mercredi 8 juillet 2015

L'Arpenteur d'étoiles - En sortant de l'école

Et puis un samedi après-midi. Sortie des cours. Première cigarette ...
U
n récit souvenir. L’âge et le temps passé ont adouci la peine. Forcément. Mais elle demeurera toujours au plus profond de mon cœur.


Le long des couloirs de l’imposant collège, glissent les ombres des pères en soutanes et les rangs des pensionnaires. J’ai des copains, une vraie raquette de tennis, un vrai ballon de foot. Dans le jardin printemps, règne le cerisier en fleur, immense et bruissant d’abeilles.
Cependant, j’apprivoise doucement celle qui ne me quittera plus, la solitude.

Ma famille c’est d’abord Elle : un doux visage encadré de cheveux blancs, un regard bleu si tendre, un tablier gris toujours en mouvement devant le fourneau à barre de laiton, un parfum de lavande. L’image simple d’un amour simple. Elle, c’est ma grand-mère.

Selon la tradition de l’institution mariste où je suis depuis six années, la quatrième est la classe de la communion solennelle. Trois jours de retraite dans un couvent perdu dans la nature. La vie en communauté, les cellules monacales, beaucoup de sport, des moments de réflexion, des prières et la chorale élévatrice et vibratoire. Ensemble on chante les cantiques en latin mais le soir, quand les guitares sortent enfin de leurs housses, on chante également ceci :
« Quand tous les affamés
Et tous les opprimés
Entendront tous l’appel
Le cri de liberté
Toutes les chaînes brisées
Tomberont pour l’éternité. »

Je l’ai vécu ainsi, candide et confiant. Au retour, le collège est clos, ainsi que tous les autres établissements scolaires. Grève générale dit-on. La cérémonie aura lieu malgré tout. Des dizaines de prêtres, une armée d’enfants de chœur en surplis blanc et nous en aube avec croix de bois et cierges, et les grandes orgues de la chapelle. Le soleil traverse les somptueux vitraux classés et nous habille d’or et d’azur. Au repas, la famille, mes chers cousins, un ami. Il en reste deux photos pâlies, prises dans le jardin.
Quelque part à Paris on dit « sous les pavés la plage ». On écrit sur les murs « il est interdit d’interdire ». Partout on entend barricades, Sorbonne, Nanterre, cocktails Molotov. Un général président et lettré ressuscite la « chienlit » pour l’effarement admiratif des journalistes. J’ai déjà renoncé à comprendre comment va le monde. Je lis Pagnol et Tintin, Sherlock Holmes et Bob Morane, Giono et Arsène Lupin. L’oreille collée au transistor rouge et beige, le jeudi après-midi, j’écoute Europe numéro un :
Nights in white satin
Never reaching the end
Letter I’ve written
Never meaning the send

Ecoute Frédéric, écoute. Nous avions vingt-huit ans à nous deux.
Ecoute depuis le jardin sous lequel tu dors :
“Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.
Strawberry Fields forever … »
La révolution est en marche.

Ecoute, Norbert, écoute. Plus tard on sera pilotes de longs courriers.
Ecoute depuis Berlin, ou depuis les Marquises :
« Alors chu reparti, sur québecair, transworld, northern
Easthern, western pi pan american
Mais ché pu ou j’chu rendu … »

C’est l’année de mes quatorze ans, et la vie s’écoule, remplie de mes rêves d’avenir.

Et puis un samedi après-midi. Sortie des cours. Première cigarette.
Mes parents sur le seuil qui semblent m’attendre :
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Mémé est morte ...

Mains pâles sur le drap blanc.
Adieu l’enfance.

11 commentaires:

  1. La sortie de l'enfance c'est des airs qu'on découvre et qu'on n'oubliera jamais... comme une mémé

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  2. Plein d'émotion - d'autant que cette époque est aussi la mienne, du moins pour les mêmes "songs" qui la meublèrent.

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  3. Beaucoup de tendresse et de souvenirs....
    Souvenirs qui peuvent tout autant s'écrire en version "féminin"....
    Merci pour ce beau récit!

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  4. Oui...les nuits dans du satin blanc et les champs de fraises je connais et ma mémé aussi.
    Les frères maristes ?
    Mémé m'a parler en breizoneg le jour de sa finvez...da garout a ran bihan (je t'aime petit) !
    Et puis l' Ancou est venu la chercher...d'façon, tout est prévu d'avance.
    Dommage...

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    1. L'Arpenteur d'étoiles12 juillet 2015 à 23:30

      L'Ankou vient toujours à l'heure et emporte dans sa charrette, sans prévenir, pour l'éternel voyage ... Alors tu es breton, Stouf ?

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    2. Biensure...de Paris !
      C'est du côté de la mère (more bihan...petite mer) que tout est arrivé. !

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  5. Touchée, suis-je, par ton texte, Arpenteur. Moi aussi, j'ai fait ma communion solennelle (et ma confirmation) en mai 68. Mais j'avais dix ans et demi. Presque onze. Cette année-là, j'ai aussi passé mes premières vacances en France, dans les Alpes (la Vanoise), au pied du col de l'Iseran. Mes parents se demandaient si les événements seraient calmés au mois d'août... (Ou en juillet, je ne sais plus quand on est parti).

    J'aime beaucoup ton texte, il me fait un peu penser au roman de Valéry Larbaud, "Fermina Marquez"...

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    1. L'Arpenteur d'étoiles12 juillet 2015 à 23:32

      merci Pivoine ; te faire penser à Valéry Larbaud me touche ...
      les vacances en France en 68, ce devait être folklo :o)

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  6. Ah, je les connais ces Maristes, j'en entends encore parler... Greame Allwright ! j'adore dommage qu'il ne passe plus sur les ondes... Je dis bravo aux grands mères : autosatisfaction !
    avec le sourire

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    1. L'Arpenteur d'étoiles12 juillet 2015 à 23:34

      bien sur que tu as du entendre parler de Saint Marie, forcément (Dany ?)
      et Graeme Alwright a été un formidable compagnon de feu de camp ...

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  7. Allez, feignasse ! Je t'attends (note zeu date) ! :D

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