dimanche 10 janvier 2016

Fred Mili - Patafatras

J'étais énervé, je tapais partout. La vie n'allait pas comme je voulais et cette journée corroborait ma façon de penser. 
Levé d'un mauvais pied. Plein d'alcool je ne me maîtrisais pas. J'avais quitté l'entraînement depuis quelques temps. Ce qu'on me proposait ne correspondait pas à mon idéal.  
J'étais un franc-tireur, quelqu'un qui n'obéissait plus. Quelqu'un qu'on ne contrôlait plus. 
Je m'étais rasé. J'avais abandonné la djellaba informe. 
En tapant dans l'armoire, incroyable, ma kalachnikov était tombée. Je la regardais hébété. Les camps d'entraînement, ma soumission, les prières erronées me sautèrent au visage. J'étais plein de larmes. Pourquoi avais-je fait cela ? 
J'étais français. J'avais étudié. Tout ce que je savais venait de ma terre d'accueil. Qui m'avait trompé ? 
Sans boulot, sans ambition, sans conviction j'avais été embrigadé. Je faisais ma prière cinq fois par jour tourné vers La Mecque, sur mon tapis.  Mes parents me regardaient, incrédules. 
J'étais tiraillé. 
Le Coran qu'on m'expliquait, je ne lisais pas l'Arabe, je l'acceptais pour un temps.   Interrogatif. Certes ma vie ici n'était pas l’idéale mais celle que je connus au Pakistan était pire que tout.    
La peur était mon quotidien.
La porte de mon armoire s'était effondrée. La kalash toute huilée gisait par terre. La ceinture de balles comme un serpent gisait au sol. 
J'étais ébahi. Je ne pouvais pas exécuter les ordres. Depuis deux jours je regardais ma mère sans comprendre. Que m'était-il arrivé ? Depuis tant d'années à vivre ici ma mère était la plus française des marocaines. Papa était en retraite. Il n'avait pas oublié ses origines, ouvrier chez Renault, il savourait un repos bien mérité. 
Mes sœurs étaient en faculté. 
Pourquoi j'avais mis les pieds dans cet engrenage ? 
La vengeance ? Quelle vengeance ? Ce pays m'avait tout donné. 
Mes sœurs avaient compris depuis longtemps vers quoi je tendais. Elles essayaient de me raisonner. Elles étaient fières de vivre ici, de pouvoir apprendre, de ne pas avoir contrainte de se cacher derrière un voile. Elles étaient libres. 
Latifa l'aînée n'hésitait pas à me gifler quand je disais des conneries, elle était magistrat maintenant et ses diplômes elle les avait obtenus à la sueur de son front. Les deux autres sœurs étaient à l'université Paris XIII. J'avais moi-même commencé mon cursus d'expert-comptable puis abandonné. 
J'étais devenu guetteur au coin de la tour, il me suffisait de faire savoir lorsque quelque chose d'anormal survenait. Puis j’étais monté en grade. J’avais acheté la télévision Samsung, la machine à laver puis celle à sécher le linge. Chaque été toute la famille retournait en Orient, je payais le voyage, les cadeaux…
Tout le monde profitait de ma générosité et si question il y avait j'entrais dans une fureur noire stoppant toute velléité. 
De la drogue à la Mosquée il n'y eut qu'un pas. De mes Nike à la djellaba s'en fut un autre. De mon illettrisme au Coran  ma bonne volonté m'aida. 
Je ne fumais plus, je jetais tout ce qui était inutile, j'enfilais la tenue de djihadiste. Aux questions de mes parents je répondais par les versets du Coran. 
C'est près d'Islam Abab que j'appris le maniement des armes. Dans les montagnes, les explosifs étaient ma spécialité. Je semais la terreur parmi les guerriers d'Occident. Ça m'amusait. 
Mais j'appris aussi la peur. Les soldats américains me traquèrent puis les français. Ceux avec qui j'avais tout appris tentaient de m'éliminer. Il me fallait réfléchir. 
Rentré en France, je dus recruter d'autres jeunes, les envoyer apprendre le maniement des armes mais je n'avais plus la foi. Je ne croyais plus à cet idéal utopique. 
J'étais perdu. 
Le fusil tombé de l'armoire, je le regardais comme on regarde quelque chose que l'on déteste. 
Mes djellabas s'étalaient par terre aussi. 
Quel fouillis que ma vie !
Ma sœur aînée m'ordonna de partir, de quitter le domicile et de n'y jamais revenir. 
Machinalement j'errais Place de la République mais la tristesse me submergeait. Je venais de réaliser, trop tard, que ma façon de penser avait été dirigée. 
J'étais au bout. Un soldat inutile. Un mort en puissance. Sans avoir le temps de demander pardon, tout seul chez moi,  j'ai tiré sur le déclencheur de ma ceinture regardant ma kalachnikov tomber de l'armoire. 

4 commentaires:

  1. Un texte terrible, édifiant.... et pourtant, on le lit de bout en bout, tentant de comprendre un cheminement autre que le plus cartésien que l'on connaisse.
    La fin est terrible, mais, d'un tel patafatras, qu'espérer d'autre?
    Il fallait oser illustrer le thème de la semaine avec une telle approche, et relever le défi avec brio.


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En fait j'ai osé parce que c'était une semaine particulière et qu'il fallait peut-être prendre le contrepied des évènements.
      Les conditions étaient réunies, j'ai juste tergiversé à savoir si je devais le proposer ici.

      Supprimer
  2. La ceinture n'attache que son propriétaire et le délivre parfois...

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont précieux. Nous chercherons toujours à favoriser ces échanges et leur bienveillance.

Si vous n'avez pas de site personnel, ni de compte Blogger, vous pouvez tout à fait commenter en cochant l'option "Nom/URL".
Il vous faut pour cela écrire votre pseudo dans "Nom", cliquer sur "Continuer", saisir votre commentaire, puis cliquer sur "Publier".