dimanche 18 octobre 2015

Tiniak - Les premiers mots d'un livre (la suite)



Delta, delta !

L'embouchure du fleuve crachait ses lentes ocres contre le front marin. Le soir précipitait sa fin depuis sa vacuité vers le sol engorgé du pas des tacherons, du tracé des pousse-pousse et, çà où là, de piquetis d'ombrelles épargnés par l'effervescence de la citadelle.

Le quart d’heure était magnifique autant que quotidien. L’alentour – cosmique ? était boueux, joyeux, peureux, simiesque, sidéral et sentait fort le suint des chiens errants, balourds, hargneux, pelés, levant la patte sur le port à la moindre bouée.

Comme à l’accoutumée, « La Chute des Jouets » (jetés par les fenêtres populaires sur les berlines bourgeoises ou hautement castiques), par les rues de la ville ou les maigres artères des villages, avait tôt clos la fête des « Derniers Jours des Sourds » et ouvert celle de « L’invention des Cendres ». Nul pour s’en inquiéter, s’en offusquer ni protester, c’était l’usage – et millénaire ! alors... !

Au plus fort de cet océan festif, j'entrais en escale. Nul ne savait mon nom, perdu depuis des lustres entre révolutions et régimes afférents, d'autorité falote, sans rien changer le moins du monde à la condition de mes compatriotes. J’avais la glotte sèche. Je revenais du Vatican. Des phrases murmurées m’encombraient le cerveau. J’en avais déjà plein le dos…

« - Comment, vous ?...

« - Pourquoi pas lui ?!…

« - Savez-vous quel espoir vous suit ?

« - Il faut apaiser les courroux… »

C'était fou, j’ai dit oui.

Je pose à présent un pied sur ce quai. La nuit est tombée, partout, sur les âcres fumées, sur les chats et les chiens, sur les toitures, les campagnes, les riches villégiatures, les boyaux gras, les mines d’or, les cheveux bruns décolorés, les yeux morts, les voix soumises, les volets colorés, les enfants énucléés, les mains prises de fièvres polyglottes et les larges culottes pendues près des maigres chemises sur le long fil des lieux communs…

La semaine dernière encore, j’habitais rue du Fort.

Les seuls cris montant du trottoir étaient avinés, creux, joyeux, hagards, abscons, absurdes, lents ou longs. Le soleil était blanc, d’où qu’il vienne. Quand je descendais rue de Sienne, il était tôt et j’étais seul, ou presque, à repartir vers ma chambrette avec mes croissants, ma baguette…

Maintenant, je pose mon cul – sans seulement savoir qu’en faire ! sur ce fauteuil trop vaste et rembourré comme un casque de mercenaire. Je respire.

Bon… Comment dire ce que m’inspire, au vrai, ce bout de papier que je dois signer ?
C’est quoi cette liste de noms plats ? Les chiffons que je n’ai pas rangés, pliés en trois, dans l’armoire de nos familiales gloires ? Non pas !!!

Je ne connais pas leurs visages

Je sais que je n’hériterai pas d’un massacre.

Et, me bouchant les oreilles, en posture de sage, avec en bouche un long cigare, je pense… à la meilleure manière de préserver des guerres mon héritage dense, l'alpha et l'oméga de ma revanche : le delta.

Je ne signerai donc pas cette exécution. J'ai dit non.

Où s’indigner, parfois…

4 commentaires:

  1. Pourquoi faut-il que je cherche des rimes dans ta prose (et j'en trouve) au lieu de m'empiffrer de belles images comme "de maigres chemises sur le long fil des lieux communs" et bien d'autres... et ce clin d'oeil aux 4 titres.
    Encore un petit bijou, Tiniak

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    1. --et y en a...- (des rimes)
      Mais tu l'auras bien chopé, le rythme (et son rêve induit) !

      Ici est l'unique lieu où j'écris pour "quelqu'un"... dont tu es l'un des rares destinataires directs (mais chut, c'est pas l'jeu) cher sapajou !

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  2. J'adore, c'est vif et élégant, sans queue mais avec beaucoup de tête et de la cuisse ! c'est gouleyant, corsé, un excellent cru.

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    1. Pardon de répondre si tard, mais ce lieu - quoi qu'il m'importe toujours, je ne le fréquente plus si fréquemment.
      Merci de m'octroyer le temps de prendre la mesure de ton regard (écriture ?) avant d'y répondre au fond.

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