mardi 26 janvier 2016

Vegas sur sarthe - Fantastique

”Vous êtes arrivé!”


 Ce matin-là j'ai senti que Germaine avait des fourmis dans les jambes, elle avait le cul salé comme on dit chez moi. C'était un dimanche matin où - levée aux aurores - elle s'affaire à pianoter sur mon GPS une de ces destinations dont elle a le secret et qui nous mène toujours à quelques maigres pierres de Roussard ou à un dolmen enseveli!
Je dis mon GPS et non pas notre GPS car une fois dans la voiture, Germaine ignore totalement ce petit bijou de technologie, éternelle cause de nos disputes du retour.
La monotonie du parcours aidant, j'avais monté le son de la radio pour m'empiffrer du solo de guitare de Glenn Frey dans 'Hotel California' quand Germaine s'est réveillée en sursaut :” C'est là!!
En fin connaisseur, j'allais lui faire remarquer que le solo arrivait un peu plus tard dans ce morceau mythique quand elle a éteint la radio en hurlant :”C'était là qu'il fallait sortir!”
C'est fou comme les gens réfractaires aux technologies modernes paniquent vite, alors qu'il y a toujours une manière de rattraper le coup... c'est ce qui fait la supériorité de l'homme sur la machine, enfin je crois.
Germaine était fort capable à cet instant d'enclencher la marche arrière - d'autant que l'autoroute était déserte en ce dimanche matinal - mais en tenant fermement à ma peau je tenais aussi fermement le levier de vitesses.
On va sortir à la suivante, ma chérie” dis-je d'un ton rassurant en jetant un coup d'oeil au GPS qui traçait une ligne étrangement rectiligne.
Pourtant une sortie semblait se dessiner au loin, nouvelle bretelle fraîchement construite dans la nuit ou obsolescence du logiciel GPS? J'allais en avoir le coeur net.

La bretelle était hors norme, étriquée et surmontée d'un panneau de bois façon Southfork qui me rappela un ranch bien connu des années 80.
J'eus à peine le temps de lire “Vegas sur sarthe: Sept lieues” tandis que la voiture incontrôlable comme un mustang fougueux s'engageait sur une mauvaise pente avant de stopper devant une guérite d'un autre âge.
Ouatson, pour vous servir” déclara un homme en nous adressant un sourire benêt.
Non, c'est moi Ouatelse, pour vous servir” dit une femme coiffée d'un balai O'Cedar façon dreadlocks.
Ces deux-là me rappelaient vaguement quelque chose.
La voiture redémarra comme les deux officiers s'empoignaient vivement dans l'étroite cahute.
De part et d'autre de la pente apparurent d'immenses panneaux publicitaires vantant les bienfaits d'un masque de beauté d'un certain Cesare Frangipani à base de frangipane et de beurre en pot.
Ce masque ornait des visages qui ne m'étaient pas étrangers puisque je reconnus tour à tour Blanche et sa petite cape rouge, Jean Kipleur et Jean Kiri, le grand vizir Kara Mustapha juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed IV et même mon oncle Hubert et sa femme polonaise Anastazia!

Non mais t'as vu ça, Germaine?” m'étonnai-je.
Je remplace toujours Chérie par Germaine quand je suis étonné.
Si Germaine voyait ça, aucun son ne sortait de sa bouche grande ouverte, ce que je n'aurais jamais imaginé après vingt ans de vie commune.
Je n'ai jamais compris pourquoi on dit 'vie commune' même lorsqu'elle est singulière; la nôtre est plutôt rocambolesque mais ce n'est pas le propos.
J'en étais là de ma réflexion quand un type en gabardine et feutre mou stoppa la voiture avec autorité et frappa à la vitre :”Inspecteur La Bavure du 36 Quai des Oeufs Frais... Z'auriez pas croisé une femme avec une freloche sur la tête? Une dénommée Valentine ou Levantine Petasse?'
Euh... connais pas, Commissaire” balbutiai-je.
“Pas Commissaire, Inspecteur. Elle a disparu le 15 novembre 2014... je sais ça fait un bail mais on n'est pas aidés au 36”
La voiture redémarra sur les chapeaux de roues alors que le GPS braillait :”Vous êtes arrivé!”

N'étant maître de rien, je m'attendais à entendre très vite une succession de “Faites demi-tour dès que possible” - accompagnés des vociférations de Germaine - mais il n'en fut rien; la voiture continua un moment jusqu'à venir se garer entre deux maigres arbres au milieu d'un jardin.
L'un portait un écriteau “Arbre de Vie” et l'autre “Arbre de la connaissance du bien et du mal”, des sortes de pommiers ou de figuiers... enfin des arbres à pépins.
Deux créatures en sortirent Caïn caha dont l'une en tenue d'eve et l'autre à poils aussi... je ne sais pas pourquoi j'ai verrouillé ma porte et fermé les yeux pour chasser ces images.
Dans ma pauvre tête défilaient des milliers de balivernes, de bagatelles et autres foutaises dont j'avais inondé la toile depuis... depuis quand déjà?
Le démon de l'écriture m'avait sournoisement habité en 2008 quand j'avais pris ma retraite, comme si je naissais une seconde fois.
Quand j'ai rouvert les yeux, Germaine n'était plus Germaine car un petit bout de femme insignifiante avait pris sa place. Je reconnus Ouatmore la nouvelle officière de police que j'avais moi-même introduite - en tout bien tout honneur - au 36 Quai des Oeufs Frais en novembre dernier.
Elle gloussait :”J'ai quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir... qui suis-je?”

Evidemment je connaissais la réponse mais je n'avais aucune envie de jouer aux devinettes, je voulais juste que cesse ce cauchemar.
Je n'avais pas remarqué sur ma gauche une sombre batisse à l'enseigne clignotante rose fluo “Hôtel de Californie et du Calvados Réunis”... et dessous cette inscription plus discrète “Centre de désintoxication pour alcooliques et drogués”.
Ainsi ce slow sur lequel j'avais frotté si souvent mon bas-ventre sur celui de mes conquêtes était inspiré d'un hôpital pour toxicos... une écoeurante odeur de marijuana envahit l'habitacle à m'en filer la nausée.
J'entendis le GPS grésiller puis supplier d'une voix lasse :”Nous avons eu notre compte de fantastique... ça suffit comme ça... vous êtes vraiment arrivé”

J'attends maintenant depuis mardi 26 janvier 10 heures; j'ai entendu à la radio qu'un aigle était mort... il s'appelait Glenn Frey.
Germaine ronfle à côté de moi mais j'ai l'habitude, j'espère que quelqu'un va venir nous remettre sur la bonne route... 

13 commentaires:

  1. Eh bien, Vegas, je ne sais plus sur quel adjectif danser! Ton texte est une pépite de fantaisie délirante!

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    1. Merci Clémence, je n'ai fait que mélanger un peu d'actualité avec des personnages qui vivent sur mon blog et dont j'avais presque oublié l'existence pour certains... heureusement le thème de l'Arpenteur les a réveillés :)

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  2. J'adore, je vénère, je me prosterne : jeux de mots abracadabrants, situations plus que burlesques, références surdimensionnées (bon, moi, je m'y reconnais, c'est de mon époque !), scénario hyper vitaminé. Bref, je me suis régalée et j'en reprendrais bien un p'tit peu pour la route.

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    1. Merci Anne. Je me suis régalé à délirer sur ce thème

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  3. une nouvelle fois tu nous embarques à ta suite dans un périple délirant, pour notre plus grand bonheur :)
    j'ai bien aimé retrouver tes personnages désopilants, comme dans une compil !!!

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    1. Une compil c'est bien ça, Tisseuse. J'aurais pu rajouter des personnages mais je craignais de faire trop long :)

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  4. J'aime ce délire déglingué et toujours inspiré qui est ta marque de fabrique et, là, il y en a tout un flot - une fois encore : bravo !

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  5. Toi seul pouvais aussi fantastiquement respecter la consigne! Au passage, j'ai reconnu quelques-uns de tes personnages, pas tous, mais ça ne fait rien. Je viens d'arriver à bon port avec vous, mais je crois que Germaine à côté de toi est en train de s'éveiller. Courage!

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    1. Merci Lorraine. Je compte bien gérer Germaine... après tout c'est moi qui écris :)

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  6. Arpenteur d'étoiles28 janvier 2016 à 19:00

    un vrai régal que ce texte ... et tu sais quoi ? (ben non !) je n'avais pas lu ton histoire abracadabrantesque avant d'avoir écrit le mien ... et nous sommes sur la même longueur d'onde, sauf que je suis moins drôle que toi :o)
    c'est dingue, non ami Ouatson ...

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  7. Le fantastique ? Pff... trop facile pour toi ! T'es tombé dedans quand t'étais petit, eh ! On m'la fait pas, dis.

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