mardi 25 novembre 2014

Mafaxel - 18h45

Il prenait comme moi le 18 h 45. C'était le dernier bac de la journée qui faisait la liaison entre le continent et l'île. Nous étions peu nombreux et j'ai facilement repéré ce voyageur avec son étui à violon sur le dos.

Il faisait encore chaud quand nous sommes arrivés sur l'île et j'ai décidé de passer la première soirée à errer sans but aux alentours de la chambre d'hôtes où je logeais. J'avais emporté des fruits qui me serviraient de dîner, j'avais besoin d'être seule. J'ai vagabondé une bonne heure et quand mon estomac s'est rappelé à mon souvenir, je me suis installée dans une anfractuosité de rocher. Assise à l'abri face à la mer, à marée montante mais encore assez loin, je jouissais du bonheur de ma tranquillité. J'étais en train de ranger les pelures de mes fruits dans un sac quand il me sembla entendre de la musique.

Mais oui, je ne me trompais pas, c'était un air de violon.

Je me suis approchée de la mer et j'ai vu alors, mon voyageur du 18 h 45, les pieds dans l'eau qui jouait une mélodie mélancolique le plus souvent, mais avec des envolées très gaies. Mes rares connaissances musicales ne me permettaient pas de reconnaître le morceau. Peut-être était-ce une composition personnelle, d'ailleurs, comme un étrange dialogue. C'était magnifique.


Quand il a jugé que la mer était suffisamment haute, il a sorti de la poche de sa chemise une fleur, cueillie sur l'île probablement, et il l'a posée doucement sur une vague. Puis, à reculons, il a regagné la plage, rangé son violon et est parti, disparaissant à mes yeux .


Je me suis aperçue alors que des larmes coulaient sur mes joues.


Mon hôtesse m'attendait pour me proposer une infusion que j'acceptai volontiers. Nous avons parlé de la beauté de l'île et elle m'a indiqué les meilleurs endroits à visiter. Encouragée par sa gentillesse, je lui ai parlé du violoniste.


« Ah ! me dit-elle, vous l'avez vu ! Cela fait cinq ans qu'il revient à la même date.»

Cinq années auparavant donc, une petite fille de 2 ans environ avait trompé la vigilance de ses parents et avait été attirée par l'eau.

« Personne ne sait bien ce qui s'est passé. Avec les enfants, il suffit de quelques secondes pour qu'ils s'échappent, vous savez. C'est ce jeune homme qui s'est précipité dans l'eau et a réussi à ramener la fillette, mais trop tard, malheureusement.


Depuis , à chaque anniversaire de l'accident, il revient jouer du violon exactement à l'endroit où la petite s'est noyée. »

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