jeudi 28 janvier 2016

Arpenteur d'étoiles - Fantastique


LA RENCONTRE DE NOS IMAGINAIRES

Depuis le début de ma vie professionnelle, j’ai dû parcourir en voiture pas loin de deux millions de kilomètres. Alors, les automatismes de conduite, les habitudes des grands axes, la connaissance profonde de la France et de quelques pays limitrophes, les conversations téléphoniques n’en finissant pas, impliquent forcément de la distraction, des rêves éveillés le regard fixé sur la route, des pensées absurdes et d’étranges évasions.
Et l’anecdote qui va suivre fut une réalité.
Tard le soir, je roulais tranquille sur une autoroute quasi déserte. J’allais rejoindre un hôtel où je descendais assez souvent. Mais, mon esprit s’envolait vers d’autres cieux délaissant les aléas du métier, et je ratais la sortie menant à mon étape habituelle. Quelques kilomètres plus loin j’empruntais la sortie suivante que je ne connaissais pas. La bretelle décrivait une parabole immense et surprenante que je suivis, imaginant qu’au prochain carrefour je pourrais rejoindre la route menant à la ville. Ce ne fut pas le cas.
La voie s’était transformée en une longue ligne droite. Le jour fit place à la nuit tombante et j’arrivais sur un plateau immense, aux horizons barrés de montagnes blanches et élevées. Le soleil inondait de lumière des prairies couvertes d’inflorescences multicolores doucement agitées par une brise tiède. Je m’arrêtais sur une sorte d’aire herbue, effaré par ce paysage incroyable, mais que bizarrement je semblais connaître.
Soudain, une ombre s’étendit au-dessus de moi. Je levais les yeux et restais sans voix. Un hippogriffe aux ailes colossales effectua une gracieuse courbe et se posa tout près. Etonnement, je ne fus même pas effrayé. Deux personnages en descendirent et m’adressèrent la parole :
- Alors l’Arpenteur que fais-tu là ?
- Je me suis perdu, répondis-je. Mais comment connaissez-vous mon nom ?
- Et bien, c’est toi qui a écrit un pan de notre histoire …
Et là, je les reconnus : Harpidesternen et sa compagne Bastheta. L’hippogriffe devait être Grandcornu.
- Pourtant je vous ai créés, imaginés … Vous ne pouvez pas exister !
- Cher Arpenteur, tu ne nous as pas créés. C’est nous qui t’avons inspiré durant ton sommeil, afin que tu racontes ce que nous avons véritablement vécu.
J’étais à la fois abasourdi et heureux de voir « en vrai » ces personnages qui m’avaient habité durant plusieurs mois et dont j’avais révélé leurs combats contre Arkham et ses créatures du diable, puis leur victoire et l’établissement de la paix et le doux mélange des espèces des terres de l’Avers.
- Nous sommes dans la vallée perdue, ici ?
- Exactement. Harpidesternen souriait.
- Mais comment pouvez-vous « être » dans notre univers humain. ? A la croisée d’improbables chemins.
- Nous savons sans doute plus de choses que les hommes. Il n’y a pas qu’un seul univers, mais une infinité de multivers parallèles. Et parfois certaines portes s’ouvrent permettant des passages fugaces. Peut-être, une autre fois, tu pourras rencontrer Yaddo et Monalisa, voire même Toumba sur le mont Muchinga … Allons, il nous faut refermer la porte, car son ouverture est éphémère. Tu as les amitiés de Gorouk et d’Hasterin. Adieu, Arpenteur, ou peut-être au revoir.
Je posais ma main sur le mufle humide de Grandcornu et tout s’évanouit. La nuit était à nouveau là. A l’est, une étoile brillait plus que les autres …
Devant moi, le péage autoroutier et ses flèches lumineuses. Je reprenais ma voiture, encore tremblant, les larmes au bord des yeux. La nuit fut longue, très longue. Le sommeil ne vint pas et je replongeais dans mes écritures passées, le cœur battant.

7 commentaires:

  1. Moi, je suis certaine que tout s'est passé comme tu le dis, Arpenteur. Tu as simplement entrouvert la porte éphémère, puis on t'a rendu à la réalité. Mais qu'est-ce qui est réel, finalement?..

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  2. Je trouve fascinante cette irruption des écritures passées

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  3. très belle histoire, que je crois profondément vraie !

    probable que ce jour là nous avions eu une longue conversation téléphonique pour échanger de choses et d'autres sur nos vies, ou sur nos écrits en cours, ou en panne....

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  4. Je dirai que j'ai eu la même inspiration que toi puisqu'il s'agit de ton thème ! Nos personnages n'ont pas fini de nous coller aux basques :)

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  5. J'aime beaucoup cette idée des barrières qui s'écroulent, de l'imaginaire qui se mêle au réel - et c'est très bien conduit, bravo !

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  6. Un recit surprenant et les pouvoirs insoupçonnés de notre cerveau!
    J'ai aimé le style quasi journalistique qui bascule doucement dans un autre registre! Merci pour cette approche assez rare!

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  7. Mohoho... "Harpidesternen", en gloumfique dans le texte :D
    Chouette fantasme d'écrivant, l'ami.

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