mercredi 7 octobre 2015

Jacou - Les premiers mots d'un livre



Il glisse sur les eaux calmes. Présence complice,  la lune lui montre le chemin,  énorme disque d'or , posé au ras du paysage.
La barque noire, gondole lagunaire, avance silencieusement. Il devine ce monde sous-marin, porteur de vies, esturgeons, aloses, silures, carpes, brochets.

Echos du sillage de l'étrave, des vaguelettes caressent les pieds des arbres ancrés sur la rive sablonneuse. Il aime à se souvenir  de ces feuillus, saules, frênes, peupliers, reflétant leurs images dans l'eau, comme leur servant de miroir; ces allées verdoyantes, paysage éternellement recommencé, que la lumière du jour peint et repeint au gré des heures et du temps.

Chuintements, frôlement d'herbes sèches, cassantes, la barque traverse une roselière. Plus loin, il sait, plus qu'il ne devine, un nid de pélicans. Il ne troublera pas leur repos. Ces grands oiseaux  magnifiques, compagnons des cormorans, pointillés blancs et noirs mélangés, sur les grands lacs, où convergent bras aquatiques et canaux.
C'est à une autre rencontre , qu'il se prépare.
Il a longuement réfléchi, errant sur les dunes alluvionnaires, parcourant de lianes en lianes, d'arbres en arbres, cette forêt que, depuis son enfance, il connait si bien. Lieu magique, avec ses chênes séculaires, troncs si larges, que deux bras ne suffisent pas pour les encercler.

Compagnon de ces fiers chevaux sauvages, dont il a su devenir l'ami, enfant de ce pays, où, voilà bientôt quatre siècles, ses ancêtres ont choisi de s'installer, fuyant les persécutions tsaristes. Elevé dans ce village, qu'il a choisi de quitter; la maison blanche, ses volets bleus, pour rappeler la mer, le clocher orthodoxe, croix au bras incliné, en haut le Ciel, en bas les Enfers, les jardins où  les brassées de roseaux, regroupées,  wigwams dorés, sèchent, attendant de couvrir une charpente,   les champs où paissent de rares vaches, les rues sablonneuses, ce parler ancestral russe, traduit dans la langue d'adoption, le roumain.

Il a rendez-vous; peut-être ici, peut-être, loin; il ne sait. Son bateau avance, les rames plongent doucement dans l'eau, écartant,nappe verte étalée sur l'eau, les feuilles des nénuphars.

Tout a commencé à Sulina; venu faire des achats pour la pêche, une affiche a attiré son regard; plutôt une silhouette. Silhouette entrevue, il ne sait d'abord où; puis reviennent les souvenirs; c'était dans ce cimetière  où se mêlent tombes ottomanes, hébraïques, grecques, russes, épitaphes écritures cosmopolites ; il l'avait remarquée, dans ce coin où sont enterrés des naufragés. Il s'était approché, avait lu Margaret Ann Pringle, née à Newton-by-the-Sea, noyée à l'âge de 23 ans.  Une  longue explication, écrite en anglais, racontait le drame qui se joua et dont les tombes témoignent. L'histoire se passait le 21 mai 1868 lorsque le bateau S. S. Adalia fit naufrage devant la bouche de Sulina. A côté, la tombe  de William Webster, 25 ans, officier chef sur le navire et très probablement amoureux de la jeune fille. Il plongea pour espérer la sauver mais périt avec elle dans les eaux froides de la mer Noire ("who nobly sacrificed his own life in endeavouring to save... 

Dans ce cimetière marin, dernière demeure de bien des naufragés, qu'était-elle venue faire? Il n'eut pas le temps de le lui demander. Elle avait disparu. Sur les deux tombes, un même bouquet, des coquelicots rouges.

Il fit des recherches sur la présence de ces anglais, sur les naufrages, les naufragés; il fallait qu'il la retrouve...

7 commentaires:

  1. Trop envie de savoir la suite !!!

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  2. On navigue sans peine au fil de tes mots dans un paysage envoûtant... très beau texte, Jacou

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  3. L'Arpenteur d'étoiles9 octobre 2015 à 14:41

    du souffle romantique et romanesque, des énigmes, des doutes, des craintes ... un départ sur un long fleuve, une saga de plusieurs générations sans doute ... j'ai adoré !

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  4. ça commence tout doux comme la chanson de Delpech https://www.youtube.com/watch?v=kco0-iILLec, et puis ça enfle dans le romanesque et le tragique, de toute beauté !

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  5. Une très (trop) longue description met en "attente".... l'intrigue qui file comme un souffle...... Une suite est certes attendue...

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  6. ... Quitte à faire doublon à la suite d'une manoeuvre "distraite"....

    La description d'entrée m'est apparue un peu longue, l'intrigue est arrivée comme un souffle... j'attends la suite avec impatience....

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