup d'humour de son séjour à Paris. Outre un nombre incalculable d'anecdotes hilares, elle me dit son étonnement quant à l'amorce immuable des conversations...
- Chez nous, en Suède, me confia-t-elle, on ne parle à son voisin que si on a quelque chose d'important à lui dire.
- Euh….
- Chez vous, après vous êtes salués, vous parlez du temps qu'il fait, qu'il a fait ou qu'il fera...
- Euh…. Oui. Mais où est le problème ?

Le problème, c'est que c'est la météo qui est un problème.
Les pires affres lors de la préparation d'un événement consistent en une seule et unique question, lancinante comme une rage de dent:
- Est-ce qu'il fera beau ???
- Mais oui ! On portera des œufs à Sainte-Claire.
- Mais on la trouve où, cette Sainte-Claire ?

Croyance ou superstition, d'où vient cette légende?
De la mer. Oui, de la mer. De la Méditerranée.

Des marins, partis du golfe de Gênes furent pris dans une tempête terrible au large de Pise. De crainte de périr, ils firent la promesse d'un pèlerinage à Assise si Sainte-Claire, protectrice de la ville, les sauvait…

A croire que leur vœu fut exaucé, car au fil du temps, les populations ont prit l'habitude d'implorer Sainte-Claire pour avoir un temps clair. La demande était accompagnée d'une offrande : un panier rempli d'œufs.
Des œufs, car autrefois, les Clarisses ne mangeaient pas de viande.

Croyance ou superstition….

Chri - Oeuf

Les œufs de Madame Alma

On dirait qu’on serait en guerre… J’avais passé l’après-midi à jouer aux petits soldats avec Cristiano, le fils des voisins, dans le jardin, sur le tas de sable laissé par Monsieur Basilio, son père, lors du chantier de la nouvelle véranda qu’il venait de construire en deux mois pleins avec mon grand–père, même qu’ils étaient bien fiers de leur travail ces deux là… Regardez les comme ils haussent le col disaient ma grand mère et Alma la femme de Monsieur Basilio qui était arrivée avec lui du fin fond du Portugal vers la fin des années soixante après s’être arrachés de leurs terres du Nord et pour fuir la dictature qui sévissait dans leur pays et parce qu’ils n’arrivaient plus à vivre de leur travail. Alors comme des milliers d’autres mal lotis, ils avaient choisi d’atterrir dans ce coin de banlieue parisienne, le plus grand bidonville de France. Les dix premières années n’avaient pas été roses mais au fur et à mesure, ça c’était arrangé et c’était de toutes les façons toujours mieux que là-bas. Un peu comme ce qui se passait maintenant, quoi. Si eux avaient été digérés, et comment, puisqu’ils étaient devenus une source de richesses, le pays pourrait bien en digérer d’autres qu'on ne nous raconte pas d'histoires disait mon grand-père en haussant les épaules… En vrai il disait "conneries" mais ma grand-mère n'aimait pas trop ça qu'il parle mal en notre présence...

- Hey les garchons, on dirait que vous avez bâti l’Arc de Triomphe, deschendez un peu ch’est qu’oune véranda, se moquait-elle en finissant de la poser, la moquette dans la véranda… On était le vendredi du week-end de Pâques et Alma n’en finissait pas de se rire d’eux, ce qui les laissait indifférents.
- Rrrigole, rrrrigole, en attendant tou en es bien countente de ta véranda, Madame Alma. Chaque année ou presque une pièce nouvelle s’ajoutait aux anciennes, ainsi le minuscule petit pavillon de l’origine était devenu une vaste maison. Son aspect extérieur était quand même un peu bizarre, avec ses grilles en fer forgé comme dans les châteaux suisses. Il faut dire que comme paysan, comme électricien, comme maçon, comme carreleur, comme peintre, comme plombier, Basilio avait tous les talents mais comme architecte décorateur, il lui restait quand même un paquet de progrès à faire.

En parlant de ça, il m’en faut pour dimanche ne cessait de lui rappeler Alma. Il m’en faut pour dimanche. À part Basilio, personne, ni ne savait, ni ne comprenait de quoi il s’agissait.
- Tou en auras, Madame Alma, oui, aussi étrange que ça puisse paraître Monsieur Basilio appelait Madame Alma, Madame Alma. Depuis toujours, pas seulement depuis leur arrivée en France.
- Tou en auras, t’inquiète pas. Tou n’a pas confianche ?
- Joustement, tou vois, je me fais du souci, Monsieur Basilio. On est vendredi Saint et je n’en ai plouch oun seul. Il m’en faut absoloument pour dimanch. Tou m’entends Monsieur Basilio ?

Mon grand-père, lui, ne disait rien, il ne voulait pas se mêler de leurs affaires. Il se contentait de vider la bière qu’ils avaient ouverte, comme ça pour la boire ensemble, pour fêter la fin du chantier, oun chtite brrriikol, et ne rien se dire. Juste être ensemble.

Et puis, d’un coup, Basilio a disparu. On ne l’a plus vu. Personne n’est allé voir dans la rue vers son camion, celui qui lui servait tous les jours. Dans le garage carrelé de blanc, la Mercédes, ancienne mais flambante y était bien garée. Elle n’en sortirait du reste qu’à la fin de Juillet, pour le retour au pays. On était tous sortis sur le trottoir quand on l’a entendu arriver du bout de la rue, il s’est garé comme il montait les murs, vite mais un peu de travers, il a coupé le moteur, un diesel hors d’âge qui fumait comme une centrale fatiguée et il en est sorti, un sourire comme une plage d’Algarve accroché au visage. Il tenait dans une seule main trois poules noires encore vivantes attachées par les pattes. Il s’est approché d’Alma qui le regardait faire les mains sur les hanches et, sans trop de précaution, il lui a balancé les trois poules aux pieds. Elle les a regardées un long, long, long, moment, sans se baisser pour les prendre, puis elle s’est tournée vers lui :

- Ma, ce n’est pas d’oune poule dont j’ai besoin c’est d’œufs qu’elle a dit fâchée, Madame Alma.

Et alors, a fait Basilio, si tou as une poule tou auras les œufs non ? Et si tou as trèch poules tou auras plouss d’œufs, non ?
Et en se tournant vers mon grand-père et nous qui assistions à la scène en nous retenant d’éclater de rire, en fonçant droit vers le frigo du garage où étaient entassées les Sagres, en levant les yeux au ciel pour le prendre à témoin, en en ajoutant comme au théâtre, il a crié :

- Ma, les femmes, les femmes pourquoi que vous z'êtes jamais countentes ?

Jacou - Oeuf

Shifumi

Sur le pré, les cocottes caquetaient,
Poules de papier,
Ne connaissaient pas le poulailler.
Un coq vint à passer,
Faisant d'elles peu de cas.
Aussitôt, lui emboitèrent le pas.
Nom d'un pliage!
Il allait voir, monsieur beau plumage,
On allait, sans ambages,
Lui montrer de quoi on était capables.
Soudain, s'adressant à elles, l'air aimable,
Notre gallinacé, de faire connaissance, propose.
La plus hardie prend la pose,
La timide devient toute rose,
La troisième bafouille "Rien ne s'y oppose".
Présentations furent faites.
Un mâle en chair et en os, des femelles abstraites.
Drôle de rencontre.
Parfois le destin, curieux, se montre.
C'est alors qu'un soupir de haute-contre,
Bouleversa nos poules.
Leur cœur fut déchiré,
En mille morceaux, éparpillés.
Un garçonnet les rassembla,
De colère, le coq, chassa,
Ses cocottes pleura.
Les papiers chiffonnés,
Par les larmes, mouillés,
Devinrent pâte délavée.
Il n'y eut plus qu'à la malaxer,
De beaux oeufs modeler.
Trois, identiques, posés là, sur le pré.

Où lire Jacou

mardi 29 mars 2016

Abagendo - Oeuf

Les œufs d’Ernest

Cette histoire d’œuf et ma qualité de bilingue espagnol /français m’empêchent totalement d’aborder ce sujet d’une façon normale. J’en ai des angoisses et des sueurs froides. Vais-je être taxée de grossier personnage sur un site si bien fréquenté ? On pourrait m’accuser d’avoir l’esprit mal placé…Par ailleurs, malgré mon sens de la décence, j’ai du mal à réprimer une sacrée envie de rire.

Et non, vraiment, je ne peux pas envisager d’écrire ce texte sur les œufs sérieusement. Une partie de mon cerveau est trop imprégnée d’espagnol pour rester impassible en entendant ce dialogue, sur un marché, entre un vendeur et sa cliente :
- Vous avez des œufs, Ernest ?
- Oui, ils sont très gros et bien frais, vous pouvez vous servir.

Je me demande vraiment ce que la bienséance recommande.
Comprenne qui pourra !

Vegas sur sarthe - Oeuf

Pâques aux tisons

J'ai fait revenir tout spécialement de Bacon de fines tranches de lard salé à feu doux dans une poêle dont j'ai vainement cherché l'accent circonflexe depuis la récente réforme de l'orthographe.
J'ai fini par le trouver pêle-mêle dans un placard, du coup j'en ai trois!
Comme un gros naze j'avais voulu commander mon lard sur Amazon.uk, persuadé que Bacon se situait en Grande-Bretagne, comme si le jambon d'York venait des Etats-Unis ou la salade romaine d'Italie !
Finalement j'en ai trouvé chez Ducoin, le petit arabe Ducoin en bas de mon immeuble qu'on appelle tous Oussama parce que ça fait plus épicier.
Ne me demandez pas comment il a trouvé du lard salé celui-là – il y a des sujets comme les circuits courts qu'on n'ose pas aborder avec son épicier – toujours est-il qu'il m'en a proposé sous le manteau... enfin, sous le boubou.
Il m'a aussi appris que Bacon était une localité du sud de la Côte d'Ivoire.
Comme je lui demandais où il avait pu lire cette connerie, il m'a répondu: “J'y suis peut-être ivoirien mais j'y m'appelle Konan en fait mais on dit Le Barbare dans mon village” , comme quoi on a tôt fait de se fourvoyer sur les origines de son épicier.
Et quand il a ajouté que son grand-père était entré en résistance aux côtés de De Gaulle en 40, je me suis dit que je n'allais plus pouvoir le regarder comme on regarde son épicier en bas d'un immeuble.
Du coup on s'est embrassés – enfin, surtout lui – et il m'a offert le bacon qui revient actuellement à feu doux et sans matière grasse parce que je n'en ai pas sous la main... enfin, j'ai du gras sous la main mais pas pour la cuisine.

Pendant que ça rissole je casse un à un les oeufs de chez mon épicier nouvellement ivoirien dans un des ramequins de tante Yvonne, parce que je n'ai jamais eu de bol et que les cadeaux de mariage c'est fait pour ça... pas toujours pour avoir du bol mais pour avoir de la vaisselle.
Je la revois encore nous offrant ce duo de ramequins en porcelaine décorée de petits amours ailés et joufflus – la porcelaine, pas Yvonne – qu'elle avait ramenés d'un voyage au Népal ou d'Arcopal enfin, un truc en Pal... bref, pas de quoi en faire un plat d'autant que ce jour-là Micheline et moi étions fourbus d'une nuit de noce folkloriquement éreintante et peu branchés dînette.

Pardonnez-moi si je vous passe les détails de nos acrobaties mais j'entends mon lard salé qui revient et il est grand temps que j'y verse mes oeufs avant qu'il ne reparte.
“Faire cuire 3 minutes en arrosant avec la graisse du bacon jusqu'à ce que le blanc soit pris alors que le jaune est encore liquide”!
J'ai toujours eu horreur des contraintes et encore plus des ordres – Micheline pourrait vous le dire – alors je sens que ces trois minutes vont me courir sur le haricot.
Je touille dans la poële avec un tréma – ça cuit aussi avec un tréma – et avec le dos de la cuillère, cherchant désespérément la graisse du Bacon de Côte d'ivoire que m'a donné Konan Le Barbare... ce charlatan m'aurait cédé du lard sans graisse de lard?
Soudain je revois ces petits porcs noirs courant au milieu de villages noirs dans cette Afrique noire qu'on nous impose le soir en 16/9ème et Haute Définition à trois mètres du canapé et aux caprices du zapping!
Il est vrai que ceux que j'ai vus n'étaient pas gras et d'abord le zapping, ça devrait être interdit...
Alors d'accord Konan m'en a fait cadeau mais comment je fais moi pour arroser mes oeufs?
D'habitude j'appelle Micheline à la rescousse mais ces oeufs au bacon c'est une surprise que je veux lui faire, la surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage depuis qu'on est mariés, depuis les fameux ramequins en Pal de tante Yvonne, depuis... combien d'années déjà?
Le temps passe si vite, aussi vite qu'un jaune d'oeuf pour se figer quand on ne l'arrose pas.
On devrait vendre la graisse de lard en tube, comme le dentifrice ou le ketchup: une pression et hop, le tour est joué. Y a un truc à trouver avec ça.
Tant pis, je sale et je poivre copieusement, Micheline aime bien quand c'est salé et poivré.

Pour des œufs miroir, mettre un couvercle sur la poêle en fin de cuisson”.
Pas envie de faire des oeufs miroir, avec mon manque de bol je serais fichu de casser les oeufs miroir et ça... ça doit surement porter malheur.
De toute manière et si je peux user d'une métaphore la seule fois où j'ai essayé d'ajuster un couvercle sur une poêle c'est quand j'ai rencontré Micheline et c'était pas pour son goût du rangement.
Je regarde ma surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage et je me dis qu'une fois par an c'est encore de trop quand on pense à tout ce gâchis: une poule et un cochon pour un tel résultat.

Cramponné au plateau repas, je pousse sans bruit la porte de la chambre; inutile car ça ronfle sec, ça vrombit, ça rugit, ça mugit, comment dire ?
Micheline fait partie de la catégorie des Ronfleurs Inspiratoires Dominants, c'est du soixante décibels au bas mot et du trois cent Hertz au plus aigu !
Je pose ma création au bord du lit pour retirer mon pyjama et repousse la couette histoire de réveiller ma locomotive.
Un rugissement me répond; ma Micheline ouvre un phare.
Je lui glisserais bien un “T'as d'bio oeufs, tu sais” mais depuis le temps que je la pratique, je sais qu'il faut y aller doucement quand son chant frise les trois cent Hertz.
Mais voilà quarante jours que je fais carême – Micheline a des principes indéboulonnables – et je me sens d'attaque à célébrer la Pâque, avant ou après les oeufs au bacon ou peut-être les deux à la fois.
Il faut dire que chez nous, Carême c'est jeûne et abstinence pendant plus d'un mois. J'ai eu beau tenter d'expliquer à Micheline que l'abstinence d'absorption d'aliments carnés ne s'appliquait pas à certaines parties du corps humain, elle a fait mine de ne pas comprendre.
Raconter ça à mon épicier arabo-sénégalais qui fornique à tout va reviendrait à le faire mourir de rire... et je me sens tellement ridicule à poil devant mes oeufs.
Micheline remonte prestement la couette en jetant un oeil vide sur mon plateau repas:
“Oeuf au bacon, Pâques aux tisons” bougonne t-elle en grelottant.

Il me reste à me rhabiller en songeant qu'il faudra que je révise mes dictons. 

Pivoine - Oeuf

Dans sa cuisine

Elle réfléchissait devant sa demi-douzaine d'oeufs.

Faire une omelette mousseuse et baveuse, comme au Mont-Saint-Michel, d'accord, mais comment ?

Elle rêva un instant au Mont-Saint-Michel.  Au mois de mai 1971. A des souvenirs imprécis, une auberge, sur la route du Mont, une digue, du monde, une poterne, une rue montante, des auberges, des magasins de souvenirs, l'Abbaye, au sommet, la visite obligée. Et à la descente, côté jardins, côté mer, côté ailleurs, côté du Temps. Là, cela sentait l'algue et le goémon, le vent normand, la chevalerie, les oriflammes, les cloches des moines, le réfectoire, le silence, la lectio divina, les enluminures, les combats, les pertes, les victoires, l'histoire.

De l'autre côté du Mont, il y avait l'omelette de la mère Poulard.

« Avec quoi fait-on une omelette de la mère Poulard? » Avaient-ils demandé à la restauratrice…
« Eh bien... » - Sans doute ne fallait-il pas dévoiler un secret…
« Avec des oeufs » fut la réponse.

Il fallut bien s'en contenter.

Et dans l'âtre rougeoyant, une omelette dorait sur le pourtour, environnée de bulles de beurre grésillant, fonte noire, jaune pâle, mains usées de l'aubergiste, bonnet de toile, tablier bleu, vêtements sombre, sourire un peu absent, tant d'années à casser des coquilles. Et des tables, chargées de gourmands et de gourmandises. Brueghel en France.

Elle en était là de ses réminiscences, puis elle revint au présent. Elle avait eu beau battre les jaunes et les blancs ensemble au mixeur, après quelque temps, la température retombait, la mousse aussi, et cela ressemblait à une omelette de tous les jours, la banale omelette des soupers de fin de mois.

Alors elle sépara les blancs des jaunes, mixa le blanc en neige avec une pincée de sel – comme pour ses gâteaux. Puis y adjoignit les jaunes – ils étaient exceptionnellement jaunes, d'une riche nuance d'or orangé exceptionnellement dense tourna délicatement dans le mélange, fit fondre le beurre dans la poêle, y glissa le mélange et fit cuire le tout jusqu'à obtenir une belle croûte dorée sous l'omelette, une zone intermédiaire suffisamment cuite et une mousse légère qui ne la trahirait pas en arrivant dans les assiettes des convives.

C'était juste dommage qu'on se trouvât dans une cuisine de ville,
et pas dans la salle d'une auberge du Mont Saint Michel...

Célestine - Oeufs

La novice

 Elle s’assoit sur la couche recouverte de grossière toile jaune écru. Elle fait tomber lentement son voile. Pureté de neige. Silence monacal. Sa chevelure se déroule en volutes blondes sur ses épaules. Est-ce son regard brouillé qui la fait partir soudain dans des rêves flous ? Il semble que des pensées aventureuses s’insinuent sous sa blouse. Elle sent éclore un étrange désir : revoir le beau capitaine au long cours qu’elle a aperçu sur le quai aujourd’hui. Pas une omelette, ah, certes non, un mâle, un vrai, un dur, un tatoué. Aux muscles luisants comme la coque de son navire, qui n’est pas non plus une coquille de noix à fond plat, mais une fière caravelle, le fameux « trois mâts fin comme un oiseau » de la ritournelle.

Ses mains glissent doucement sur ses mollets, remontent le long de ses cuisses. Au fond de son nid couve en elle comme un feu sous la cendre. Elle transpire.

Mais elle ne cèdera pas à la tentation et se rhabille à la hâte. A peine aura-t-elle, peut-être, les yeux un peu vagues quand elle fera tremper sa mouillette dans son œuf, tout à l’heure, au réfectoire.

lundi 28 mars 2016

Marité - Œuf

Les réveillés.

Jeanne aime cette coutume ancienne, venue du fond des âges où se mêlent étroitement sacré et profane. Pour rien au monde elle ne voudrait manquer ce moment si singulier des réveillés.
Depuis qu'un couple de jeunes, qu'elle trouvait un peu fous au début a fait ressurgir depuis une vingtaine d'années cette tradition de Pâques, elle attend le soir du vendredi saint avec impatience.

Cette pratique, qu'elle avait connue dans sa jeunesse vient de renaître pour son grand plaisir. Et elle les aime, ces jeunes gens qui viennent la voir souvent pour lui faire raconter son passé, l'entendre chanter des vieux airs qu'elle n'a pas oubliés et qu'elle leur transmet fièrement.
Pour un peu, si ses doigts déformés par l'arthrose le lui permettaient, elle reprendrait bien sa quenouille pour leur montrer comment filer la laine. Mais tu n'y penses pas Jeanne, la laine pour filer, il n'y en a plus depuis longtemps.

Elle a préparé une corbeille d'œufs qu'elle a soigneusement mis de côté toute la semaine pour les donner aux visiteurs de cette nuit très particulière. Le feu crépite dans l'âtre. Elle a mis une grosse bûche qui tiendra bien une partie de la soirée. Malgré ses 90 ans, elle ne sent pas la fatigue. L'excitation la tiendra éveillée. Et puis, elle pourra dormir tout son saoul demain.
Le vin chaud, parfumé à la cannelle, qu'elle a préparé tantôt, est posé au coin de la cuisinière à bois pour ne pas refroidir. Il embaume toute la cuisine et monte un peu à la tête de Jeanne.

                                         Reveliaz vous, amis                     Réveillez vous, amis
                                         Aura es l'oura.                               C'est l'heure.
                                         Vesez la mort que ronla,               Voyez la mort qui rôde
                                         Que ronla eitour de  vous.            Qui rôde autour de vous.
                                          Ela fai couma l'oumbra,               Elle fait comme l'ombre
                                          Ela vous seg pertout.                    Elle vous suit partout.

Ils sont là. Juste derrière sa porte. Jeanne ne bouge pas. Elle écoute cette plainte étrange et lente qui célèbre la mort du Christ. Ce chant syncopé, psalmodié dans la nuit l'émeut profondément. Elle essuie les larmes qui coulent sur ses joues et se redresse.
Bien vite, un autre air succède au premier, beaucoup moins lugubre, plus vif. Les violons et l'accordéon l'accompagnent.

                                           Dounaz nous quauques uòus          Donnez nous quelques œufs
                                                   Ma bouna femna                             Ma bonne femme.
                                            Fasez lous nous passar                   Faites les nous passer
                                                    Per la fenestra.                       Par la fenêtre.
                                            Se de fenestra n'i a,                         S'il n'y a pas de fenêtre,
                                                     Drubez la porta.                              Ouvrez la porte.
                                             E se de porta n'i a,                           Et s'il n'y a pas de porte
                                                      La chatounieira.                              La chatière.

Jeanne ouvre grand sa porte et une dizaine de personnes entre dans sa cuisine. Tout le monde trouve une petite place. Les musiciens jouent et chantent des airs que Jeanne leur a appris tout en dégustant le vin chaud. La brave femme est rouge de plaisir et les embrasse tous. Ils ne s'attardent pas. D'autres villages et d'autres foyers les attendent. La nuit sera longue pour les joyeux lurons et luronnes. Une jolie demoiselle tend son panier où Jeanne dépose ses œufs et elle ajoute à son offrande une bonne bouteille de vin pour la fête du petit matin.

Jeanne peut aller se coucher. Elle va penser au temps de sa jeunesse où, elle aussi, elle faisait la quête aux œufs qui se terminait  à l'aube par une grosse omelette garnie de cèpes, de jambon fumé.
Elle est très heureuse qu'après toutes ces années perdues, des jeunes prennent la relève pour perpétuer les traditions. Elle les y aidera jusqu'au bout.

Laura Vanel-Coytte - Œuf

Je me souviens

Je me revois cherchant les œufs (cloches, lapins, poules etc.) en chocolat que mon grand-père avait semé dans le jardin (et il était grand) avant notre arrivée à la campagne le dimanche de Pâques. Après les effluves de poulet ou de rôti (cuit par ma grand-mère le matin) qui m’écœuraient tout le long du petit voyage, venait le plaisir de se dégourdir les jambes au grand air.

Je me souviens des petits œufs durs et de toutes les couleurs, remplis d’un liquide très sucré que nous achetions chez l’épicière qui a fermé depuis longtemps.
Avec eux, me reviennent en mémoire les « petits jésus » aux couleurs pastel et les nounours dont l’intérieur collait aux dents.

Je me rappelle la grande frayeur que nous avons eue lorsque nous nous sommes aperçus que notre petit pinscher avait avalé tous les œufs en chocolat que je cachais sous mon lit. Lorsque nous l’avons emmené chez le vétérinaire, il nous a dit qu’il aurait pu en mourir.
A la peur, s’est ajoutée la honte d’avoir désobéi à ma mère en mangeant du chocolat.

Je revois la moitié de coquille d’œuf du petit poussin noir, Calimero qui disait toujours : « C’est trop injuste » et c’est bien vrai… souvent.
Je me souviens des œufs pondus par nos canaris et autres oiseaux en cage, des œufs qui éclosaient rarement de bébés.
Il y a aussi les gros œufs d’autruches et ceux de dinosaure qui nous ramènent à un passé un peu effrayant.
Enfin, il y a les œufs que l’on mange. Je les aime à la coque mais cuits assez longtemps. Un peu de sel et l’on trempe une mouillette de pain dans le jaune qui déborde un peu. Le plaisir de terminer le blanc à la petite cuillère.

L’omelette pas trop baveuse mais jamais sèche. Des pommes de terre, des champignons frais, des épinards… et même de la purée.

Les œufs au plat de mon mari avec une tranche de lard ou les œufs brouillés des repas en solitaire avec un peu de gruyère qui se transforme en rubans de plaisir.
Les œufs que je mange parfois le matin, quand je suis en voyage, à l’hôtel. Chez moi, je n’ai pas envie de salé le matin.
Les tortillas d’Espagne.

Pascal - Œuf

L’œuf de Christophe Colomb 
 
J’étais dans le prestigieux couloir de l’Etat-major. Avec la moquette épaisse, la tapisserie un tantinet rococo et le silence feutré, cela ressemblait au cinéma l’Alhambra de ma petite ville. C’était presque aussi plein que l’infirmerie quand on revenait d’une journée de bord de mer. ‘Tain, les gars, ils s’étaient tous fait gauler endormis pendant leurs quarts de chambrée ou quoi ?... Même si l’union fait la force, je n’en menais pas large ; ce n’était pas l’heure de la mutinerie…

On ressemblait tous à des petits pioupious pris sur le fait d’envol de bêtises, sans pardon possible, à cause de trop de duvet et de pas assez de plumes... Un par un, on nous appelait devant le bureau du capitaine de frégate. Sur sa porte, en lettres d’or, c’était écrit : Commandant Darwin, comme l’éminent naturaliste.
De chaque côté de cette entrée, il y avait des bancs d’attente mais je n’arrivais pas à m’asseoir. Ici, c’était un autre monde, bien plus lointain que l’escale la plus dépaysante. Au sol, courait un tapis rouge s’égayant vers des portes sculptées de grand talent, sans doutes exécutées par des chevronnés charpentiers de marine.
Sur les murs, il y avait des immenses fresques de batailles navales, des têtes d’amiraux vainqueurs et notre pavillon tricolore battait partout des victoires d’horizon d’un autre temps. Des vaisseaux peints, les alignements de canons semblaient me tirer dessus… Etait-ce prémonitoire ?... Allait-on me fusiller ?... M’embastiller ?... Me renvoyer ?... Ou alors, allait-on simplement me pendre à une grande vergue, faire l’exemple de mon sommeil inexcusable, pour tenir éveillé les autres ?... 

J’étais impressionné par toute cette richesse de butin, bien loin de notre spartiate condition d’Arpète. C’est sûr, ils allaient me virer de cette Ecole ; avec tout le monde qu’on était, un de plus ou un de moins, qui verrait la différence ? Qui plus est, mes notes d’atelier n’étaient pas mirobolantes pour justifier un embryon de mansuétude de la part des hautes sphères derrière les portes de ce couloir. Ou alors, j’étais bon pour la prison. Ce bâtiment, aussi austère qu’imposant, nous attendait à l’entrée de notre Ecole. Les murs étaient si épais, entre l’intérieur et l’extérieur, qu’on avait déjà changé d’idée quand on regardait vers le dehors ou vers le dedans…

Abandon de poste, en temps de paix, cela valait bien la cour martiale et la peine de mort. Les barcasses devant l’Ecole servaient peut-être à nous emmener pour nous noyer dans les passes. Avec une gueuse attachée entre les pieds, un pater à la va-vite, une petite bousculade et hop ! Le tour était joué ! Tout à coup, j’ai compris le sens du mot buller…
En y repensant, je ne connaissais pas un arpète qui s’était fait surprendre pendant sa garde dans les dortoirs ! C’était un signe ! Ils avaient tous disparu corps et âme ! S’ils n’avaient pas refermé la porte du couloir, je crois qu’à cet instant de mes réflexions, je me serais enfui… De chaque côté des portes, il y avait des immenses cendriers fabriqués dans des douilles vides d’énormes canons ; je n’aurais pas aimé être en face des boulets qu’elles avaient envoyés. Je pouvais me voir dans leur reflet parfaitement briqué ; j’aurais pu me cacher dedans tellement elles étaient imposantes ou tellement j’étais maigrelet…
Derrière la porte, j’entendais gueuler ; le pauvre futur condamné passait un sale quart d’heure sous la vindicte aiguisée du cinq panaché. Tous ceux qui ressortaient de son bureau tiraient des gueules de six pieds de long, c’était un autre signe… Certains pleuraient sur leur avenir sabordé, d’autres regardaient le paysage des tableaux pour se raccrocher à quelque chose de tangible. Moi, j’avalais ma glotte. J’avais mis ma tenue de sortie repassée, aux petits soins, par ma mère. En tout cas, ce n’est pas sur mes vêtements qu’il allait me réprimander, le commandant des forces alliées…

« Apprenti Dupont ?... » C’est moi qu’on appelle ?... 
« Apprenti Dupont ?!... »
« Présent !... »

Je me suis avancé… Peut-être qu’ils allaient m’envoyer à Cayenne, à la rame ?... Ils allaient me torturer, me tatouer sur l’épaule le matricule de mes méfaits !... Au pain sec et à l’eau !... On y était déjà… La porte était ouverte, je suis entré…

Occupé à une tâche nébuleuse, il était là, le commandant des Punitions ; je ne sais pas s’il s’est rendu compte que j’étais planté devant lui. A la proue de son bureau porte-avions, il y avait un imposant fauteuil rembourré avec une tapisserie de grande valeur. Heureusement qu’il ne m’a pas proposé de m’asseoir, je n’aurais pas su où poser mes fesses entre tous ces motifs de Diane chasseresse, souriante, avec ses flèches aiguisées… Derrière lui, des grands drapeaux tricolores à la pointe effilée en or vantaient notre Ecole. L’*EAMF, l’Ecole des Apprentis Messieurs du Futur…
Même les rideaux étaient au garde-à-vous ! Quand un rayon de soleil pénétrait dans le bureau, il était rectiligne et il n’osait pas éclairer les bibelots ! Même la poussière avait quelque chose de solennel et la fumée de sa clope, amarrée au cendrier creusé dans une vertèbre de baleine, ne se hasardait pas à imaginer la moindre arabesque récréative...

Sur son bureau, c’était plein de choses extraordinaires. J’ai reconnu un coupe-papier taillé dans un os de Moby Dick, les deux presse-livres étaient des réas de la Belle Poule, l’abat-jour de sa lampe était en cuir de pirate et on voyait une carte au trésor entre les points cardinaux des omoplates, son stylo à plume de cormoran était plus gros qu’un barreau d’échelle de vigie, son sous-main était en peau de sirène et il le caressait souvent avec des gestes de connaisseur… Sur une étagère, façon poupées gigognes, s’alignaient des reproductions de mégalithes de l’Ile de Pâques. Malgré leurs sourcils froncés de statue, j’espérais un peu de mansuétude de leur part. Sur un mur, deux sabres d’abordage combattaient en interminable duel tandis qu’une grande maquette de bateau mouillait à l’ancre invisible… Là, dans une vitrine éclairée ! Le sextant du capitaine Haddock ! Le chadburn du San Pablo ! Un hublot du Nautilus ! La longue vue d’Edward Teach ! Un bout d’iceberg du Titanic pas encore tout à fait fondu ! L’œuf de Christophe Colomb ! Une demi-rame du Radeau de la Méduse ! Une mèche de cheveux d’Eric Tabarly ! Un pot de poudre de safran ! Un maillon rouillé de la chaîne d’ancre du Bounty ! Un collier de fleurs séchées de Tananarive !... Ce n’était pas de ma faute si j’avais une imagination d’Arpète !...

Lui, tranquillement, il mangeait un sandwich au jambon d’orque fumé et les miettes de l’arbre à pain tombaient sur sa cravate noire, tels des confettis d’antipodes… Il paraît qu’il les faisait venir à ses frais, tant ses multiples campagnes lointaines l’avaient rendu dépendant aux produits exotiques. A côté de moi, sur une table basse, des hippocampes à opercules multicolores s’ébattaient dans un aquarium de grand luxe. (Eau conditionnée, bulles multi-spires, varech comestible et rochers amphibies) Ce sont les plus rares ; (pas les aquariums, les hippocampes), issus du large des Galápagos, normalement, ils ne supportent pas le voyage mais avec le nom illustre imprimé sur la porte, je n’étais pas inquiet pour ces deux bestioles d’un autre monde. Derrière lui, une hure de murène empaillée semblait m’observer sans nulle concession apaisante… 

Il avait les yeux étranges, ce cinq panaché ; celui de droite était vert et celui de gauche était rouge et je me disais qu’il avait trop lu le code de la navigation maritime…  Comment allait-il me voir ? En rouge ou en vert ?... Quelle allait être sa sentence de régulateur des Méfaits, dans cette Ecole ? Le pilori ?... Les fers ?... Les corvées ?...  Allais-je être privé de dessert à la cantine même si on n’en avait jamais ? Ou privé de sortie, de télé, d’hébertisme, ou pire : rendu à ma famille ?... J’angoissais, j’avais mal aux chaussures tant je restais droit…

Dans un tableau, on voyait des personnages âgés, peut-être ses ancêtres. La mention racontait que la dame avait été bigoudène et marchande de bigorneaux avant d’opter pour la vente de bigoudis à deux vitesses à Cancale ; le monsieur avait été maraudeur, puis mareyeur avant de devenir maître artilleur sur le Redoutable. Tout dans cette pièce exaltait la réussite sociale et n’en était-il pas l’intrépide fleuron ?...

Il parlait breton sans accent ; il m’a fait un laïus digne d’un discours de quatorze juillet, un soir de Trafalgar. Il avait le visage buriné, le capitaine de frégate. C’est comme s’il avait assisté à toutes les tempêtes des Océans en tant que figure de proue de ses bateaux… 
Sur sa chemise était placardées des décorations qui en disaient long sur sa carrière de grand marin. N’en connaissant aucune, je supputais sur celle du Prince de l’Algue, du roi des Hauts Fonds, du chevalier de la Bernique, du parrain des Grands Bancs, du ministre des Abysses, de grand chambellan de Poséidon, de détenteur des palmes de l’APV (Académie des Poissons Volants), etc. Sur ses manches, on voyait même ses sardines alignées en rang d’or et d’argent…

Il lisait mon livret militaire et examinait mes notes d’atelier. En moins de temps qu’il n’en faut à un matelot pour compter une coudée, ou à un choufe pour chiquer une mousse (boire une bière), il en avait fait le résumé. Il était dubitatif, le bourreau des Arpètes ; en une seconde, il pouvait briser ma carrière de marin dans l’œuf… Avec cette coquille d’endormissement, il allait me renvoyer dans ma famille et c’en serait fini des futurs embruns de la mer, des rires et des copains, de nos chansons de marins et de mes ampoules dans les mains… Il avait un léger strabisme et le rouge et le vert se mélangeaient quand il me regardait. Peut-être qu’il me voyait outremer ou indigo ou bien même céruléen…

« Allez, déconne pas, commandant ! Ne me fais pas fusiller !... Je me suis endormi au milieu de mes collègues qui dormaient, et alors ?!... T’imagines ? J’avais, comme seule cadence, les ronflements épais des autres Arpètes, pour rester éveillé dans le noir !... T’imagines, un instant, ce supplice de Tantale ? Les étoiles de ma lucarne, c’était des jeux de piste qui m’emportaient inéluctablement jusque dans ma bannette ! Il ne t’a jamais pris des envies de sommeil qui te débordent tellement que ce n’est même plus toi qui commandes à ta carcasse ?!... Tu nous fais lever à six heures, avec tes orchestres de clairons tonitruants, on s’active toute la journée comme des forcenés, entre les limes et les étaux, et le soir, on révise nos leçons jusqu’à plus d’heure ! Hé, monsieur le super galonné de toutes les Mers et de tous les Océans, je n’ai que seize ans à l’horloge de mon temps de Vie !...

Allez, déconne pas Darwin, moi aussi, à ma façon, je fais partie de l’Evolution de l’espèce. Tu vas m’empêcher des escales extraordinaires, des levers de soleil sur la mer, ceux qui coupent le souffle, ceux qu’on se rappelle quand plus rien ne retient, et des vahinés affolantes avec leurs fleurs hospitalières comme seuls vêtements ! Tu vas me renvoyer dans mes foyers sans un espoir, sans futur à colorier ! La Drôme, c’est beau que si on a bourlingué toute sa vie, avant !...

Mais non, tu ne peux pas me faire ça ! J’ai des potes de dortoir, aujourd’hui, c’est à la vie à la mort ! On partage nos clopes, nos plateaux, nos colis, nos rêves !... Moi, je n’ai jamais de colis mais j’ai toujours plein de rêves !... Maman, enfin… ma mère sait plier tout mon sac au carré ! Tu ne vas pas la décevoir, quand même ! Mais ta punition de grand maître d’internat, c’est de la bagatelle, en comparaison de ce qui m’attend à la maison, si mon père me laisse rentrer !... Allez, déconne pas, monsieur l’officier supérieur du Destin des Arpètes ! Même au Lycée Technique, ils ne me veulent pas pour fabriquer leurs putains de godasses !...

Tu sais, dans la lucarne de cette fameuse nuit, j’ai reconnu ma bonne étoile ! Dans son élan de météore, elle m’a prédit un avenir de conquistador ! J’ai vu toutes mes futures escales dans les crépitements de ses paillettes d’or !...
Tu verras ! Je serai un bon mécano ! Je serai toujours le premier à la relève de quart ! Jamais je ne fermerai un œil devant les manos des **pignates ! Tu seras fier de ta confiance que tu auras misée sur moi ! Même seul, je ramènerai ma chaufferie à bon port ! Je porterai la légende de cette Ecole, même à soixante ans, avec des souvenirs de mots, comme tes placards de décorations : tout en couleur ! Oui, promis juré, je vais m’appliquer, avec ma bâtarde, je serai l’empereur des traits croisés ! Arcole, Iéna, Wagram, Austerlitz, je serai le Napoléon des côtes, du trusquin et de la sanguine !... »

Tout ça, décemment, je ne pouvais pas lui dire mais je crois que c’est ce qu’il lisait dans mes yeux, pendant son interrogation muette. A sa traduction Bleu de France, il avait déjà ses conclusions. Il me punit de six jours de prison en encre sympathique qui s’effacerait au sortir de cette Ecole. Mes parents ne sauraient jamais rien de cette faute de fatigue.
Moi aussi, j’aurais droit aux tempêtes et j’allais naviguer sur toutes les mers, de Shanghai à Papeete sur un escorteur ou sur une goélette, en portant haut notre pavillon… notre pavillon des Arpètes…

*EAMF : Ecole des Apprentis Mécaniciens de la Flotte à Saint-Mandrier
 **pignates : chaudières

Semaine du 28 mars au 3 avril 2016 - Œuf

Pâques c'est la renaissance, l'éclosion du printemps, alors en vers ou en prose, en omelette ou in-vitro, en fossile ou en caviar, qu'il ait fait la poule ou bien le contraire... parlez-nous de votre œuf – singulier ou pluriel – mais avant dimanche 3 avril à minuit et à l'adresse habituelle impromptuslitteraires[at]gmail.com

et surtout, bonne chasse aux œufs :)

dimanche 27 mars 2016

Gene M - Titres de romans

Une aube au coin des doutes

Les yeux grand ouverts dans le noir, je réfléchissais... Et si je m'étais trompée et s'il avait dit la vérité ?
Tous ces souvenirs refoulés depuis si longtemps s'imposaient à moi.

La nuit s'effaça devant l'aube. La pluie tambourinait doucement sur les carreaux, le ciel était d'un gris sombre. La journée s'annonçait maussade.

C'était ma première affaire aux Assises. J'étais à la fois excitée et terrifiée.
Il s'agissait d'un crime sordide : un jeune homme avait poignardé sa tante pour la voler. On l'avait découvert sur lieux du crime. Malgré cela il s'obstinait à nier.
Connu des services de police, il avait à peu près tout raté dans sa jeune vie.
Il maintenait que sa tante lui avait demandé de venir ce soir là, chose bien improbable car la vieille dame ne voulait plus entendre parler de lui...

Piégé, répétait-il, j'ai été piégé...

Et si malgré tout son histoire était vraie.
Pourquoi n'ai je pas davantage creusé à l'époque. Mais il était si peu fiable. 
Son histoire rocambolesque de complot n'aurait aucun crédit devant un jury. Je voulus le dissuader de plaider l'innocence. Il s'entêta et ne voulut rien entendre.
Je fis au mieux et malgré ma fougue et de bons arguments- du moins le croyais-je - il fut condamné à mort. Nous étions en 1980. 
Blême il articula avec difficulté : " je ne suis pas coupable ".
Je tentai de le rassurer,, je lui dis :
" Je vais vous sortir de là "
Entre lui et l'ignoble machine, il n'y avait plus que la cassation et la grâce présidentielle.( rappelons qu'à cette époque l'appel n'existait pas pour les crimes).

Je n'avais aucune illusion quant à la grâce présidentielle, Giscard s'était fait le pourvoyeur du bourreau à plusieurs reprises.

 L'arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981 lui avait épargné la guillotine mais peu de temps après on le retrouva pendu dans sa cellule. Bien sûr son suicide fut interprété comme un aveu.

Aujourd'hui je n'en étais plus certaine. Le doute s'insinuait en moi. Je me souvins que j'avais été frappée par l'accent de vérité de ses dénégations. Mais j'étais encore si jeune  à l'époque et l'on m'avait mise en garde contre tous ceux qui, en prison, se prétendaient innocents.

Ma décision était prise : je devais relire le dossier , avec une nouvelle approche. Tant de temps avait passé, j'avais vieilli et je n'avais plus autant de certitudes. J'étudierai le dossier avec des yeux neufs. Je lui devais bien ça.

samedi 26 mars 2016

AOC - Titres de romans

Les catastrophes sereines

XII

Ce soir-là, elle comprit que ce serait leur dernière défaite.
Une tierce s’était invitée un peu trop bruyamment dans le duo.

Elle se leva, quitta les chœurs dissonants de cette énième et pitoyable tentative d’en tirer la moindre harmonie. Elle déposa sereinement l’alliance sur le petit mot qui avait jailli quand le chagrin s’était envolé sur l’oblique des sentiments. Quelques mots simples mais si difficiles à saisir qu’ils s’étaient longtemps cachés dans ce qui restait des plis soyeux de la camisole de farce qu’était devenu leur couple : « À ne plus pouvoir te dire que je ne pourrai jamais combler les vides qui te font souffrir au point qu’il t’est plus facile de m’y précipiter, je te souhaite une belle suite avant de m’y perdre. J’ai la certitude que tu te sentiras plus libre que tu ne l’es déjà si je laisse ici ton nom. Dans ma main, il risquerait de te laisser enchaîné à la douceur des souvenirs qui ne manqueront pas de venir nous visiter. »

Dehors, la nuit veloutait son outremer. La nuit s’était partagée entre une pluie d’abord incertaine et un orage sourd, puissant mais salvateur, laissant place à un calme assourdissant dans lequel s’épanouissait gentiment la nouvelle aube. Pour la première fois depuis longtemps, elle ne se levait pas frappée au coin des doutes.

vendredi 25 mars 2016

Jobougon - Titres de romans

La pluie, incertaine, déposait ses perles d'eau aux cils effrangés du bouleau, laissant pleurer goutte à goutte les chatons soyeux suspendus aux feuilles dentelées. C'était le début du jour, l’œil collé à la vitre de la cuisine, j'écoutais le refrain de la cafetière qui entonnait vigoureusement ses râles glougloutants, et plongé dans l'oblique des sentiments, mon esprit divaguait de raideurs d'oublis en songes flexibles du souvenir, à ne plus pouvoir te dire combien d'heures à parcourir, de catastrophes sereines cet amour traversera encore pour voir le chant des abeilles retourner les ruches en jachère. C'était une aube au coin des doutes, une de ces aurores sauvage où vient ruer l'imaginaire, renversant d'une cabrade la camisole de farce du passé. Le café était prêt, j'ai versé le breuvage aromatique dans la jolie tasse en porcelaine chinoise décorée d'ombres bleu nuit, comme les nuages d'un soir, allongés sur fond d'azur, et j'en ai dégusté toute la saveur en fermant les yeux. Lorsque je les ai rouverts, j'avais ton nom dans ma main, et ma main contenait toute la douceur de vivre, la pluie pouvait être incertaine, j'avais la certitude d'une chose. L'apparence n'est crue que pour celui qui ne vient pas à la rencontre. Alors, j'ai repensé à l'étrange aventure du nain Sielbermann, une histoire vraie qui avait bercé mon enfance, puisqu'il était mon voisin et me la racontait souvent, et je l'ai réécrite.

L'étrange aventure du nain Sielbermann

Sielbermann avait grandi dans une famille aimante, raison pour laquelle il avait refusé de grandir, ne souhaitant pas quitter le nid. Ses parents tentèrent mille stratégies pour tenter de l'en dissuader, rien n'y fit. Le temps passait, et malgré sa petite taille, Sielbermann était capable de très grandes choses, comme grimper au sommet d'un arbre pour aller décrocher le chat quand il se prenait pour un oiseau, ou encore fabriquer des cabanes dans les bois pour que les marcheurs perdus puissent se reposer. De temps en temps, quand l'envie le prenait, il allait à l'école du village équipé d'un cartable et de cahiers à carreaux seyes, détail qui prend toute son importance quand on sait qu'il écrivait gros. Le jeudi était son jour préféré, un professeur de la ville venait donner des cours de poésie, pour laquelle il se prit de passion.

Il remplissait des pages et des pages de rimes, cherchant cet ajustement parfait, comme une clef qui ouvrirait sur l'espace intérieur, tout en lançant des ponts vers les autres. Ses camarades de classe se moquaient de sa petite taille, le chahutant parfois, jusqu'au jour où l'un d'eux pour le taquiner lui prit un de ses cahiers et l'ouvrit. Croyant y trouver les cours de mathématique du jour, il fut bien surpris de lire des vers, des poèmes, des notes en tout genre.
Comme il les trouvait jolis, il demanda à Sielbermann qui pouvait bien écrire tout ça, bien qu'il ait reconnu l'écriture, il pensait que le nain avait peut-être recopié des bribes dans un livre. Sa réponse le surprit un peu :
- C'est moi, et ce n'est pas moi, lui dit-il. C'est moi qui ressens ce quelque chose qui me pousse à écrire, et ensuite c'est comme si ma plume elle-même se chargeait de l'écrire seule. Parfois elle s'absente, alors je n'écris plus rien. Parfois mon esprit s'embrouille, ou flotte, ou encore, est sous l'emprise d'émotions envahissantes, alors j'attends que des deux côtés tout le monde soit prêt, et quand je sens que c'est là, je m'assois à mon bureau et je laisse la plume gratter le papier et suivre mes idées. J'ai presque envie de dire que ce sont plusieurs « moi » qui m'habitent, des « moi » dans tous leurs états, dans tous leurs états d'émois. Lorsque la plume épouse leurs contours, j'en perçois mieux leur nature.
- Par exemple, lorsque j'ai voulu savoir pourquoi j'aimais autant les coquelicots, je me suis assis devant l'un de ses représentants et j'ai pensé à ce qui me faisait tant plaisir à le regarder. J'ai observé la finesse des pétales, les nuances de couleur, la force de vie qui s'en dégage.
Et je lui ai dit :

Le temps dissémine tes graines,
Puisque le talus tu entraînes,
Dans l'escalade de ta couleur,
C'est un vrai tapis de bonheur,
Qui jaillit en plein moi de mai,
De ton rouge rare de densité.
Aussi fragiles soient tes pétales,
Ils ont cette force colossale,
De teinter la bordure des champs,
Du pourpre qui colore mes traits,
Pour peu que l'émoi l'y transporte.
Si parfois la gène l'emporte,
La joie oserait s'y frotter,
La liesse dit oui tranquillement.

A la suite de cet épisode, Sielbermann décida que ses poèmes seraient disséminés comme des graines de coquelicot. Il rentra donc chez lui, annonça son départ à ses parents, qui, heureux de le voir prendre son envol, l'encouragèrent dans sa démarche.
Le premier éditeur qui le reçut à la capitale fut très enthousiaste, il organisa des interviews puis l'invita à rencontrer d'autres auteurs, à participer à des salons, des festivals. Tout ceci était fort agréable, il voyageait, passait des soirées dans les milieux en vogue, jusqu'au jour où il se rendit compte qu'il n'avait plus rien écrit depuis bientôt deux ans. Toute cette vie en société, toute cette agitation, ne lui permettaient plus de prendre le temps de goûter, de sentir, de réfléchir, et il se rendit compte que le calme d'un environnement paisible et affectueux lui manquait.

Lorsqu'il annonça à son éditeur sa décision de rentrer chez lui, ce dernier ne le prit tout d'abord pas très au sérieux. Le chiffre des ventes allait en souffrir. Puis, quand il comprit que le choix était irrévocable, il tenta toutes les manœuvres possibles pour l'en dissuader, mais sans succès. Le nain avait compris que toute l'agitation superficielle de la popularité ne remplacerait jamais la tranquille lenteur des instants simples, solitaires ou partagés, entouré de l'affection des personnes aimées. Aller à la rencontre demande du temps, et lui, il en voulait, il en avait, et ne s'en privait plus.

Depuis, sa poésie continue à fleurir les rayons de ventes à succès, il avait recouvert son talus de coquelicots, et pouvait regarder fleurir le tapis rouge sans plus aucune gène, pour lui, c'était ça, le bonheur. Il aimait prendre son temps, sans tapage, sans éparpillement. Et le bien être qu'il en retirait le confortait dans son choix.

Il n'est nullement nécessaire de vivre dans la promiscuité pour qu'une réelle amitié se construise. Juste dans des partages authentiques, échanger la chaleur humaine, savoir que l'absence n'est pas vide, cela suffit à éclairer les cœurs.

Où lire Jobougon

Marité - Titres de romans

Un soir, allongés.

L'aveu.

Elle ne lui dira pas tout de suite. Elle attendra un soir. Un soir, allongés dans leur lit, ce sera plus facile. D'ailleurs, elle lui parlera ce soir même. Il le faut. Remettre à demain ne servirait à rien qu'à exacerber la colère de son mari.  Lucile plie machinalement le linge propre accumulé pendant la semaine et le range tout en surveillant les devoirs des jumeaux. Mais elle n'a vraiment pas la tête aux mathématiques et leçons de grammaire.

Elle, habituellement si attentive aux besoins  des enfants a négligé de préparer le goûter. Elle, si calme d'ordinaire s'agite tellement qu'ils la regardent, étonnés. Ce qui ne fait que l'exaspérer davantage. Et créer un climat d'énervement de part et d'autre.
Elle masse de temps en temps son épaule endolorie et s'applique à ne pas boiter. Ses cheveux, habilement arrangés sur ses tempes masquent la bosse qui lui fait mal. Ne rien montrer. Pour le moment.

Elle regarde sans cesse la pendule. L'heure avance. Damien ne va pas tarder. Préparer le repas, mettre la table. Et surtout dompter sa fébrilité. Damien n'est pas un monstre tout de même. Il va hurler, c'est sûr. Mais il l'aime et tout s'arrangera. Sur l'oreiller n'est ce pas. Elle l'espère vraiment.
Et puis, éviter de penser à...Elle se refuse à prononcer son prénom. Même mentalement. Impossible cependant. Pierre. Il s'appelle Pierre. Elle l'a appris sur les papiers qu'il lui a donnés. Elle trouve que ça lui va bien. C'est doux comme ses mains quand il les a posées sur elle. Ses gestes n'étaient que caresses. Et ses yeux ! Tellement beaux. Tellement pleins de sollicitude.
Lucile est partagée entre l'angoisse et une joie qu'elle ne veut pas nommer. Allons donc. Serait-elle devenue folle ?

Voilà Damien. Elle arrive à se composer une attitude normale et la soirée s'écoule tranquillement. Les enfants sont juste un peu plus remuants que d'habitude. Damien n'y prête pas attention. Sans doute l'approche des vacances et la fatigue accumulée pendant le trimestre en sont-ils la cause. Ils iront passer le prochain week end chez ses parents en bord de mer. Toute la famille a besoin de changer d'air. Et puis cela fera l'occasion de rôder sa belle voiture toute neuve. Rien qu'à cette idée, Damien jubile. Il est tellement fier de sa nouvelle berline. Il en a si souvent rêvé.  Et son père sera content de voir qu'il réussit dans la vie.  Il interroge Lucile qui détourne prestement la tête. "Qu'en penses-tu chérie ? "

Mais plus l'heure du coucher approche, plus Lucile appréhende. Comment lui dire ? Elle a réussi à ne rien laisser paraître toute la soirée en évoquant le visage et la silhouette élancée de Pierre. Elle a honte. Mais elle n'y peut rien. Elle doit bien s'avouer qu'elle est troublée plus que de raison. Que va-t-il se passer quand ils vont se revoir ?

Damien a repris la lecture de son roman policier,  confortablement installé dans leur grand lit. Lucile ne bouge pas. Elle se love contre son mari.  Distraitement, il lui caresse les cheveux. Et touche la bosse. Il se penche et demande : "c'est quoi ? comment as-tu fait ça ?" C'est le moment de lui dire. Elle chasse encore une fois l'image de Pierre. Pourtant, c'est encore grâce à lui, comme s'il était tout près d'elle,  qu'elle parvient à lâcher : "chéri, j'ai cassé ta voiture."

jeudi 24 mars 2016

Laura Vanel-Coytte - Titres de romans

La pluie, incertaine
 
La pluie, incertaine
Séchait mes larmes brûlantes
C’était le paysage de mes habitudes,
Douces et incandescentes.
 
La pluie, incertaine
Eclaircissait  le brouillard intense
De mes pensées confuses.
C’était le  fond de mes rêves.
 
La pluie, incertaine
Tombait  toujours sur les rives
Du canal de l’Aube
Qu’animaient les lentes  péniches.
 
La pluie, incertaine
Assurait les lignes
Floues de la cathédrale.
C’étaient les Rameaux, bientôt Pâques.
 
La pluie, incertaine
S’écoulait comme des cierges
Allumées par des prières
De confessionnal, des phares.
 
La pluie, incertaine
Salissait mes nuits de luxure
Et  les « Fleurs de Mal » Baudelaire
Egayaient mes promenades.

Où lire Laura Vanel-Coytte

mercredi 23 mars 2016

L'Arpenteur d'étoiles - Titres de romans

La pluie, incertaine

EPILOGUE

- En subsistera-t-il seulement quelques traces ?
Elle se redressa du bain de soleil où elle s’était allongée. La lueur d’amusement dans son regard lancé par-dessus ses lunettes, et l’arc du sourcil gauche légèrement relevé, la dispensaient de toute question.

Il avait complété simplement, perdu encore dans ses pensées.
- Des traces … des traces de nous.

 Elle s’était assise, enroulée dans le drap de bain blanc. Le temps était aussi passé sur le corps ferme et l’ovale de son visage mais il lui avait conservé la finesse de la silhouette et la douce jeunesse d’un sourire désarmant.
- Est-ce vraiment si important ?
- J’aimerai tant que des petits morceaux de nous adhèrent encore à ces lieux lorsque nous les aurons abandonnés, parce que la vie, parce que la mort peut-être. A cette maison où nous nous sommes aimés et nous aimons toujours. A la pierre des dalles chaudes sous le soleil. A l’horizon bleu que nos fenêtres ouvertes découvrent. Aux rires de nos amis qui résonnent encore. Au ciel étoilé des nuits de juillet. A l’ombre souple de nos chats assis au pied du saule, rêvant de pays que nous ne saurons jamais. Nous ne nous sommes pas prolongés dans d’autres nous-mêmes, j’en étais incapable et sans doute t’ai-je privée de ce bonheur-là …

Elle l’interrompit :
- Mais en avais-je vraiment le désir, au fond ? Tu vois, je crois qu’il est vain de vouloir laisser une trace de notre existence petite, futile. Simples vies d’homme et de femme. Mais j’ose imaginer que ceux qui nous survivront et qui nous auront connus, nous garderont dans les replis de leur mémoire. Et cela est à mes yeux, plus important que tout. L’oubli est le vrai tombeau des hommes.

L’été qui s’était fait tant attendre n’en finissait pas de mourir dans la langueur de chaleurs torrides entrecoupées des soubresauts d’orages brefs et violents. Les premières gouttes tombèrent soudain, lourdes réponses au grondement d’un tonnerre s’approchant. Ils ramassèrent livres, coussins et serviettes et regagnèrent l’abri de l’auvent sur la terrasse. L’eau était désormais rideau rebondissant sur le sol, couchant les fleurs des bordures.

Ils étaient serrés l’un contre l’autre. Elle posa la tête sur son épaule et murmura :
- Regarde, c’est joli la pluie sur la piscine.



Où lire l'Arpenteur