mardi 16 décembre 2014

Pascal - Indécision


Pauvre idiot


Elle est morte. C’est sûr, elle est morte. De sa planète, je ne vois plus aucune trace vivante, je ne distingue aucune brillance, aucune vibration, aucune tendance, aucune mouvance, aucun signe. Sa route effrénée a croisé la mienne sans heurt que ma désespérance inouïe qu’elle a laissée dans son sillage. J’ai encore des étincelles dans les yeux comme de la limaille d’acier brûlante. Son souvenir l’érige aux dépens d’une réalité sans attrait et sa statue de poussière est une chimère véritable.
 

Elle s’est désagrégée, ou enfuie, ou évaporée ; elle a disparu en dehors de toutes mes recherches les plus romantiques, les plus inespérées, les plus assidues, les plus viscérales. Mes sensations aux abois ne perçoivent plus aucune empreinte de sa vie : pas le moindre petit message, pas une infime partition, une quelconque rumeur, un fond de parfum. Je peux tendre l’oreille, écarquiller les yeux, renifler le vent : de son univers, je n’entends plus rien.

Par pudeur ou par oubli, par courtoisie ou par jalousie, plus personne ne me rapporte de ses nouvelles. Il n’est que l’écho de mon cœur qui tape encore des SOS sporadiques quand son image se figure de proue, se floute, à l’avant de mes pensées mélancoliques. Il ne traîne que des courants d’air dans ma tête malade pour l’animer encore de fugaces contorsions malignes. Il ne plane que des refrains de chansons tristes, des hymnes à l’Amour morte, des rengaines de port d’Amsterdam pour amplifier cette aridité.
Elle n’est plus réelle que par des souvenirs affabulateurs, ceux agités par les ficelles menteuses de mon hypocrisie latente. C’est une chimère insaisissable navigant au gré de mes gamineries encore agrippées à ses mesquineries de donzelle. Nostalgique, collectionneur, j’ai conservé quelques-uns de ses sourires moqueurs, quelques-uns de ses rictus indéchiffrables, quelques-unes de ses mimiques intéressées, que je garde au chaud dans le tabernacle de ma Passion allant refroidissant.

Aujourd’hui, je ne sais plus vraiment si elle a existé ou si elle n’était qu’un fantôme illuminé de l’aura extraordinaire dont je l’habillais avec tant de ferveur. Comme une icône flamboyante, je l’ai priée si souvent à l’ombre de mes espérances tellement croyantes. Je l’ai vue tant de fois se grandir sur la pointe des pieds, si curieuse des détails de ma vie. Yeux dans les yeux, elle soutenait mes conclusions, elle drossait ses vagues amusées sur ma plage conquise, elle s’admirait dans le miroir de mes pupilles, elle battait des cils et j’étais son plus fidèle troubadour.
Elle était partout, elle était dans toutes les dimensions, dans toutes les directions ! Dans l’azur, les nuages colporteurs dessinaient son visage ! Dans les frondaisons, elle jouait à cache-cache avec mon cœur ; je la guettais dans l’ombre quand le soleil la dessinait avec ses airs moqueurs.

A son insu, nous avons partagé les plus beaux couchers de soleil, les meilleurs reflets des vagues bleues, les panoramas les plus grandioses. Main dans la main, nous avons flâné, des champs jusqu’aux forêts, des montagnes jusqu’aux vallées ; nous avons joué à la marelle sur les couleurs de l’arc-en-ciel, nous avons dompté les étoiles filantes, nous avons arrimé nos cœurs aux plus belles escales. Je l’ai même emmenée à la pêche ! Dans chaque sentier, je croyais qu’elle allait apparaître ! Elle était cachée dans tous les boutons d’or, elle dansait au milieu des coquelicots, elle courait plus vite que les ombres qui frôlaient les champs de hautes herbes ! Elle était plus argentée que les blés d’or, plus maquillée que les sillons les plus sombres, plus joueuse que les troupes de moineaux les plus effrontés ! Elle était partout…
Le vent m’apportait de ses nouvelles ! Du zéphyr jusqu’à la tempête, je savais tout de ses informations de muette ! Les cascades bavardes me parlaient d’elle ; du lent murmure des Secrets à la furieuse cataracte des Enthousiasmes, j’avais le pouvoir obscur de les comprendre. Je traduisais la Nature et elle me racontait ses silences d’absente. Sur la surface des étangs, cette blonde me souriait à cause des frémissements à la ronde, à cause des nuages s’abreuvant sur l’onde, à cause des roseaux et de leurs pensées profondes.

Elle est morte. Elle ne vient plus hanter mes rêves. Après avoir magnifié le Temps d’espérances utopiques, elle a déserté ma solitude irréelle, elle s’est volatilisée comme un alcool trop fort au soleil de mes états d’âme de poète énamouré.

Un jour, je l’ai définitivement perdue. Dans l’ivresse, je l’ai cherchée au fond de mon verre sans issue ; j’ai parcouru les campagnes, retourné ciel et terre, soudoyé mes meilleurs espions, envoyé mes plus beaux épithalames, imaginé les plus beaux scénarios, les pires drames. J’ai fouillé les champs des moissons à la recherche de quelques frissons ; au bout des épis, un autre jour de folie, j’avais entendu ses rires. A la lune, bouche en cœur, j’ai demandé des nouvelles de sa blondeur ! Aux Cieux, avec toutes mes prières, ils avaient peut-être conservé la couleur de ses yeux ! Aux tambours de la pluie en armes, j’ai mélangé mes larmes en longues incantations, en longs vagues à l’âme. J’ai soulevé tous les nénuphars, fouillé les bottes de foin, déplacé les plus hautes montagnes, relu Les Misérables…
Elle a sans doute semé des petits cailloux blancs pour que je puisse la retrouver à travers mes égarements lunaires ! Elle m’a laissé ses messages codés, quelques mots d’amour aux tournures brodées ! Elle va m’appeler, j’ai encore tous les échos de sa voix dans la caverne de mes souvenirs ! Elle va m’écrire, elle va me sourire, elle va me rajeunir…

Mais non ! Mais non ! Pauvre idiot, elle a disparu !... Elle n’est nulle part. Je l’ai perdue de vue. C’est l’encéphalogramme plat, la morne campagne, l’hiver en toute saison, la désillusion ambiante, le terrible renoncement, l’impitoyable désertion. Sans allant, ma plume tournoie et tombe en assassinant ses finitions. Tout est sans saveur ; les parfums ne sentent rien, des illusions perverses sont mes fantômes d’aujourd’hui, les heures inutiles se pendent à l’astreinte du devoir pénible de rester vivant.
Maintenant, j’ai des habitudes floues où elle ne vient jamais, où elle n’a pas sa place ; mes je t’aime sont fanés dans des bouteilles à la mer sans mer. C’est la traversée du désert, c’est la nuit sans étoile, c’est la mer sans poisson, l’arc-en-ciel sans couleur, l’église sans Dieu. Elle est morte et ma vie n’a plus de sens ; elle est morte, je suis vraiment seul et c’est moi qui n’ai plus envie de survivre…

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