jeudi 28 janvier 2016

Tiniak - Fantastique

MISTAKEN ROUTE 806



« Quittez l'autoroute au prochain échangeur. »
J'interrompis le programme et le mis en suspens. D. me livrait à nouveau son sentiment, avec ce calme qui la caractérise, légitimant son opposition mesurée à mon dernier propos, lequel portait sur le sujet qui nous tenait autant à cœur qu'il pouvait révéler nos points de vue, souvent divergents : l'art; de la manière de l'exprimer ou de le percevoir.
Tandis que la radio diffusait un Impromptu de Gabriel Fauré, nous devisions sur la nécessité (ou pas) d'entourer l'œuvre artistique d'un propos explicitant son processus. Je le prétendais à peu près inutile, dans la plupart des cas. D. lui trouvait des vertus intrinsèques, propres à activer une compréhension de l'œuvre, la plus large possible.
« Expliquer la démarche de l'auteur, c'est rendre accessible la dimension artistique de son œuvre, disait-elle. »
Je soutenais que non. Qu'une œuvre devait parler d'elle-même ou pas. Je tentais d'étayer mon propos sur la base d'une éducation à l'art, laquelle devait intervenir en amont de la mise en présence de l'œuvre et du quidam. Quidam dont la personne, ainsi formée et sensible à l'esthétique, pouvait mobiliser l’appropriation de ses connaissances pour réagir. Ce qui n'exonérait toutefois pas l'œuvre de proposer quelque chose qui sache susciter l'émotion, support d'une libre adhésion (ou non) à son intention esthétique, voire à sa quête d’universalité. J'en étais là de l’exposé de mon hypothèse, quand D. m'interrompit :
« Tu pérores mais, n'est-ce pas là qu'il fallait sortir ? » s'étonna-t-elle, avec une inquiétude grincheuse. (D. avait horreur de se perdre...).
« Oups ! fanfaronnai-je. Ne t'inquiète pas. Nous prendrons la suivante, puis nous aviserons selon les indications du GPS. »

Ce que nous fîmes... vingt bornes plus loin.

Galère, quand même ! Bled nazes, route pourrie. Des Camions ! Des Camions ! Et encore des Camions ! et pas moyen de doubler. Avec ça que ça nous faisait louper les panneaux, et tout. Le bordel, quoi.
« - Didi, tu veux pas changer la radio, là ? J'en peux plus de leur blabla de cultureux, quoi.
- De suite, mon Loulou. Je nous remets RTL. »
Elle a tombé dessus pile poil.
« - Ah, ouiche ! C'est mieux. Merci bien, ma Didi. »
Bon, c'était pas tout ça, mais sur les panneaux, y avait toujours pas le nom du bled où qu'on devait crécher pour la nuit.
« - T'es sûr que c'est la route, dis, mon Loulou ?... qu'elle me fait.
- Ben, pas trop. Mais on est dans le bon sens, quoi, déjà... que j'ui dis.
- Pisque tu l'dis. C'est toi l'homme, hein... qu'elle me fait.
- Je veux ! »
Que j'ui dis.

Où se perdre en route

5 commentaires:

  1. Très amusante cette sortie de route au propre comme au figuré. J'admire

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  2. Il y a des sorties qu'il vaut mieux manquer si on ne veut pas s'ennuyer grave, hein Loulou ?

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  3. Disséquer Fauré au volant aussi...
    Bien vu bien fait, j'aime !

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  4. Pour être fantastique, cette sortie est fantastique, métamorphose totale garantie
    Moralité :faire attention aux sorties....

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  5. Arpenteur d'étoiles29 janvier 2016 à 22:35

    le côté très littéraire du début du texte et la suite avec un dialogue simple et "populaire" m'a beaucoup plu ... en plus passer de Fauré à Ruquier fait bien sentir que la sortie de l'autoroute a été déterminante :o))

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