samedi 30 janvier 2016

Jacques - Fantastique


MYSTERE

Régulateur de vitesse, radar anticollision, aide à la tenue de cap…sans la veille endormissement qui surveille ma tenue du volant et guette mes instants d’inattention, je crois que je dormirais comme un nouveau né repus sur cette autoroute noyée dans le brouillard, tant ma voiture se conduit presque toute seule.

Les années de bon petit soldat m’ont vu épargner plus de jours de congés que de raison, jusqu’à ce que le fragile équilibre de ma carrière de « top manager » finisse par se rompre. Lassitude devant les combats d’ego à mener, et je me suis laissé pousser dans un placard doré dans lequel je me morfonds en ruminant la vacuité de trente année de lutte.

Aussi, lorsque j’ai trouvé ce matin là, sur ma table, ce petit mot d’adieu appuyé contre la cafetière…

« Ti amo, ti voglio tanto bene, mais je pars »

J’ai erré dans l’appartement désert, inspecté son dressing quasiment vide, ouvert sans conviction les portes des chambres depuis longtemps inoccupées des enfants. Puis, j’ai juste pris le temps de remplir le formulaire ad-hoc depuis mon ordinateur portable posé sur le comptoir en granit de la cuisine pour annoncer deux semaines d’absence que personne ne remarquerait, amassé quelques affaires adaptées dans un gros sac, pris les clés de la voiture et fui vers les montagnes.

Et me voilà, roulant dans le brouillard depuis des heures, sur un réseau routier peu fréquenté en ce jour de semaine. Télépéage, distributeurs automatiques dans les aires de repos où je me contrains à faire quelques pauses, je n’interagis avec personne et ça me va.

Pas étonnant que soudain, la perplexité m’assaille. Quel est ce tunnel ? Je ne traverse jamais de tunnel sur la route du chalet…Soudain tiré de mon hypovigilance, un regard sur l’écran multifonction et sa carte confirme que j’ai raté la sortie habituelle et m’aventure dans la Terra Incognita de cette vallée alpine.

Je me souviens d'une petite route qui emprunte un col par lequel je devrais pouvoir retrouver ma vallée de destination, et je quitte l'autoroute à la sortie suivante, m'engageant dans une succession de routes qui bientôt, me font quitter le fonds de la vallée pour prendre de l'altitude. Je traverse quelques villages fantômes, déserts, silhouettes vagues dans un décor estompé. De bifurcation en bifurcation, les voies se font plus étroites, les cahots plus nombreux, la neige apparaît sur les bords, et une alarme m'indique le risque de verglas.

Bientôt, la voiture m'indique qu'elle s'est mise d'autorité en quatre roues motrices alors que les murs de neige grandissent. Tout disparaît, petit à petit, jusqu'à ce qu'une dernière épingle à cheveux me laisse sur une esplanade déserte et sans issue.

De l'autre côté du col, la route dont l'entretien dépend d'un autre département moins fortuné n'est pas déneigée. Je suis fatigué, et la perspective de redescendre dans la vallée, reprendre l'autoroute me désole. J'ai sommeil, faim, mais à cette époque, le « restaurant » du col dont l'enseigne disparaît sous le givre est abandonné. Je me laisse aller pour me reposer, mais quelque chose m'intrigue. Quelque chose dans la lumière change imperceptiblement, mais alors que la nuit ne devrait pas tarder à tomber, on croirait deviner le soleil...non, ce n'est pas ça…

La lueur croît, prend une teinte bleutée de plus en plus chaude, irréelle. Elle descend et je distingue une silhouette sombre, indécise, dans les filets de nuages que le vent du col pousse vers moi, silencieuse.

Je tends l'oreille, Si bémol Do La bémol La bémol Mi bémol ? Non, juste le bruit du grésil qui fouette les vitres au vent. La forme s'immobilise sur l'esplanade. Je me vois déjà ayant à convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé, d'ailleurs une alarme résonne, il faudrait que je m'éloigne, il faudrait que je prenne une photo sur Facebook, il faudrait…

Il suffirait que je me réveille.

Je me redresse, le bruit du klaxon sur lequel j'étais appuyé cesse.

Il n'y a pas de vaisseau spatial, je ne suis pas le nouveau David Vincent mais je me suis bien endormi sur ce col enneigé battu par le vent. Je frotte mes yeux fatigués. Le raccourci n'existe pas ce soir. La visibilité s'améliore, et je repars vers la vallée. Derrière moi, une lueur croît derrière les montagnes. La pleine lune, sans doute.

Sans doute ? 

4 commentaires:

  1. J'ai cru un instant à une rencontre du xième type et puis...quoi que...

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  2. Arpenteur d'étoiles31 janvier 2016 à 10:12

    une aventure d'un autre monde et pourtant dans le notre ... tout est dans la façon de voir les choses, plus un fond de poésie
    (et il est normal qu'un top manager ait une voiture d'un futur présent :o)) )

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  3. Bijour Monsieur Jacques... Et si la petite lueur, hein ?

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  4. Les paysages de neige, de nuit, offrent des scènes fantastiques, sans point de repère... si la lune est présente, c'est fabuleux!

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