samedi 24 octobre 2015

Jérôme - L'ombre de ...

l'ombre d'octobre

L'ombre d'octobre date de la plus haute antiquité, les textes les plus réputés l’attestent : que sont d’autres les ténèbres qui, dès la deuxième phrase de la Génèse, se trouvent au dessus de la terre informe et vide ? On se le demanderait longuement sans trouver de réponse satisfaisante. 
Ceci étant posé, l’ombre s’allonge et octobre frissonne. Elle – l’ombre – a gobé d’une même bouchée et septembre et l’été ; et, de l’autre côté de la fenêtre, elle avale patiemment la ville où l’immuable défilé des gyrophares, dans les rues chemisées d’immeubles et cravatées d’asphalte, aveugle les boutiques ornées de décor en plastique et d’enseignes comme tricotées au néon sur les trouées des impasses. En forêt, elle se faufile sur les feuilles chues, entre les troncs dénudés et les champignons de saisons.
L’arrière-saison a beau s’embellir du dénuement noueux des branches et des incendies de feuillages empourprés – mais que font les sapeur-pompiers ? – , l’horoscope avait promis bien autre chose : la plénitude de réveils légers comme plume, frais comme un baptême dans une église de village, des voyages sans absence – au fond des deux Amériques ou à travers la Transylvanie – , des toilettes chics, un trop-plein d’aventure sans déchirement, bref, un plein bol d’énergique poésie.
Mais aussi, quel idée d’y croire ?
Quel besoin de savoir le nom de l’étoile qui a abandonné le gouvernail de ce ciel vide ?
Pourquoi se torturer avec un nœud de cravate pour se faire une situation ? Et à quoi bon s’inquiéter du passage du temps, de la ronde des jours, des nuits et des planètes qui ramenera aussi bien Pâques, la Trinité et la grande ombre qui plonge ?
Il suffit de se rappeler que pour sept, six, cinq, quatre jours encore, octobre est riche à foison de camion rouge, de vélo, de bus et même de voies ferrées en abondance.
Selon son humeur, il offre d’être tour à tour Jean Valjean savourant un café – douce drogue – au Victor-Hugo devant un parterre de convives et de jeunes femmes, ou Sirène guettant gaiement, en terrasse, la sihouette d’Ulysse coincé dans la cuirasse ajustée de l’autobus de la ligne S.
Même – me croirez-vous ? – il abonde de rêve d’opossum endormis, de mignons okapis glapissant des youpis, de cailloux volubiles, de poules caqueteuses, d’Ankou taciturne, de paons – glouglouteux et stupides princes d’orient – et de longs longs longs tamanoirs aux grands cils noirs ourlés de larmes.
Ainsi accompagné, octobre ne manque de rien – et laissera la grande ombre affronter seule les cruels frimas de novembre qui point.

4 commentaires:

  1. Ainsi donc, voilà qu'est démasqué en partie notre Dodo paresseux... un vrai striptease comme le fait si bien cette belle description octobrienne.

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    1. Merci, Anne ;
      Mais sitôt croit-on voir le Dodo apparaitre qu'illico il repart dans la brume (bien aidé d'un coup de bâton de marin hollandais)

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  2. Dans le feuillage roussissant d'octobre.. un flamboiement d'images...

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