jeudi 17 décembre 2015

Pascal - Noël en couleurs

Père Noël


Ce fut enfin la fameuse nuit de Noël...

Depuis des jours et des jours, les guirlandes accrochées dans le salon dansaient avec mes allées et venues enjouées devant le sapin illuminé. Et mes courants d’air, ces insatiables chahuteurs, éclairaient avec nombre de pétillements révélateurs d’autres  éclaboussures bigarrées. Les lumières incessantes couraient sur les meubles et les murs à ma cadence enfiévrée…

On attendait tous le père Noël, surtout moi…

J’avais mis mes petits souliers cirés sous les branches de l’arbre, bien en évidence, entre les multiples boules décoratives. Quand je m’approchais trop près de l’une d’elles, elle déformait outrageusement mon visage en le peignant de bleu chimérique, de rouge expressif ou de vert inquisiteur !... Ma figure curieuse, étonnée, soucieuse, s’arrondissait en évaporant mes sourires conquérants et, quand je me reculais précipitamment, presque épouvantée, ma tête disparaissait dans les décors flamboyants du salon…

Un sapin, c’est gigantesque quand on est une gamine. On n’en prend jamais la mesure et c’est pour cela, qu’à travers les ans, il perdure sans perdre une épine…

Mais oui, j’avais fait ma lettre au père Noël !... Mais oui, je m’étais appliquée !... Je m’étais servie de tous mes plus beaux crayons de couleur !...Je lui avais dessiné des paysages avec le soleil dedans pour qu’il ait moins froid pendant la nuit du Réveillon !... J’avais même badigeonné ma feuille avec du vert prairie, du tendre, rien que pour donner l’envie impérieuse à ses rennes de venir se régaler sur la pelouse devant ma maison !...

J’avais astiqué toutes les chaussures de la maison, toutes !... Pour notre père Noël de ce soir, ce serait le signe évident d’une famille heureuse vivant dans la brillance de ses pas assurés !... J’avais passé des heures à les lustrer impeccablement…

C’est ma marotte. J’aime le parfum du cirage et la brillance du cuir fleuri en échange. Perdant la notion du temps, je passe la brosse sur les coutures, les bords des semelles, les motifs et les décorations, avec d’infinies caresses insatiables.
Chaque petite boîte de cirage a ses effluves particuliers, ses sensations de distance posées sur la chaussure en réparation de propreté ; elle a ses impressions d’herbe ou de goudron, de pierre ou de trottoir, d’école ou de bureau, de magasin éclairé ou de ruelle sombre… Et puis, j’use du chiffon à lustrer !... Je m’acharne jusqu’à une « je ne sais quelle » tolérance invisible qui assagit enfin mon ardeur ; peut-être parce que je me vois dans la fleur épanouie du cuir…
Je soigne de tout mon coeur toutes les chaussures de la maison et, par delà, je soigne aussi tous ceux et celles qui les portent, avec le même amour. C’est ma manière à moi de leur dire à tous que je les aime sans détour…

Tous les préparatifs étaient en place. On avait posé, sur la table du salon, un verre de lait et une papillote au chocolat. Le père Noël pouvait même s’asseoir un moment dans le fauteuil le plus confortable, celui que je poussais avec force et obstination, depuis des semaines, jusqu’à la porte d’entrée et que maman reculait  pourtant ostensiblement à chacun de ses passages !...
Tous les bibelots appliqués de la cheminée semblaient attentifs aux instants magiques ! Les vases ?... C’était comme s’ils tendaient dangereusement leur fragile cou de faïence pour mieux apprécier publiquement le déroulement du spectacle !... Les portraits encadrés des aïeux ?... Attentivement, ils suivaient du regard tous les faits et gestes de la maison !... Même le grand oncle asticotait le guidon révérencieux de sa moustache avec une surprenante application !... Les fines statuettes ?... Elles s’étaient alignées dans un parfait garde-à-vous et, sur la pointe des pieds, ces curieuses surveillaient l’ambiance clinquante du moment magique. Même la poussière semblait être tout un lot de pépites décorées d’or !...

La bougie d’ambiance posée sur le coin du guéridon animait tous ses invités en gesticulant doucement avec son opiniâtre petite flamme dansante !... Les ombres invitées  se déplaçaient inlassablement ; furtives ou précieuses, emballées ou dissimulées, lascives ou empressées, elles se posaient çà et là, sur les détails cachés, dans les interstices réveillés ou glissaient gentiment sur les lattes du parquet lustré, en leur offrant quelques secondes  de vie lumineuse… Les impressions enchanteresses se fabriquaient comme des billets clandestins, sur la planche de mes souvenirs, en fabuleux butin…

C’était la première fois que j’allais le voir. Minuit…

Tout à coup, on a frappé à la porte… Mon sang s’est glacé, mon cœur palpitait une chamade extraordinaire et mes tantes, en devanture de sauvegarde connivente, souriaient… Je m’étais cachée dans leurs robes de soirée mais je ne pouvais pas m’empêcher de surveiller cette fameuse entrée. J’écarquillai les yeux, plus déterminée que jamais à le rencontrer enfin… Toute la maison s’était immobilisée, obnubilée par ce paroxysme fantastique !... Le sapin resplendissait, les bibelots dansaient et les ombres complices étaient en pleine sarabande !… Les aïeux revivaient !...

Maman a ouvert la porte…

Le père Noël était là, joyeux, bien en évidence ; j’entendais même les grelots dissipés de ses rennes piaffant d’impatience… Il avait sa hotte, accrochée sur ses épaules, toute garnie de mes jouets tant espérés !... Ma poupée clignotait avec ses cils en détresse !... Mon ballon rouge réfléchissait toutes les lumières affolées de la maison !... Mon cheval à bascule piaffait d’impatience avec ses rênes appelantes !...

Par je ne sais quel mystère de petite cireuse de chaussures, j’ai regardé ses souliers : l’habitude sans doute de reconnaître, à l’évidence, celui qui les porte par la brillance équivoque des reflets apprivoisés… Et je n’ai pu m’empêcher de m’exclamer :

« Ho, gentil père Noël, tu as les mêmes chaussures que mon Papa !… »




4 commentaires:

  1. “Un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures.” (Mark Twain)

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    1. Sans même parler de mettre des chaussettes (décorées avec des rennes)

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  2. Misère, comme quoi, il ne sert à rien de tout faire briquer au risque de briser la magie du lustre. Faudra lui dire à la gamine que le père Noël a acheté ses godasses sur un site de seconde main car papa avait besoin de sous. On n'est plus à un mensonge près pour prolonger le rêve !

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  3. Un récit classique qui narre toutes les astuces pour recevoir cadeaux et surprises. Et dire qu¨il suffit d un détail et patatras, la magie s effondre comme un soufflé. ..Ils sont parfois inconscients, les parents, d oublier que les yeux des enfants sont à ras du sol ou presque! Merci pour ce partage

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